Droits humains et changement climatique : le renforcement de la résilience socio-écologique des communautés à travers l’information et la participation

Quelle est la relation entre les droits humains et le changement climatique ? Est-ce que l’accès à l’information et la participation peuvent augmenter la résilience socio-économique des populations ? Ces questions parmi d’autres, furent à l’ordre du jour du 21ème séminaire informel sur les droits humains ASEM 21 (Asia-Europe Meeting) qui s’est tenu au Luxembourg en mars 2022. Une réflexion conjointe a été menée avec les partenaires de l’ASTM en Asie afin de préparer la participation à cet échange. L’article tente de donner un aperçu des conclusions principales concernant l’accès à l’information et la participation citoyenne qui ont été formulées suite à ce riche dialogue entre la société civile, le monde académique et des représentants de l’Etat et des organisations internationales.

source: https://asef.org/projects/asemhrs21/

Il est important de noter qu’aussi bien le changement climatique que les réponses au changement climatique peuvent affecter négativement la jouissance des droits humains. Le changement climatique peut, par exemple, affecter le droit à la vie, à l’alimentation ou à l’eau et à l’assainissement alors que les réponses mises en place peuvent avoir un impact sur le droit à la terre ou à la culture à travers des mesures de limitation d’accès et d’utilisation de ressources naturelles ou en relation avec des projets d’énergie renouvelables.

C’est dans le cadre de l’accord de Cancun de 2010 que la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique a pour la première fois fait référence aux droits humains en soulignant que les États devraient respecter les droits humains dans toute action concernant le changement climatique. Depuis, la complexité de la relation entre le changement climatique et les droits humains est de plus en plus abordée dans les instruments internationaux définissant les obligations des États par rapport à ces deux sujets. En effet, le Conseil des droits de l’homme a également adopté 11 résolutions depuis 2008, mettant l’accent sur l’importance d’une approche basée sur les droits en matière de changement climatique.

Dans le cadre de cette approche, la participation et l’accès à l’information sont essentiels pour permettre aux citoyens (détenteurs des droits) d’exiger de l’État (détenteur d’obligations) le respect et la réalisation des normes contenues dans les traités internationaux des droits humains. En effet, la participation citoyenne est un droit humain reconnu dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle comble certaines lacunes de la représentation politique telles que la difficulté d’articuler des intérêts ou le caractère standardisé de certaines décisions bureaucratiques, entre autres. Face à ces problèmes, la participation citoyenne peut améliorer la qualité des décisions publiques, leur donner plus de légitimité ou encore servir comme moyen de contrôle de l’État. Cependant, la participation ne doit pas uniquement être comprise comme une consultation des différents détenteurs de droits, mais elle doit faire en sorte qu’ils puissent faire partie des décisions et des actions de la vie publique. Cela implique un accès total à l’information, des institutions ouvertes et transparentes, ainsi que des mécanismes qui stimulent et permettent la participation de tous les détenteurs de droits et de devoirs.

Pourquoi l’accès à l’information et la participation sont-ils importants dans le contexte du changement climatique ?

Accès à l’information

L’accès à l’information est une condition sine qua non pour permettre la participation. En relation avec le changement climatique, l’accès à l’information permet de comprendre comment ces changements peuvent affecter les droits tels que les droits à la vie et à la santé, et soutenir l’exercice d’autres droits tels que les droits à la liberté d’expression et d’association. Ainsi, comme le Rapporteur spécial sur les droits humains et l’environnement l’a signalé, les États devraient évaluer les impacts du changement climatique et des mesures de réponse, et rendre ces informations publiques. Ils devraient aussi fournir un accès abordable, efficace et rapide aux informations sur l’environnement à la demande de toute personne ou association sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un intérêt juridique ou autre[1]. De même, les entreprises devraient divulguer publiquement leurs émissions, leur vulnérabilité climatique et le risque d’actifs échoués.

Aujourd’hui, il existe déjà certaines initiatives, tant au niveau international qu’au niveau national, pour mettre en oeuvre les obligations de l’État et des entreprises en matière d’information environnementale.Aux Philippines, par exemple, un centre d’information a été créé dans le cadre du Plan national d’éducation environnementale afin de contribuer à la dissémination d’informations sur le changement climatique.

