Faciles complicités dans un climat d´impunité

Un nouveau pas a été franchi. Le 7 mars dernier, la Knesset a adopté un amendement à la Loi d’entrée en Israël, permettant au ministre israélien de l’Intérieur de révoquer le statut de résident permanent des Palestiniens de Jérusalem pour « rupture de loyauté envers l’État d’Israël ». Le parlement israélien a ainsi légalisé l´expulsion des Palestiniens de Jérusalem pour motif politique. L’étau de l´occupation s´est resserré d´un cran 1.

En effet, l´occupation de la Palestine n´est pas que militaire. C´est un véritable système dans lequel œuvrent l´armée israélienne comme acteur principal; des figurants comme la mal nommée administration civile israélienne (en fait militaire), l´Autorité palestinienne, les colons et les entreprises israéliennes et internationales.

Les entreprises se frottent les mains. Faire du business en Palestine occupée offre maints avantages. Si, depuis 50 ans, l’État israélien a pu occuper et coloniser dans un silence quasi total, les entreprises pourront elles aussi y faire du chiffre sans trop se soucier du respect des droits des habitants.

Le système d’occupation offre aux entreprises un large éventail d’occasions d’opportunité, de la construction au contrôle et à la surveillance et de l’industrie à l’agriculture.

Malgré le climat d’impunité qui règne en terre occupée, de nombreuses violations des droits humains par des entreprises sont documentées. Des entreprises israéliennes et multinationales sont impliquées au niveau de la construction des colonies israéliennes jugées illégales selon le droit international, au niveau de la construction et de l’équipement du mur déclaré illégal par la Cour internationale de Justice, au niveau de la démolition des maisons et structures palestiniennes illégale selon la IVème Convention de Genève.

 

Nettoyage ethnique

Excavateur à chenilles de Caterpillar pendant la construction du mur sur les terres palesti-niennes. Nilin. Juin 2008. @Activestills

L’occupation a plusieurs facettes ; la plus ancienne est peut-être le nettoyage ethnique qui lui a commencé avant l´occupation militaire de 1967. Il y a exactement 70 ans, le 10 mars 1948, le plan Daleth finalisait la planification du nettoyage ethnique de la Palestine. A l’époque, le Plan Daleth prévoyait «l’expulsion totale et systématique des indigènes de leur patrie» 2. Ilan Pappe démontre dans “le nettoyage ethnique de la Palestine” que « Le Plan D israélien de 1948 contient un répertoire des méthodes de nettoyage ethnique qui correspond point par point aux moyens décrits par les Nations Unies dans leur définition du nettoyage ethnique, et constitue l’arrière-plan des massacres qui ont accompagné l’expulsion massive»3.
Si en 1948, 80 % des habitants de la Palestine ont fui leur patrie, le nettoyage ethnique est un processus toujours en cours. Et ceci autant à travers ce que Jeff Halper appelle « la matrice de contrôle », un ensemble de lois et de règlements qui empêchent les Palestiniens de vivre sur leur terre avec leurs ressources et qui les poussent à partir. Mais aussi à travers les démolitions de maisons palestiniennes. L’organisation israélienne Who Profits From the Occupation suit l’implication des entreprises dans l’économie de l’occupation. Leur site note que Volvo, l’entreprise multinationale producteur de camions, de bus et d’engins de chantier, fournit des machines lourdes pour la démolition de maisons palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est 4 .

Les bulldozers de l’entreprise multinationale Caterpillar sont également connus et craints par les Palestiniens. Le groupe Caterpillar est le premier fabricant de machines dans les domaines de la construction et des mines. Caterpillar est un fournisseur de longue date de l’armée israélienne et lui fournit une variété de machines lourdes telles la bulldozer blindée D9 qui a largement été utilisée pour des démolitions de maisons à Gaza et pour le déracinement des oliviers et le défrichement et l’accaparement des terres palestiniennes en Cisjordanie 5.
Toujours selon Who Profits, des pelles sur chenilles et des chargeurs sur roues de l’entreprise Caterpillar ont été utilisés dans la démolition de maisons palestiniennes. En particulier des machines de l’entreprise ont été utilisées au cours des démolitions dans les quartiers palestiniens Sheikh Jarrah, Beit Hanina et Tsur Baher à Jérusalem-Est et dans la région des collines du sud d’Hébron 6.

