Editorial

Le secteur privé est-il nécessaire pour résoudre les crises mondiales auxquelles nous sommes confrontés, ou est-ce faire entrer le loup dans la bergerie ?

L’une des plus grandes réussites des entreprises ces dernières années est sans doute la façon dont ses représentants ont réussi à faire passer le message que les grandes crises auxquelles le monde est confronté aujourd’hui ne peuvent être résolues sans eux, en se présentant comme une partie de la solution plutôt que comme le problème.

Le concept d’ « emprise des entreprises », selon lequel les institutions publiques et l’élaboration des politiques gouvernementales sont dominées par les grandes entreprises, n’est pas nouveau. Dans les années 1970, des efforts étaient déjà déployés aux Nations unies pour limiter l’influence des sociétés transnationales et la société civile mettait en garde contre les dangers de l’impact de leurs activités sur les pays du Sud. Toutefois, ces dernières années, le rôle joué par le secteur privé a pris une forme nouvelle et plus inquiétante, les sociétés transnationales et les méga-philanthropies ne se contentant pas d’influencer les politiques de l’extérieur, mais s’asseyant réellement à la table des décisions.

Cette édition de brennpunkt rassemble un certain nombre d’exemples de la façon dont cette tendance se développe et a un impact sur des domaines politiques clés tels que la santé, l’alimentation, le climat et les droits humains. Plusieurs articles soulignent la menace qui pèse sur le fonctionnement démocratique des gouvernements élus et des organisations multilatérales en raison de l’influence croissante des grandes entreprises, mais aussi, de manière clairement liée, de l’incapacité des institutions internationales et de ceux qui ont le pouvoir de décision à reconnaître cette « épine dans le pied », c’est-à-dire le fait que le système actuel, de plus en plus dominé par les entreprises, est largement responsable des principaux problèmes auxquels le monde est confronté aujourd’hui.

Il est clair qu’il ne suffira pas de bricoler le système existant, mais qu’un changement systémique sera nécessaire.

Comment pouvait-on s’attendre à des engagements sérieux en matière de réduction des gaz à effet de serre à Glasgow, alors que le nombre de lobbies pétroliers et gaziers participant à Glasgow dépassait de loin la plus grande délégation nationale ? Comment peut-on s’attendre à ce que l’initiative COVAX, destinée à garantir un accès équitable aux vaccins COVID-19 pour les populations les plus vulnérables, tienne ses promesses alors qu’elle s’appuie sur un certain nombre de sociétés pharmaceutiques à but lucratif, et comment peut-on s’attendre à ce qu’un Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires dominé par l’industrie agroalimentaire s’attaque sérieusement aux problèmes de la faim, de la santé et du climat ?

Il semble que les pouvoirs en place aient reconnu que les moutons sont tués dans la bergerie – et font entrer le loup pour résoudre le problème !

Mais les articles ne donnent pas l’impression d’une résignation face à cette prise de contrôle par les entreprises, mais plutôt d’un appel à poursuivre et à intensifier notre résistance par le biais du lobbying politique à tous les niveaux ou, comme le suggère Frenz Azzeri, en repensant nous-mêmes notre société : « Nous pouvons organiser le monde différemment, c’est une question de choix de société ».

Brennpunkt Drëtt Welt est édité par Action Solidarité Tiers Monde
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