« La course à l’objectif de « zéro émission nette » ne doit pas se faire en piétinant les pauvres. » L’exhortation d’António Guterres rappelle que la transition énergétique pose de nombreux défis à l’échelle du monde. C’est le 11 septembre que le secrétaire général de l’ONU a présenté le rapport « Resourcing the Energy Transition », énonçant des principes pour orienter l’exploitation des « minerais critiques » vers plus d’équité et de justice. Ces principes sont de nature protectrice, avec de nombreuses mises en garde contre les dommages collatéraux de l’extraction et de la transformation de ces minerais. Climate Action Network International, l’une des ONG impliquées dans l’élaboration du rapport, se félicite du résultat et notamment de l’intention d’agir sur la consommation et le recyclage afin de limiter l’extraction et ses effets néfastes.
À y regarder de plus près, cette démarche internationale développe certes une approche réparatrice et protectrice face aux risques induits par la transition énergétique. Mais par rapport à la racine des problèmes, la logique mercantile, le rapport manque d’audace. La recommandation évoquant une « consommation durable » pèse peu face à celle qui appelle de ses vœux un « marché mondial des minerais critiques pour la transition énergétique ». Cette marchandisation ne doit être limitée que par l’hypothétique conformité aux principes protecteurs, et donner accès à des quantités de minerais potentiellement illimitées.
Il est clair que sans une limitation et coordination de la demande de minerais à l’échelle mondiale, on assistera à une course sauvage, dans laquelle les plus forts – économiquement ou militairement – s’imposeront (voir l’article sur la militarisation de l’UE dans ce numéro). Quant aux plus faibles, ils risquent d’être exclus des opportunités de développement vert et de voir sacrifier leur milieu de vie sur l’autel de la transition globale. Un scénario familier dans le cadre des ressources fossiles, dont l’extraction n’est toujours pas plafonnée, malgré la soi-disant « prise de conscience » dans les pays du Nord (voir l’article sur le parc Yasuní).
La logique concurrentielle n’est pas la seule à l’œuvre : le contexte géopolitique actuel et la militarisation généralisée ne favorisent pas non plus la coopération équitable et pacifique, comme le rappelle notre dossier. En partant d’un narratif de besoin de sécurité, la militarisation est mise au service de logiques impérialistes. Dans cette nouvelle guerre froide, le Sud, avec ses ressources minières et écologiques, apparaît parfois comme l’objet d’opérations de séduction. Mais les rapports de force et la realpolitik finissent toujours par s’imposer, aux dépens des faibles, comme on le voit en matière de finance climatique ou de traités de libre-échange, deux sujets également abordés dans ce numéro.
Notre interview sur la situation aux Philippines montre comment les discours sur un développement « vert » vont de pair avec une véritable guerre contre toute opposition politique. En même temps, dans le Nord, la militarisation se fait aux dépens de la coopération internationale entre sociétés civiles – le sacrifice du volet Nord-Sud lors du « sauvetage » de la Caritas est là pour nous rappeler le peu de considération pour ce type d’activité. Face à la course à l’objectif de « zéro émission nette », comme face à d’autres défis économiques ou géopolitiques, le Sud sera-t-il vu comme un partenaire… ou comme un terrain d’affrontement ?
*Lien vers le communiqué de CAN et le rapport de l’ONU : climatenetwork.org/2024/09/11/un-critical-energy-transition-minerals-report