Ce qui suit est un résumé du rapport « Negotiating Climate Change : the Ongoing Failure of Conventional Politics »1 par Eduardo Gudynas publié le 3 décembre 2021. Bien que le rapport examine les résultats généraux et la dynamique de la COP26 à Glasgow, en Écosse, le présent résumé se concentre sur les tendances et la dynamique de l’implication des entreprises dans la résolution de la crise climatique. Le rapport a été publié conjointement par OLCA (Observatorio Latino Americano de Conflictos Ambientales) et CLAES (Centro Latino Americano de Ecología Social).
Gudynas met en lumière certaines tendances et dynamiques qui se sont concrétisées à la COP26 et qui s’inscrivent dans une tendance et une dynamique plus larges de la coopération au développement.
Les mécanismes du marché à la rescousse
Gudynas mentionne l’intention d’atteindre certains objectifs environnementaux par le biais de réglementations sur le commerce international des marchandises. Cela s’inscrit dans la tendance des gouvernements et des organisations multilatérales à céder un rôle croissant aux entreprises en ce qui concerne le financement et la gestion de la crise climatique et des questions énergétiques. M. Gudynas reconnaît que cette tendance soulève finalement la discussion sur le rôle de la souveraineté nationale.
Gudynas précise : Tout d’abord, certains gouvernements des pays industrialisés envisagent d’imposer des mesures sur le commerce international liées aux performances en matière de changement climatique. De tels mécanismes pourraient entraîner une pression énorme sur certains pays exportateurs de matières premières, généralement du « Sud ». M. Gudynas estime que de telles mesures peuvent être plus efficaces que les mesures volontaires convenues à Glasgow. Par exemple, des restrictions sur les importations de biens dont l’empreinte carbone est élevée obligeraient les nations exportatrices à adopter d’autres technologies, voire à modifier les biens qu’elles exportent.
Concernant les mesures sur le commerce international, « trois types de mécanismes sont actuellement envisagés. Le premier consiste à conditionner les importations en fonction des normes de réduction des émissions de CO2. L’exemple le plus récent est l’accord entre les États-Unis et l’Union européenne sur le commerce de l’acier et de l’aluminium. Dans le cadre de cet accord, le commerce entre les États-Unis et l’UE est assoupli et, en même temps, une barrière est installée pour les autres fournisseurs qui proposent ces métaux avec une empreinte carbone élevée. » M. Gudynas mentionne comment la Chine, qui fabrique de l’acier en grande partie grâce à une énergie subventionnée provenant principalement de centrales électriques au charbon, sera affectée. L’aluminimum du Brésil, dont l’empreinte carbone est élevée, pourrait également être touché. M. Gudynas estime que cette affaire est suivie de près car il s’agit du premier accord commercial signé par les États-Unis à inclure des conditions liées au changement climatique.
Un deuxième cas est celui du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) [25], qui est un système de tarification du carbone pour les importations dans l’Union européenne, conformément aux règles de l’OMC. « Il s’agit d’une initiative en cours dans l’Union européenne dans le cadre de son célèbre Pacte vert, qui vise à éviter la concurrence déloyale dans l’importation de biens obtenus avec une forte empreinte carbone. » Le MACF seraprogressivement mis en œuvre pour le fer, l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais et la production d’électricité. M. Gudynas mentionne qu’il pourrait inclure les produits agroalimentaires dans un avenir proche et qu’il suscite l’inquiétude des grands exportateurs de produits agroalimentaires. Des pays comme le Japon et le Canada prévoient des initiatives similaires.
Selon M. Gudynas, l’approbation de l’Observatoire international des émissions de méthane (IMEO), promu par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et soutenu par l’Union européenne, suit la même logique puisqu’il fournira des relevés mondiaux à prendre comme référence.
« Enfin, des tarifs douaniers convenus au niveau international pourraient être appliqués aux importations de biens à forte intensité de carbone. Il s’agit d’un mécanisme commercial proposé par certains universitaires, qui impliquerait une coordination entre les règles de l’Organisation mondiale du commerce et les accords ou indicateurs environnementaux et climatiques. Sa logique est similaire à celle de la récente taxe minimale mondiale mise en place par les pays du G7, qui impose au moins 15 % aux entreprises. »
Tous ces mécanismes sont en cours de discussion ou dans les premières phases de mise en œuvre. Au-delà de cela, ces mécanismes nous montrent que nous nous approchons d’une situation où les règles commerciales adopteront certaines conditionnalités en termes d’émissions de gaz à effet de serre dans les biens échangés. M. Gudynas remarque que les pays du « Sud » de la planète, comme les pays d’Amérique latine, disposent d’une faible marge de manœuvre pour faire face à ces changements dans le commerce mondial et qu’ils ont tendance à être très dépendants des exportations mondiales.
