Editorial

En domptant Modi, les électeurs ont commencé à rendre à l’Inde sa démocratie.

Alors que ce numéro du brennpunkt était en cours de rédaction, les élections générales en Inde, régulièrement qualifiée de « plus grande démocratie du monde », se déroulaient depuis six semaines. Ce terme est discutable, étant donné que, selon l’Institut V-Dem basé en Suède, entre autres, l’Inde est passée d’une démocratie électorale à une autocratie électorale.[1] Ce processus d’autocratisation s’est accompagné de restrictions à la liberté d’expression, d’attaques contre la société civile et les journalistes critiques, et de l’utilisation de lois financières et antiterroristes pour cibler les défenseurs des droits humains.

Contrairement à la plupart des prévisions et malgré les tentatives du parti nationaliste hindou BJP au pouvoir d’influencer le résultat par divers moyens, notamment l’arrestation de dirigeants de l’opposition, tels que le ministre en chef de Delhi, Arvind Kejriwal, et le gel des comptes bancaires du principal parti d’opposition, le Parti du Congrès, l’affaiblissement de la Commission électorale, le harcèlement judiciaire des hommes et femmes politiques de l’opposition, et l’incitation à la haine contre la communauté musulmane, le parti BJP de Modi n’a pas obtenu la majorité absolue, l’obligeant ainsi à former une coalition avec d’autres partis qui l’avaient soutenu lors de la campagne électorale mais qui ne sont pas nécessairement des partenaires fiables. Cela signifie non seulement que Modi devra faire des compromis dans le cadre d’une coalition, mais aussi que, pour la première fois depuis de nombreuses années, il y aura une opposition forte. Le résultat a été chaleureusement accueilli par les nombreuses personnes en Inde qui craignaient que la démocratie ne soit sérieusement menacée.

Des changements politiques sont attendus, notamment pour s’attaquer à l’inégalité flagrante de la société indienne, où les 10 % les plus riches détiennent 77 % de la richesse nationale alors que les 60 % les plus pauvres n’en détiennent que 4 %, et pour mettre fin à l’incitation à la haine envers les groupes minoritaires, en particulier les citoyens musulmans, et à la répression de la société civile qui a marqué les dix dernières années sous Modi. Ces faits ont été largement négligés par les dirigeants européens, qui semblaient plus intéressés par les intérêts économiques et géopolitiques que par la nécessité de tenir l’Inde responsable de sa répression croissante des droits humains et de la société civile, en dépit des appels des organisations internationales de la société civile.[2]

La décision de l’électorat indien montre qu’il n’est plus disposé à accepter le nationalisme hindou extrême et le régime autocratique du BJP de Modi de ces dix dernières années. L’avenir nous dira si le nouveau Parlement indien sera en mesure de mettre un frein à ses politiques les plus extrêmes en faveur de politiques plus inclusives qui bénéficient aux couches les plus pauvres de la société.

Dans l’article « Illusions électorales : la super année électorale 2024 » de ce numéro du brennpunkt, l’écologiste et écrivain indien Ashish Kothari affirme que « les élections ne suffisent pas ». Dans les années à venir, une société civile indienne dynamique est nécessaire pour garantir que le nouveau Parlement rende des comptes à la population dans le cadre d’un nouveau processus de redémocratisation.


Notes:

[1] V-Dem Institute, Democracy Report 2024 : Democracy Winning and Losing at the Ballot, mars 2024, https://www.v-dem.net/documents/43/v-dem_dr2024_lowres.pdf (consulté le 11 juin 2024).

[2] Lettre d’Amnesty International à la président de la Commission européenne : https://www.amnesty.eu/wp-content/uploads/2023/10/TIGO_IOR_10_2023_4592-Amnesty-International-India-FATF-Commission.pdf (consulté le 11 juin 2024).

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