En 2016, des records avaient été atteints: dans son rapport annuel, l’OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies) déclarait qu’Israël avait démoli 1089 structures, le double de l’année 2015. Les démolitions et saisies avaient déplacé 1593 Palestiniens et affecté les moyens de subsistance de 7000 autres.

Jérusalem-Est est particulièrement touchée par le phénomène des démolitions. Les Palestiniens de Jérusalem-Est vivent, depuis l’occupation en 1967 et l’annexion illégale de Jérusalem-Est par l’État d’Israël en 1980, sous un statut de « résidents permanents » dans leur propre ville. Beaucoup sont menacés d´expulsion et leurs maisons de démolition.

Pourtant, le transfert forcé des populations est contraire au droit international. L’article 49 de la IVème convention de Genève stipule que “les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits…7”

 

Une aubaine pour les entreprises

Protestors block Israeli bulldozers working on Palestinian land during a demonstration against the apartheid wall in the west bank village of Nilin on 24/6/2008.
Photo by: Oren Ziv/ Activestills.org

Véritable aubaine pour les entreprises, la construction de colonies illégales en Cisjordanie. C’est un des secteurs qui prospèrent le plus, selon les recherche de Who Profits. Caterpillar en est un des plus grands bénéficiaires : leurs machines ont été utilisées pour la construction des colonies de Revava, Maskiot, Oranit, Carmel, Elkana et Beitar Illit en Cisjordanie et la colonie Har Homa à Jérusalem-Est 8. Les machines de Volvo ont elles été largement mises à contribution pour la construction de la colonie de Har Gilo 9.

Aujourd’hui, on compte quelque 750.000 colons israéliens qui vivent sur des terres accaparées. Leurs entités de peuplement sont illégales aux termes du droit international. Hélas, le gouvernement d’Israël continue en toute impunité à s’accaparer les terres et les ressources des habitants et à y transférer sa propre population.
Les colonies de peuplement sont également des entités hautement sécurisées et protégées par l’armée. Et c’est cet autre domaine qu’a exploité l’entreprise militaire israélienne Elbit Systems qui apporte ces technologies aux colonies israéliennes.

L’impunité et l’absence de règles stricts au niveau du respect des droits humains est sans doute une des valeurs ajoutées en ce qui concerne l’économie de l’occupation. Si le domaine de la construction est un des domaines les plus dynamiques au niveau économique, c’est aussi à cause du mur de séparation que construit l’État d’Israël. Y contribuent largement les machines de Caterpillar et de Volvo et cela notamment pour défricher la terre afin de la préparer à la construction du mur.

La construction du Mur de séparation et des points de contrôle a aussi impliqué l’utilisation de machinerie lourde Caterpillar. On a pu documenter l’utilisation des chargeurs et des pelles de l’entreprise lors de travaux sur les terres des villages palestiniens de Mas’ha, Al – Walaja, Qalandiya, Jayous, Ras al –Tira, Khirbet Jbara et Wadi a – Rasha et aussi lors de la construction des barrages de contrôle Anabta et Qalandiya. Des camions de Volvo ont également été utilisés pour la construction du checkpoint Huwwara et pour la construction du Mur de séparation près du village palestinien de Al-Walaja.

