Coup d’Etat en Bolivie

Le 20 octobre dernier, un coup d’Êtat a été opéré en Bolivie : le Président Evo Morales dont le mandat devait seulement expirer le 22 janvier prochain, a été obligé de démissionner. Ce sont les forces armées qui, par la voix du général Williams Kaliman, lui ont « suggéré » de se démettre de ses fonctions. Comme ses collègues, Williams Kaliman a reçu sa formation à l’École militaire des Amériques aux États-Unis.

En Amérique latine, les dirigeants de gauche du Venezuela, du Nicaragua, de Cuba, ainsi que le président élu argentin Alberto Fernandez (péroniste, centre-gauche) et l’ancien président brésilien Lula, ont tous dénoncé un «coup d’État» contre Evo Morales. Tout comme Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar, membres du Congrès américain et des intellectuels comme Noam Chomsky and Vijay Prashad.

L’Union Européenne a, en fait, soutenu ce coup d’État. Elle a reconnu la présidente auto-proclamée de Bolivie, Jeanine Añez. De son côté, le Parlement européen s’est refusé à qualifier de « coup d’État » le putsch civico-militaire. La Haute-représentante de l’Union pour la politique étrangère, Federica Mogherini, a déclaré en session plénière du Parlement que « l’UE soutient une solution institutionnelle qui permette qu’il existe un gouvernement intérimaire qui prépare de nouvelles élections et évite un vide de pouvoir qui aurait des conséquences pour tout le pays ».

Accompagné par ses plus proches collaborateurs dont le Vice-Président Álvaro García Linera et certains de ses Ministres, Evo Morales s’est réfugié au Mexique. À son arrivée à Mexico City, Evo Morales a exprimé sa gratitude au Président du Mexique Andrés Manuel López Obrador « pour lui avoir sauvé la vie ». L’avion qui le transportait est arrivé à la suite d’une véritable odyssée et d’un vol au cours duquel certains pays, comme le Pérou ou l’Équateur, lui ont refusé le droit d’atterrissage l’obligeant à des détours compliqués et dangereux.

Des élections honnêtes et le comportement frauduleux de l’OEA

Le 20 octobre a eu lieu une élection présidentielle qu’Evo Morales a gagnée avec une avance de plus de 10 % sur son rival Carlos Mesa, avance minimale nécessaire pour lui assurer une victoire dès le premier tour. Carlos Mesa a toutefois contesté la victoire d’Evo Morales affirmant que les résultats des élections lui ont assuré une avance inférieure à 10%. Un second round des élections devait donc être organisé. Demande soutenue par une délégation de l’Organisation des États Américains (OAS) arrivée à La Paz et qui a très vite affirmé avoir constaté des irrégularités dans le vote.

Une enquête sur le résultat des élections et sur le décompte effectué a été réalisée par le Centre de Recherche Économique et Politique (Center for Economic and Policy Research (CEPR), établi à Washington. Selon cette enquête présentée sur une quinzaine de pages, « l’analyse statistique des résultats électoraux et les fiches de comptage des élections du 20 octobre en Bolivie ne mettent pas en évidence des irrégularités ou une fraude de nature à affecter le résultat officiel donnant au Président Evo Morales une victoire au premier tour des élections ».

«Ni la mission de l’OEA, ni aucun autre parti politique n’ont démontré qu’il y a eu des irrégularités généralisées ou systématiques lors des élections du 20 octobre ».  Les premiers communiqués de presse et le rapport préliminaire de l’OEA ont pourtant été largement repris par les médias internationaux et boliviens, constate le rapport du CEPR. En précisant que les États-Unis fournissent 60 % du budget de l’OEA. Un rapport qui, semble-t-il, n’a guère intéressé les responsables de l’UE. Pourquoi ?

Le bilan d’Evo Morales

Au cours de ses treize ans au pouvoir en Bolivie, Evo Morales a introduit des changements profonds : Le pays, où vivent 10 millions d’habitants, a connu une stabilité politique, économique et sociale. inhabituelle. Les ressources naturelles ont été nationalisées. La croissance économique a été la plus élevée parmi tous les pays de l’Amérique latine (4,9 % en moyenne les derniers six ans). Le PIB est passé de 9 574 à 40 885 milliards de dollars entre 2005 et 2019. Le chômage et tombé de 38,2 à 15,2 % en treize ans. L’espérance de vie a augmenté de neuf ans passant de 64 à 71 ans. L’analphabétisme a été éradiqué. L’extrême pauvreté a été réduite de 38 à 17 % entre 2006 et 2017, la mortalité infantile de 56 %. Le salaire minimum a connu une hausse de 60 à 310 dollars. 50 % des membres du Parlement sont des femmes. Plus d’un million de femmes ont reçu des titres de propriété jusqu’en 2018. La Bolivie a été transformée en un État plurinational où 36 ethnies différentes sont reconnues.

