Editorial

Ce numéro du Brennpunkt Drëtt Welt, consacré aux droits humains, incite le lecteur à inverser le regard. S’il est devenu à la mode d’affirmer, un peu partout, « We are part of the solution », il faut commencer par reconnaître « We are part of the problem ».

Quelle est la valeur des droits humains des migrant·e·s si la façon dont ils sont mis en œuvre dépend, avant tout, de considérations politiques et géostratégiques propres au pays « d’accueil » ? La sociologue Karen Akoka, interviewée sur les résultats de son enquête fouillée publiée dans son ouvrage L’asile et l’exil, une histoire de la distinction réfugiés/migrants, nous invite à nous « affranchir des lectures positivistes du droit comme un corpus cohérent, possédant une intention, voire un sens univoque », pour nous intéresser davantage aux usages qu’il en est fait et aux intérêts qui les sous-tendent.

Dans le documentaire L’illusion de l’abondance, Bertha Zúñiga Caceres, fille de la militante écologiste hondurienne, Berta Caceres, assassinée en 2016, s’interroge : « Pourquoi payons-nous le prix du consumérisme occidental agressif ? ». Matthieu Liétaert, coréalisateur du documentaire, se réfère dans son interview à Eduardo Galeano (Les veines ouvertes de l’Amérique latine), qui notait que « le sous-développement de certains est la condition nécessaire au développement d’autrui ».

L’article consacré à l’indivisibilité des droits humains rappelle que les États riches sont invités, dans le cadre de la coopération au développement, à déployer des efforts « au maximum de leurs ressources disponibles » en vue de la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. Les 0,7% du PNB consacré à la coopération (ou le 1% atteint par le Luxembourg) constituent peut-être « un maximum des ressources », mais un maximum défini après avoir pris soin de consolider un niveau de richesse local déterminé et, semble-t-il, non-négociable, pour reprendre l’expression de George H.W. Busch.

La question fondamentale est, à vrai dire, celle du productivisme et de son ressort, l’accumulation sans fin des profits, propre à l’Occident depuis l’avènement du capitalisme et exportée à l’échelle mondiale au fil des derniers siècles. Inverser le regard consiste aussi à sortir d’une « vision normée du monde, selon laquelle les réalisations d’une culture seraient l’étalon obligé des performances de toutes les autres». (Bertrand Badie, Un monde d’inégalités). Ainsi, au travers de sa contribution Quand les droits de la nature et les droits humains se rejoignent, Emmanuel Raison relève-t-il « les bonnes performances », en regard des crises écologiques, sociales et démocratiques, des modes d’organisation ancestrale des peuples indigènes d’Amérique latine, dont il souligne qu’ils reposent sur des valeurs d’équilibre et d’harmonie.

Inverser le regard est un mode de lecture critique à appliquer aux discours ambiants et hégémoniques ainsi qu’aux réalités sociales. C’est aller à contre-courant des idées reçues, des lieux communs et des évidences naturelles.

Bonne lecture.

Brennpunkt Drëtt Welt est édité par Action Solidarité Tiers Monde
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