La voie du recours en justice a aussi été utilisée par la société civile à cette fin. Ainsi, dans l’affaire Greenpeace Luxembourg vs. Schneider, l’ONG a porté plainte contre le manque de communication de la part des autorités suite à une demande d’informations concernant la manière dont le fonds de pension prévoyait d’aligner ses investissements sur les objectifs de l’accord de Paris et les risques climatiques associés à ces investissements. Le tribunal administratif du Luxembourg a déclaré que le ministre en question n’avait pas respecté l’obligation de répondre à Greenpeace et que les informations demandées pouvaient être considérées comme des informations environnementales. Le tribunal a toutefois estimé que le ministre n’avait pas l’obligation de se conformer à l’Accord de Paris ou de posséder les informations requises par Greenpeace.

En outre, des législations nationales demandent de plus en plus de transparence aux entreprises sur les questions liées au respect des droits humains et à l’impact environnemental dans le contexte de leurs activités économiques, comme par exemple les lois sur le devoir de vigilance en France et en Allemagne. Les Points de contact nationaux créés dans le cadre des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sont de plus en plus utilisés pour étudier les demandes d’information adressées aux entreprises.

Participation

En vertu du droit international des droits humains, les États ont l’obligation d’assurer et de faciliter la participation du public au processus décisionnel relatif à l’environnement et de prendre en compte les opinions du public dans le processus décisionnel. Pour garantir cette participation, les États devraient renforcer la capacité des citoyens et des communautés à participer à la prise de décision en lien avec le changement climatique. Ceci est particulièrement important pour les communautés les plus affectées car la participation permet de mettre en place des solutions adaptées aux parties prenantes et de rendre les décisions légitimes auprès de la population.

Dans certains pays, des expériences ont déjà été faites pour faciliter la participation citoyenne comme, par exemple, des Assemblées sur le climat au Royaume-Uni, en France ou en Espagne. Le recours à la justice est également utilisé en matière de participation publique. Par exemple, le Comité d’examen de la Convention d’Aarhus a estimé que le Royaume-Uni et l’UE avaient violé leurs obligations en adoptant une législation et une politique en matière d’énergies renouvelables sans une participation adéquate du public. En conséquence, l’UE a récemment révisé sa propre législation pour permettre un meilleur contrôle public de ses lois environnementales[2]. La Convention d’Aarhus qui porte sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, impose aux autorités publiques l’obligation de partager les informations relatives aux questions environnementales et de permettre au grand public et aux citoyens concernés de participer au processus décisionnel en matière d’environnement.

Des mécanismes existent mais …

Lors du dialogue entamé à l’occasion du 21ème séminaire informel sur les droits humains ASEM 21, les participants ont fait le constat que même si des mécanismes existent pour faciliter l’accès à l’information et la participation citoyenne en matière de changement climatique, ils sont souvent contournés, négligés ou méconnus à cause d’un manque d’informations et de transparence. En voici quelques exemples.

Suite au changement climatique, les Philippines risquent d’avoir des pénuries d’eau à cause de saisons sèches plus longues. Pour y remédier à long terme, le gouvernement philippin a repris le projet du barrage de Kaliwa, d’un montant de 12,2 milliards de pesos (plus de 213 millions d’euros). Ce projet est censé sécuriser les besoins d’eau à Manille en détruisant le Sierra Madre, un sanctuaire de biodiversité et lieu de résidence du peuple autochtone Dumagat Remontados. Selon la Haribon Foundation,[3] le projet ne respecte pas les processus juridiques et entraînerait le déplacement de milliers de personnes. Le site de construction visé se situerait dans un domaine ancestral où se trouvent au moins 5 000 personnes du peuple Dumagat-Remontados. Environ 300 d’entre elles seraient directement touchées dès le début de la construction sans compter celles qui seraient à terme contraintes d’évacuer leurs terres. Jusqu’à présent, le projet n’a pas réussi à obtenir leur consentement préalable, libre et éclairé. En outre, selon l’ONG Cordillera People’s Alliance, le gouvernement n’a procédé à aucune consultation communautaire avant de signer l’accord de prêt avec China Exim. Ceci a été fait en toute opacité et l’accord n’a été publié qu’à la demande de la société civile. Des organisations de défense des droits des peuples indigènes ont également dénoncé des opérations policières et militaires à l’encontre des défenseurs de la terre et de l’environnement qui s’opposent au barrage de Kaliwa. La Commission des droits humains aux Philippines souligne « qu’il n’y a aucune justice à soulager la soif d’eau si c’est au prix de la destruction de communautés… L’eau est un droit humain et chaque Philippin mérite d’avoir accès à un approvisionnement en eau propre et adéquat… nous demandons avec insistance au gouvernement de considérer sérieusement les alternatives viables telles que l’identification d’autres emplacements pour les barrages hydrauliques, la réhabilitation des barrages hydrauliques existants et le soutien à la conservation des bassins versants. »

