COP25: Récit de deux événements

Je suis venu à Madrid pour participer à la première semaine de la COP 25. Le Chili est en crise et n’a pas pu accueillir ce grand événement comme prévu et l’Espagne a saisi l’occasion de le faire. Quelqu’un m’a dit que c’est apparemment le plus grand événement après la coupe du monde, malheureusement cette fois-ci la balle est notre Terre. Et nous en jouons le sort dans ce bâtiment monotone, immense et complexe où se déroulent les principales négociations. La majorité des grands pollueurs sont ici pour se laver les mains, mais aussi celles et ceux qui cherchent vraiment le changement.

J’ai essayé de participer à certains événements principalement gouvernementaux, passant d’une négociation à l’autre pour ensuite être chassé car je n’ai pas de badge gouvernemental. Pourquoi diable dois- je faire partie d’un gouvernement pour participer à une discussion sur l’adaptation et l’agriculture? Certains des titres des ateliers dans les grands pavillons vous interpellent lors de votre parcours : Shell accueille un événement sur les solutions basées sur la nature, l’UE sur les solutions basées sur la nature à travers l’agriculture respectueuse du climat, un atelier intitulé « Partenariat commercial avec les petits agriculteurs à travers l’agriculture respectueuse du climat et le financement carbone », etc.

Vous ne ressentez pas et ne voyez pas l’urgence qui est nécessaire ici et tout semble aller lentement, sauf quand Greta Thunberg est arrivée et que tout le monde s’est précipité pour prendre une photo avec elle. Uggggggghghhhhh !

Je voyais des négociateurs gouvernementaux ayant une compréhension limitée de l’histoire et de l’économie politique qui sous-tendaient les négociations. La question principale semble être de savoir combien on peut en tirer de la finance.

Epuisé et avec un intérêt pour la COP au plus bas, le troisième jour, je me suis rendu au Sommet des Peuples. Il se déroule dans une université éloignée de l’événement principal, ce qui est bien sûr très confortable pour les gouvernements. En arrivant, je n’ai pas pu m’empêcher de rire de la différence au niveau de l’ambiance. Des cheveux ébouriffés, des vêtements froissés, des visages joviaux et jeunes, un sentiment de camaraderie et d’amour qui émane de presque tout le monde, et des bannières et des vêtements colorés pour couronner le tout. Quand je suis entré dans la grande tente, j’ai entendu un leader du mouvement social indien dire : « Mes frères et sœurs, si vous allez de l’autre côté, vous voyez les grands pollueurs, espagnols et internationaux, qui font le greenwashing de leurs activités polluantes ». Des sifflements et des applaudissements tonitruants ont suivi. Fiiiiiiwwwwwwww, yesssssssssssss pppplapppppplapppplappppppplappp . « Nous n’allons pas laisser faire ça. » Encore des applaudissements et des sifflements. « Unissons-nous et revendiquons notre Terre, notre vie, notre avenir. Oui ! » Tonnerre d’applaudissements.

Quelle différence ! Ici, je me sentais dans mon élément.

Ici, toute l’idée de « solutions basées sur la nature » est remise en question. Ici, le problème climatique se situe dans le patriarcat, le colonialisme, le capitalisme et le développement. Les questions du financement par le biais des marchés du carbone ou du genre sont discutées dans ces contextes et non dans celui de l’accès aux crédits et aux services. Vous voyez des solutions très pratiques pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Les gardiens de la plus grande partie de notre terre, les peuples indigènes, sont ici en masse et se sentent dans leur élément et prennent la parole dans de nombreux événements. Il n’y a pas de confusion sur les concepts, y compris sur l’agroécologie et la souveraineté alimentaire. Vous voyez très peu de présentations PowerPoint.

En surface, il semble y avoir une déconnexion entre les deux événements. Le pouvoir semble se situer à l’intérieur de l’espace principal de négociation. Les grandes entreprises ont réclamé cet espace. Elles organisent des événements, l’inondent de leurs publications sur papier glacé, emmènent les principaux gouvernements dans des hôtels coûteux pour organiser des réunions individuelles ou de groupe, promettent des millions de dollars et influencent la discussion et les décisions. Comme l’a dit Greta Thunberg, elles s’occupent de « comptabilité intelligente et de relations publiques créatives ». Ce qui est bien, c’est que, même dans le grand espace où les gouvernements et les entreprises font semblant de se soucier du climat, il y a des milliers d’organisations et de gens qui essaient de changer véritablement le statut quo.

Malgrétoutecetteapparentedéconnexion et cette apparente animosité entre les deux événements, il y a aussi un courant beaucoup plus encourageant et positif. J’ai été invité à un événement organisé par Biovision, une ONG suisse travaillant sur les questions de durabilité. Nous étions nombreux et il y a eu quelques discours, y compris de la part de représentants des gouvernements allemand et français. Ils ont tous les deux affirmé qu’ils s’efforcent de faire de l’agroécologie une orientation politique pour leurs pays respectifs. Le seul processus de la CCNUCC, centré sur l’agriculture, le Koronivia Joint Work on Agriculture (KJWA), contient un certain nombre de références à l’agroécologie ou à des éléments de l’agroécologie. J’ai entendu dire que l’UE a parlé du Green New Deal, qui est lié au Green New Deal aux États-Unis. Ce sont là des initiatives radicales qui pourraient changer la façon dont notre monde fonctionne. Il y a donc de l’espoir et des relations sous-jacentes entre les deux événements. Ce que nous devons faire, c’est utiliser les petites possibilités, les petites fenêtres, pour promouvoir les changements transformateurs dont nous avons tous envie et que notre époque nous demande. J’espère vraiment que les gouvernements et d’autres décideurs de haut niveau ressentent l’urgence et agissent en conséquence. Cependant, nous devons tous rester vigilants pour nous assurer que le changement est réel et transformationnel. Sinon, ils continueront à faire leurs vieux tours sous le couvert de nouvelles initiatives, dont les solutions basées sur la nature.

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