Gudynas ne le dit pas explicitement, mais ces mécanismes de marché qui affectent le prix des marchandises ne tiennent pas compte de la justice. On peut soutenir que la tarification du carbone affecte moins les riches, alors que les moins riches supportent davantage le fardeau. Les personnes aisées peuvent se permettre de payer le prix.
La nécessité de l’implication des entreprises
Pour M. Gudynas, il est essentiel de noter que plusieurs des accords signés à Glagow placent les entreprises (surtout les grandes sociétés et même les milliardaires) au rang de partenaires ou de collaborateurs des gouvernements. « L’objectif le plus évident est de se tourner vers elles pour obtenir des financements supplémentaires. Dans certains cas, cela se fait par le biais de mécanismes philanthropiques, comme les dons de certains milliardaires, mais dans la plupart des cas, ils s’articulent autour de partenariats et de coentreprises (« joint venture » en anglais) qui ont des attentes de rentabilité, comme mentionné ci-dessus. Il faut noter que ces positions sont à leur tour en conflit avec d’autres entreprises qui résistent, rejettent ou remettent en question à la fois le changement climatique et tout type de partenariat avec elles dans ce domaine, comme c’est le cas des compagnies minières et pétrolières. » Il est intéressant de noter que M. Gudynas perçoit ces différends entre entreprises comme « une discussion entre les différents styles de gestion d’entreprises ».
Plus important encore, « il existe un danger qu’une partie substantielle des politiques nationales et internationales soit privatisée de manière directe ou indirecte ».
En ce qui concerne la remise en question de la souveraineté nationale, M. Gudynas affirme que « l’on prétend que certains écosystèmes, comme l’Amazonie, jouent un rôle écologique à l’échelle planétaire et que, par conséquent, d’autres pays pourraient imposer des conditions aux nations amazoniennes pour les forcer à la protéger. Certains vont plus loin, considérant que le concept de souveraineté nationale ne peut plus être appliqué au XXIe siècle face à certains problèmes environnementaux planétaires. Un conflit qui a exposé cette tension s’est produit en 2019 lorsque le président français Emmanuel Macron a tenu le Brésilien Jair Bolsonaro pour responsable des graves incendies de forêt qui se sont produits à cette époque. À la demande de Macron, les pays du G7 ont discuté de la gestion brésilienne des forêts amazoniennes et, en réaction, Bolsonaro a brandi un discours nationaliste fort. Depuis lors, un changement est en cours dans la position de certains gouvernements du Nord qui considéraient le changement climatique comme faisant partie des politiques environnementales, et qui commencent à le considérer dorénavant comme une question de sécurité nationale et de commerce international. »
Gudynas remarque que « cette perspective est problématique car elle représente d’énormes risques pour les pays d’Amérique latine ». Elle n’est pas seulement très problématique pour les pays d’Amériques latine, mais pour tous les pays du « Sud », car elle met en danger la souveraineté nationale.
Selon M. Gudynas, il est important d’entamer une réflexion qui permet aux pays de trouver les moyens les plus justes pour repenser et concevoir la souveraineté à travers le respect des droits humains et la protection de la nature.
Les lignes floues
Pour M. Gudynas, le sommet sur le climat de Glasgow fait partie de ce qui semble être d’importants changements géopolitiques qui vont au-delà des reconfigurations entre le Nord et le Sud. Les questions relatives aux changements géopolitiques vont au-delà de la question de savoir si la Chine doit être considérée comme faisant partie du Nord ou du Sud du monde. Ou comment la notion de Nord riche, industrialisé et polluant s’oppose à celle de Sud pauvre et en développement. M. Gudynas affirme que les gouvernements du Nord et du Sud sont tous incapables de s’engager à réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en continuant à soutenir et à subventionner les grandes entreprises et les pollueurs.
La plus grande délégation à la COP26
La plus grande délégation – si on peut l’appeler ainsi – à la COP26 était celle de l’industrie des combustibles fossiles avec 503 personnes. Elle a dépassé le Brésil, le pays dont la délégation était la plus importante. Selon M. Gudynas, « plus de 100 sociétés et 30 organisations commerciales axées sur les intérêts du pétrole et du charbon étaient représentées, et figuraient également dans les délégations d’au moins 27 pays (comme la Russie, le Canada et le Brésil) ». M. Gudynas poursuit : « Ce nombre double, par exemple, le nombre de participants des organisations indigènes, et est plus important que les délégations gouvernementales combinées de huit pays fortement touchés par le changement climatique (comme Haïti, les Philippines, les Bahamas, le Bangladesh ou le Pakistan) ».