Contrairement aux politiques néolibérales poursuivies dans la plupart des autres pays de l’Amérique Latine, le gouvernement d’Evo Morales a développé le secteur économique étatique dans des domaines stratégiques comme l’énergie et le secteur minier assurant des revenus importants à l’État. La Bolivie possède de grandes réserves mondiales minières, notamment de lithium, une matière première très importante servant dans la production de véhicules électriques, d’avions, de batteries, de téléphones mobiles ainsi que de médicaments. Que le contrôle de cette matière première stratégique en particulier échappe au secteur privé est difficilement accepté par les États-Unis et les multinationales.

En 2008, Evo Morales a expulsé l’Ambassadeur des États-Unis accusé de s’immiscer indûment dans les affaires intérieures et extérieures du pays et de préparer un changement de régime. Il a rappelé son Ambassadeur de Washington. Ce qui n’a pas empêché le chargé d’affaires américain à La Paz de tirer les ficelles des mouvements d’opposition et de contribuer discrètement à inspirer et à préparer le coup d’État du 20 octobre.

En 2016, au cours d’un référendum, une majorité de la population (51,3%) s’était prononcée contre un troisième mandat d’Evo Morales. Ce dernier n’a pas respecté le résultat de ce vote en s’appuyant sur une décision de la Cour constitutionnelle invalidant le résultat du référendum. Evo Morales a été affaibli également par les divisions internes et le relâchement des fidélités de son parti.

Violences et explosion du racisme

La contestation des résultats des élections a été accompagnée par des violences éclatant dans tout le pays. Les indigènes ont organisé dans plusieurs villes de la Bolivie, comme à El Alto de La Paz et à Cochabamba, des manifestations de soutien à Evo Morales. Elles ont été sévèrement réprimées par les forces de l’ordre, à grand renfort d’hélicoptères et de blindés. Au moins 33 personnes ont ainsi perdu leur vie, 800 ont été blessées et plus de 1000 détenues.

La maison de Evo Morales a été saccagée tout comme celles de plusieurs Ministres et d’Álvaro García Linera où quelque 30 000 livres ont été brûlés. Partout dans le pays, des bandes armées et des milices de l’opposition ont criminalisé et agressé des militants et des dirigeants du Mouvement pour le Socialisme (MAS), parti d’Evo Morales. Elles ont intimidé des journalistes, brûlé des drapeaux Wiphala, symboles des indigènes et mis le feu aux maisons de membres du MAS et notamment à celle de la sœur d’Evo Morales. S’en prenant à des femmes indigènes, elles ont torturé la mairesse de Vinto, Patricia Arce Guzmán, lui coupant les cheveux et lui versant de la peinture rouge sur tout le corps. Elles l’ont finalement obligée à marcher pieds nus durant cinq kilomètres pour arriver au pont de Huayculi où elle fut insultée et humiliée avant d’être sauvée par la police.

Evo Morales est le premier président indigène du pays. Il a amélioré la situation sociale notamment des indigènes – la majorité de la population-, qui auparavant ont été traités comme des citoyens de seconde classe. L’élite généralement blanche et souvent ouvertement raciste n’a jamais pu le digérer. Le coup d’État perpétré est leur revanche.

La revanche de la minorité blanche  

Le 12 novembre, lors d’une session du Congrès bolivien se réunissant sans le quorum necessaire et en violation de la constitution, la sénatrice de l’extrême droite Jeanina Añez, issue d’un parti minoritaire, s’est déclarée « Présidente par interim » de la Bolivie. Elle a signé un décret exonérant totalement de toute responsabilité pénale les militaires déployés face aux manifestants. Elle s’est fait connaître par ses propos irrespectueux à l’égard des indigènes. Ainsi, a-t-elle écrit « je rêve d’une Bolivie libérée des rites sataniques indigènes ». Elle a expulsé les médecins cubains qui avaient en particulier opéré gratuitement 700 000 Boliviens du glaucome. Son gouvernement autoproclamé a, sans tarder, été reconnu et soutenu par les États-Unis et ses alliés régionaux.

Jeanina Añez a été appuyée par les milieux de la droite et de l’extrême droite de la region de Santa Cruz connue pour ses tendances séparatistes. Un de leurs dirigeants est Luis Fernando Camacho, un oligarche et multimillionaire puissant, président des comités civiques de Santa Cruz. Mentionné dans les Panama-Papers, Camacho est un fondamentaliste chrétien, ultra-conservateur, proche des milieux paramilitaires fascistes et connu pour son racisme violent. C’est lui qui, le lendemain du coup d’État, s’est présenté à l’entrée du Palais présidentiel avec une bible à la main en proclamant « la Pachamama ne retournera plus jamais au Palais, la Bolivie appartient au Christ ». Il a annoncé sa candidature aux prochaines élections présidentielles.

La censure a été installée en Bolivie. Plus que jamais, les médias répandent des messages haineux contre les indigènes et les pauvres en général. Ils dénigrent Evo Morales affirmant qu’il est » un dictateur et un ennemi de la paix sociale ».

Dans un contexte de grande instabilité, il n’est pas sûr si de nouvelles élections pourront être organisées, comme semble l’envisager Jeanina Añez, ni à quelle date celles-ci pourraient se tenir. La Bolivie fait face à un avenir incertain.

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