Mais le Mur ne pourrait remplir sa fonction sans son complexe de tours de surveillance, de caméras, de checkpoints. L’entreprise israélienne Elbit Systems a équipé le mur, qui en 2004 a été jugé illégal par la Cour internationale de Justice. L’entreprise multinationale de sécurité a livré du matériel pour scanner les bagages et des scanners corporels à plusieurs barrages de contrôle militaires en Cisjordanie dont beaucoup ont été intégrés au mur10.

Le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) dans sa session sur la responsabilité de l´UE, de ses États membres et des entreprises dans la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens, de 2010, a jugé que « ces entreprises assistent Israël dans la construction et l´entretien du Mur ». Plus loin, « le TRP considère que les entreprises ont également l´obligation de ne fournir aucune assistance au maintien de la situation créée par le Mur, et de s´abstenir de profiter des violations israéliennes du droit international 11» .

 

Des services aux colonies

D’autres chantiers encore concernent les routes réservées aux colons, les zones industrielles Ariel West et Barkan et le train qui relie Tel Aviv à Jerusalem12 tel que le documente Who Profits. Alstom, l’entreprise multinationale basée en France spécialisée dans les transports notamment ferroviaires, est le fabricant et le fournisseur des wagons pour le tramway de Jérusalem. Sa filiale à 100%, Citadis Israel Ltd., a un contrat d’entretien du projet pour 22 ans.

En juin 2013, Alstom a vendu sa participation de 20% dans CityPass à Israël Infrastructure Fund (IIF) et à Harel Insurance Investments et Financial Services Ltd pour NIS30M. Cependant, Alstom, avec le groupe Ashtrom, reste l’entrepreneur en ingénierie et en construction pour le projet.

En décembre 2016, Alstom a également lancé un projet pilote conjoint avec le tramway de Jérusalem et la société technologique israélienne Mobileye.

Autre exemple, Bombardier, une entreprise multinationale canadienne de transport, qui par le biais de sa filiale israélienne à part entière, Bombardier Transportation Israel, est fortement impliquée dans le projet de train rapide israélien A1. La ligne reliera courant 2018 Tel Aviv à Jérusalem et traversera la Ligne Verte en utilisant des terres palestiniennes occupées à l’usage exclusif des passagers israéliens.

Le TRP dénonce la complicité des entreprises en ces termes : « les relations d’une entreprise avec une colonie constituent un type de comportement qui « encourage(…) ou apporte (une) assistance » au maintien d´une colonie ». Les entreprises contribueraient ainsi « à l’établissement des colonies via leurs relations économiques, la prestation de services, les investissements… »

Les entreprises internationales se rendent également complices tel Caterpillar en créant des barrages routiers et en dispersant des manifestations. L’organisation israélienne Who Profits From the Occupation a observé que des machines de Caterpillar ont été utilisées comme barrage routier ou pour détruire des chemins menant à des villages palestiniens, notamment dans la région des collines du sud de Hébron 13.

 

Du business à la guerre

La collaboration économique avec l’industrie militaire n’est pas en reste. L’entreprise israélienne Elbit Systems est directement impliquée dans l’industrie de guerre et d’armement liée à l’occupation. Ses appareils et autres produits ont été utilisés dans les guerres contre Gaza 14 . Elbit Systems fournit à l’armée israélienne la majorité de ses drones. 85% des drones utilisés par l’armée israélienne sont produit par Elbit 15. Les drones sont utilisés dans le contrôle et l’occupation des populations. Selon l’organisation Human Rights Watch, les forces israéliennes ont largement utilisé des missiles lancés par des drones Hermes dans des attaques qui ont tué et blessé de nombreux civils.

Selon le Tribunal Russell pour la Palestine, l’approvisionnement en armes et d’équipements militaires ont facilité la perpétration de crimes. Ainsi, ces prestations sont des faits d’assistance et de complicité aux violations du droit international commises par Israël.

Les différents domaines de collaboration économique constituent des formes d’assistance aux crimes que commet Israël. Les entreprises sont largement complices des violations des droits humains et profitent de l’occupation israélienne et du climat d’impunité totale dans laquelle baigne cette occupation.

