Edito

La résilience est sur toutes les lèvres. Le concept semble avoir définitivement détrôné celui du développement durable. Ceci devrait suffire à alerter nos esprits critiques. Mot-valise, chacun lui donne le contenu qu’il veut. On pourrait ne pas se soucier de cette banalisation, sauf que son appropriation est loin d’être innocente, participant d’une fabrique de consentement à peine voilée. « La résilience est d’abord une mise en récit, un discours qui apparaît comme un instrument d’exercice du pouvoir » (Samuel Rufat, Critique de la résilience pure, 2011)

En psychologie, Boris Cyrulnik définit la résilience comme « l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale ». En écologie scientifique, « la résilience mesure la capacité d’un écosystème à maintenir son intégrité et à revenir à l’équilibre lorsqu’il est soumis à une perturbation » (C.S. Holling).
Transposé au discours politique, le concept de résilience soulève au moins trois problèmes fondamentaux : il pose le sujet de la crise comme un corps uni; il cible la cause du déséquilibre comme une circonstance extérieure; il induit comme seule réponse possible l’adaptation à l’environnement changé.

Les sociétés humaines ne sont pas des corps unis qui, ensemble, seraient confrontés de manière égale, aux conséquences de la crise du Coronavirus. Celle-ci non seulement souligne les inégalités ; elle les accentue. L’appel au combat commun et l’activation de la fibre morale des citoyens passent sous silence les différences abyssales de situation qui séparent les uns des autres. Les catégories discriminées sont infinies : Afro-américains aux USA, professionnels de la santé BAME au R-U, habitants des bidonvilles en Haïti, travailleurs de première ligne dans les maisons de soin dans nos pays, etc. Ainsi, l’écrivaine française Brigitte Giraud relevait avec justesse combien le « Restez chez vous!» est réellement problématique pour qui habite un 50m2 dans la « cité » (Le Monde (10/05/20).

Tout le monde n’est pas dans le même bateau. Ce constat amène à notre deuxième critique: la cause de la crise n’est pas à chercher en dehors de notre organisation sociale (un accident de la nature, une malédiction divine) mais bien à l’intérieur de celle-ci. Comme le soulignent scientifiques et observateurs, la zoonose et son extension mondiale sont liées à l’ordre socio-économique qui nous régit : réduction galopante de la biodiversité et des habitats sauvages, industrialisation de l’agriculture, massification du tourisme et des vols aériens, coupes budgétaires dans la santé, etc. La causalité entre notre modèle de développement, le capitalisme financiarisé, et la pandémie et ses conséquences sociales est établie. La notion de résilience déplace l’attention vers « un futur souhaitable », occultant « les lacunes qui ont fait que nos politiques nous ont menés à la production de vulnérabilités» (Annabelle Moatty, France Culture, 20/04/16).

Enfin,  « résilience » induit l’injonction « il faut s’adapter » (Barbara Stiegler, 2019). Comme si tout le monde était en mesure de s’adapter. Mais surtout: à quoi s’adapter ? Le nouvel équilibre recherché n’est-il autre qu’un équilibre compatible avec le modèle qui, bien qu’à l’origine de la perturbation, est précieusement placé hors discussion? S’adapter, et donc, renoncer à transformer. Si c’est le cas, la résilience n’offre aucune perspective puisque les mêmes causes produiront les mêmes maux, plus fréquents et dévastateurs.

Voilà pourquoi, à la notion de « résilience », nous préférons celle de « résistance », qui ramène au cœur des débats la réalité crue des inégalités et l’espoir des luttes solidaires. Aussi, l’internationale des résistances nous paraît bien plus féconde que la résilience d’une nation.
Vous lirez ici de multiples illustrations de résistances portées, avec courage et solidarité, par des femmes et des hommes du Sud. Vous y découvrirez également de nombreuses invitations à résister, là où nous sommes. Bonne lecture.

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