Un autre exemple de manque de participation citoyenne dans les décisions prises pour lutter contre le changement climatique, cette fois-ci en Europe, est le Green Deal de l’Union Européenne qui a été fortement critiqué par la société civile. En effet, selon l’Eurobaromètre, le changement climatique constitue l’une des principales préoccupations des Européens. Des groupes de la société civile ont dénoncé que la priorité a été donnée à l’économie au lieu de l’environnement et du climat. Des consultations publiques ont certes été réalisées par la Commission mais leur diffusion auprès des citoyens a été jugée insuffisante par certains acteurs. En effet, la feuille de route ouverte aux retours a reçu uniquement 926 contributions pour 27 États membres ce qui est loin d’être représentatif et de refléter l’opinion de centaines de millions de citoyens.

Un autre exemple de ce manque de participation et de transparence est la classification du gaz et de l’énergie nucléaire comme des énergies vertes par la Commission européenne dans le cadre de la Taxonomie, et ceci malgré l’opposition de la société civile et des experts.

Conclusion

La participation citoyenne et l’accès à l’information sont des outils importants pour mettre en place des politiques efficaces de lutte contre le changement climatique et garantir la résilience socio-écologique des communautés. Cependant, même si certaines bonnes pratiques ont été identifiées au niveau national, régional et international, le manque de volonté politique et certains intérêts économiques empêchent la construction de processus intégrants et transparents. Dans ce contexte, la société civile joue un rôle très important dans sa fonction de veille afin d’exiger de l’État le respect des accords internationaux en matière de droits humains et de changement climatique. Elle constitue également une source d’information et peut jouer le rôle d’intermédiaire entre les communautés les plus vulnérables et les États.

Voici quelques recommandations formulées à l’attention des États lors du dialogue afin d’améliorer les mécanismes de participation :

  • Les États doivent promouvoir une participation réelle des citoyens : la participation doit être utilisée pour informer et contrôler les décisions. De plus, les processus de participation doivent être clairs et dûment communiqués au public dans une langue compréhensible et accessible.
  • La société civile ne peut accomplir ses missions que si elle est renforcée : les États devraient s’appuyer sur des structures indépendantes déjà existantes de la société civile et s’assurer que ces organisations reçoivent les ressources nécessaires. La formation et le renforcement des capacités sont nécessaires non seulement pour inciter la société civile à la participation mais aussi pour que les structures étatiques soient capables de mener des consultations inclusives.
  • Une participation ne peut être inclusive qu’avec une approche intersectorielle : il est important de prendre en compte la question du genre, de respecter les droits des populations les plus vulnérables et d’inclure la jeunesse.
  • La protection des défenseurs des droits environnementaux doit être une priorité pour les États.
  • Il faut absolument avancer dans la création de mécanismes contraignants tels que des législations sur le devoir de vigilance des entreprises afin de rendre leurs opérations plus transparentes.

 


notes de bas de page:

[1] A/HRC/37/59, Rapport du Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, principe cadre 7, commentaire 17-18.

[2] Regulation (EU) 2021/1767 of the European Parliament and of the Council of 6 October 2021 amending Regulation (EC) No 1367/2006 on the application of the provisions of the Aarhus Convention on Access to Information, Public Participation in Decision-making and Access to Justice in Environmental Matters to Community institutions and bodies PE/63/2021/REV/1 OJ L 356, 8.10.2021, p. 1–7

[3] Stop Kaliwa Dam – The Haribon Foundation

Bibliographie:

 

Brennpunkt Drëtt Welt est édité par Action Solidarité Tiers Monde
136-138, rue Adolphe Fischer L-1521 Luxembourg RCS F6030 www.astm.lu