Gudyinas conclut que « la dépendance aux combustibles fossiles a dominé la COP26, elle est présente au « Nord » comme au « Sud », car elle est présente dans presque toutes les idéologies des partis politiques. C’est une condition pré-politique dans le sens où elle affecte la plupart des idéologies des partis politiques. »
Il est important de noter que la condition préalable n’est pas seulement la dépendance aux combustibles fossiles, mais celle du business du profit sur les gens, sur la nature, sur la vie.
La condition pré-politique
Un exemple limpide de cette condition pré-politique apparaît dans l’accord entre les États-Unis et la Chine lors de la COP26 à Glasgow. John Kerry (issu du capitalisme d’entreprise de Washington, avec sa démocratie représentative et son impérialisme militaire et commercial) et Xie Zhenhua (issu du développementalisme de Pékin, d’un parti communiste, de l’entrepreneuriat stratifié et du contrôle citoyen, et de son déploiement commercial planétaire) se rejoignent dans le développement conventionnel. M. Gudynas confirme que deux régimes politiques différents s’accordent largement sur leur objectif de croissance économique à tout prix ; ils encouragent le consumérisme domestique et n’hésitent pas à externaliser leurs impacts environnementaux au reste de la planète.
« Les deux font des discours sur la nécessité de lutter contre le changement climatique, mais chacun défend les combustibles fossiles dont il a besoin (la Chine le fait avec le charbon, les États-Unis avec le pétrole). Cela montre clairement que la politique conventionnelle observée dans ces pays est dépendante des combustibles fossiles. » Mais pas seulement les combustibles fossiles, le profit pour le profit tout simplement. Leurs discours ne sont après tout que des annonces de bonnes intentions car aucune mesure concrète n’a été prévue.
Le complexe du sauveur d’entreprise
La nécessité absolue des entreprises est la position menée par l’Américain Joe Biden, « concevant les entreprises comme un financier majeur des changements face au changement climatique ». Cela implique inévitablement la privatisation. Une privatisation qui transfère la gestion de multiples secteurs, tels que les équipements d’énergie éolienne ou solaire, les mines de lithium, etc. aux entreprises du « Nord ». Celles-ci, à leur tour, sont étendues aux nations du « Sud », reproduisant ainsi les mécanismes de subordination bien connus ». M. Gudynas observe que certaines options commerciales présentées comme des alternatives respectueuses de l’environnement dans le « Nord » ont de graves impacts écologiques et sociaux dans le « Sud » (par exemple, le cas de l’exploitation du lithium pour les voitures électriques et autres fins « écologiques »).
Gudynas mentionne une expression concrète de cette tendance : la création de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ, https://www.gfanzero.com). Il s’agit d’une coalition de grandes banques, de fonds d’investissement, de compagnies d’assurance et d’analystes de risques financiers (450 sociétés financières réparties dans 45 pays) qui promettent de mobiliser 130 000 milliards USD. À la tête de cette alliance se trouvent des grands noms de la finance : Mark Carney, Mike Bloomberg et Mary L. Schapiro.
La célébration de l’échec continu
Dans l’ensemble, les solutions mentionnées ci-dessus traitent la crise climatique comme des échecs du marché à réparer ou comme une question d’optimisation des marchés. Il ne semble pas y avoir de reconnaissance du problème fondamental de ce système. Les initiatives de la COP26 semblent avoir du mordant et de l’emprise surtout lorsqu’elles impliquent des mécanismes de marché, des solutions technocratiques et, invariablement et inévitablement, des engagements et des partenariats volontaires d’entreprises privées… pour le profit.
Le rôle croissant des entreprises lors des COP représente l’expression claire des véritables centres de pouvoir.
La COP26 a été reconnue discrètement par les gouvernements comme le prolongement ou la continuation de plus de deux décennies d’échec. « Beaucoup peuvent prétendre que des progrès ont été réalisés, et il est vrai que certains peuvent être identifiés. Mais en ce qui concerne l’objectif concret et prioritaire de l’ensemble du processus de négociation initié en 1992, qui est d’arrêter le changement climatique, ils ne l’ont pas atteint à ce jour. » M. Gudynas qualifie avec justesse la politique conventionnelle de la COP26 de nécropolitique.
Eduardo Gudynas est chercheur au Centre latino-américain d’écologie sociale (CLAES) à Montevideo, en Uruguay. Ses travaux portent sur l’environnement et les alternatives au développement, et il est impliqué dans divers mouvements sociaux qui cherchent à faire avancer ces alternatives. Il est considéré comme l’un des principaux intellectuels en matière d’écologie et de développement en Amérique latine. |
References:
1. http://gudynas.com/wp-content/uploads/GudynasCambioClimaticoFracasoPoliticaDic21.pdf