 

Complicités luxembourgeoises et européennes

Lors de son examen périodique universel à Genève le 18 janvier dernier, la représentante de l’État de Palestine a exhorté le Gouvernement luxembourgeois à intégrer (dans son plan d´action national sur les entreprises et les droits humains) « des mesures qui garantissent que les entreprises luxembourgeoises ne sont pas impliquées dans des activités qui ont un impact négatif sur les droits humains, en particulier dans des situations de conflit, y compris des cas d’occupation étrangère lors desquels il y a des risques d’atteintes aux droits humains » .

Si nous avons peu de données sur les contacts qui existent entre les entreprises luxembourgeoises et Israël, nous savons par contre que les deux pays partagent un même amour pour le High Tech. Des contacts existent, c’est d´ailleurs ceux-ci que cherchait à développer la mission économique en Israël en septembre 2016 du Premier Ministre luxembourgeois Xavier Bettel et d’une délégation d’entreprises. L’ouverture du Luxembourg Trade and Investment Office à Tel Aviv a pour objectif de favoriser le commerce entre les deux pays. Le risque est important de voir des investissements se retrouver, à un moment donné, de l’autre côté de la Ligne verte (seule frontière internationalement reconnue entre Israël et les Territoires palestiniens). Ceci d’autant plus que le Gouvernement israélien, composé en partie de colons, n’a jamais reconnu la Palestine, n’a jamais défini ses frontières et parle ouvertement d’annexer unilatéralement une grande partie de la Cisjordanie.

Même si le Luxembourg a publié en juillet 2014 un message d’avertissement aux entreprises les mettant en garde contre de potentielles implications sur leur réputation, la bonne volonté en est restée là. Depuis, le Luxembourg s’est largement rendu complice au niveau d’au moins un projet. FlySec est un projet de l’Union européenne, qui fait partie du programme de recherche Horizon 2020; il cherche à améliorer la sécurité des aéroports européens. Le Luxembourg y est représenté par son Université et la Société de l’aéroport.

Un des autres partenaires du projet est l’entreprise militaire israélienne Elbit Systems. Celle-ci reçoit 403.750 €dans le cadre du projet FlySec. Si la Commission européenne soutient que la recherche dans le cadre de Horizon 2020 doit rester exclusivement d’application civile, un grand risque demeure que les financements pour la recherche civile soient in fine redirigés vers la recherche militaire. Les problèmes que pose cette collaboration sont à plusieurs niveaux:

1. L’UE finance directement une entité impliquée dans la violations de droits humains et ne respectant pas le droit international.

2. L’UE légitime ainsi des pratiques illégales et immorales.

3. L’UE bénéficie de l’expérience et de l’expertise acquise dans des situations illicites.

Voir la vidéo du CPJPO sur Elbit et Flysec : https://www.youtube.com/watch?v=YBR08KvzFms

 

Sources

1 http://www.france-palestine.org/Le-Parlement-israelien-legalise-l-expulsion-des-Palestiniens-de-Jerusalem-pour
2 Pappe, Ilan, le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006
3 Pappe, Ilan, le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006
4 https://whoprofits.org/company/volvo-group-ab-volvo
5 https://whoprofits.org/company/caterpillar
6 https://whoprofits.org/company/caterpillar
7 https://ihl-databases.icrc.org/dih-traites/WebART/380-600056
8 https://whoprofits.org/company/caterpillar
9 https://whoprofits.org/company/volvo-group-ab-volvo
10 http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/sessions/london-session
11 http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/sessions/london-session
12 https://www.whoprofits.org/content/crossing-line-new-israeli-train-line-through-occupied-palestinian-areas
13 https://whoprofits.org/company/caterpillar
14 https://corporatewatch.org/elbit-systems-company-profile/
15 https://corporatewatch.org/elbit-systems-company-profile/

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