« Apple n’a pas réussi à nous bâillonner »

Interview de Raphaël Pradeau, porte parole d’ATTAC France, réalisée par Jean-Sébastien Zippert

Raphaël Pradeau, prte parole d’ATTAC
©Photo: npa2009.org

 

Peux-tu nous expliquer en quelques mots ce qu’il s’est passé ces dernières semaines ?

Notre association altermondialiste, qui fêtera ses 20 ans cette année, ne s’était jamais retrouvée devant un tribunal, mais a récemment été convoquée pour deux affaires : la première concerne notre action envers Apple. Le jugement du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris le 23 février dernier a débouté Apple, qui demandait l’interdiction d’accès à ses magasins français par notre association, sous peine d’une astreinte de 150 000 euros par violation de l’interdiction, ainsi que du versement à la marque à la pomme de 3 000 euros : il est clair que cette requête d’Apple si elle avait été acceptée aurait tué dans l’œuf toute velléité de manifester.
C’est la première fois que c’est notre association en tant que personne morale qui est assignée en justice et non via un-e de nos militant-e. En effet dans la deuxième affaire c’est Nicole Briand, une militante d’Attac Carpentras qui est poursuivie par BNP Paribas pour une action de réquisition de chaises menée également dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur l’évasion fiscale menée par les grandes institutions bancaires privées. Le 6 février, nous étions 1000 pour la soutenir devant le Tribunal de Carpentras, son procès a été reporté au 7 juin prochain.
Il est intéressant de noter que Apple n’a pas contesté les informations que vous aviez publiées (cf lien ci-dessous) : mais bien le fait que vous vous rendiez dans leurs magasins pour manifester.

En effet, Apple nous a accusé de « vandalisme » et d’« atteinte à la sécurité » de ses clients et salariés pour demander une astreinte de 150 000 euros en cas de future action d’Attac. Pourtant, comme le reconnaissent d’ailleurs les journalistes qui ont couvert ces actions, celles-ci sont symboliques, non violentes, menées à visage découvert et sans aucune dégradation matérielle. Ces accusations sans fondement ont pesé dans le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris dont le délibéré est très clair : « La simple pénétration de militants dans l’enceinte du magasin Apple Store Opéra, ou dans d’autres magasins situés en France, sans violence, sans dégradation, et sans blocage de l’accès du magasin à la clientèle, ne suffit pas à caractériser un dommage imminent justifiant de limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de manifestation ». Ce que Apple a voulu tenter est une forme de procédure bâillon puissance 2 : en effet cette interdiction de manifester va beaucoup plus loin que la contestation de publication d’informations puisque c’est notre capacité de manifester, et au-delà de notre cas la liberté d’expression au sens large à travers la liberté de manifester qui aurait été remise en cause.

 

Ce jugement vous donne donc le droit de continuer de manifester comme vous l’avez fait ou y a-t-il quand même des restrictions ?

La bonne nouvelle est qu’il n’y plus d’épée de Damoclès sur nos têtes et que nous allons donc continuer notre campagne, le but étant bien sûr d’amener Apple à payer sa juste part d’impôts dans les pays où elle exerce réellement ses activités et à accepter le redressement fiscal de 13 milliards d’euros que lui réclame la Commission européenne en retirant son recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. A noter que deux jours avant le référé d’Apple qui entendait nous interdire de manifester dans ses magasins, nous avions été reçus par la direction d’Apple France, mais cela a été un dialogue de sourds, tout ce qui les intéressait était de savoir si nous comptions poursuivre nos actions. Le tribunal reconnaît la légitimité de nos actions et va jusqu’à dire que nous menons une campagne d’intérêt général sur le paiement des impôts et l’évasion fiscale.

Nous sommes donc très satisfaits de ce jugement en France sachant que nos amis des comités Attac européens ont mené des actions similaires à Genève en Suisse, Cologne et Francfort en Allemagne et Vienne en Autriche. Les modes d’action étaient différents, par exemple en manifestant majoritairement en restant en dehors des Apple Store. Il est vrai que la culture de la désobéissance civile comme les lois régissant le droit de manifester ne sont pas les mêmes dans chaque pays.

 

Comment analyse tu la situation de Apple après le jugement ?

Ils ne savent pas trop sur quel pied danser avec nous. Leur grande crainte est que nous continuions notre action, car ils se rendent bien compte que ces manifestations ne sont pas bonnes pour leur image de marque, sans oublier que l’injustice fiscale devient de moins en moins acceptée dans nos pays.

Comment interprètes-tu les déclarations du Ministre de l’économie Français Bruno Le Maire qui a déclaré le 14 mars dernier porter plainte contre Apple et Google pour les pratiques commerciales déloyales. Sont-elles liées à votre action ?

Bruno Le Maire s’est plus intéressé à la question de l’abus de position dominante occupée par Google et Apple sur les marchés français et européens, plus qu’à la question de l’évasion fiscale. Nous constatons que suite à la publication des Paradise Papers, les transnationales en général et les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) en particulier ne sont plus intouchables. Tous les gouvernements constatent bien que leurs populations vont les juger par rapport au prisme de l’équité fiscale particulièrement dans un contexte d’austérité où de grands sacrifices sont demandés aux classes populaires comme moyennes des pays. Mais pour l’instant les mesures annoncées ne permettent pas de mettre fin au fait que les multinationales échappent à l’impôt.

 

Comment ont réagi les autres ONG, syndicats qui ont suivi votre campagne contre Apple ?

Ils ont tous été soulagés car si Apple avait obtenu gain de cause cela aurait créé une jurisprudence très grave sur le droit de manifester en France : ce jugement dépasse donc de loin le cas de notre association et même celui de notre combat pour la justice fiscale. Il va donc aider toutes les organisations politiques syndicales ou de la société civile à revendiquer plus fortement leurs mots d’ordre. Rappelons qu’Attac n’est qu’un acteur de la campagne appelée « Iphone revolt » qui entend interpeller Apple sur différentes thématiques. Attac s’était positionné sur la justice fiscale, les Amis de la Terre sur les enjeux de l’extraction des métaux rares et la pollution engendrée par la production des appareils de la marque, l’association Halte à l’obsolescence programmée (Hop) a dénoncé les pratiques d’Apple visant à réduire artificiellement la durée de vie de ses appareils… Ce jugement est donc une victoire pour toutes ces organisations.

 

Sans trahir de secret on peut dire que les actions d’ATTAC dans les magasins d’Apple vont donc continuer ?

Nous allons observer attentivement le comportement d’Apple vis-à-vis de leur amende de 13 milliards de dollars et surveiller aussi de prêt les tractations à Bruxelles traitant de l’imposition pays par pays des bénéfices réalisés par les GAFA. Il est clair que le proposition de la commission Juncker de taxer de 2 à 6 % le chiffre d’affaire réalisé dans chaque pays est insuffisante. En France le gouvernement prévoit une loi sur la fraude fiscale qui s’annonce très insuffisante et nous nous mobiliserons à cette occasion pour exiger que ceux qui peuvent le plus contribuer à l’impôt ne puissent plus y échapper.

A consulter en ligne
APPLE, le hold up mondial
https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/apple-le-hold-up-mondial

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