Alors que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 a pour objectif d’assurer une vie saine et de promouvoir le bien-être de tous à tout âge, les moyens financiers pour y parvenir restent profondément inégaux et parfois inadéquats. Ce texte explore les grandes orientations proposées pour refonder les mécanismes de financement de la santé à l’échelle mondiale afin de trouver des solutions pour organiser un modèle de financement plus équitable, efficace et durable.
Un constat alarmant sur l’état actuel de la couverture santé
L’objectif 3 du Programme de développement durable à l’horizon 2030 consiste à « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge ». Mais, force est de constater que les avancées importantes réalisées pendant les dernières décennies n’ont pas permis d’atteindre pleinement ces objectifs. Des milliards de personnes n’ont toujours pas accès à des services de santé de base et souffrent de douleurs ou d’infirmités pourtant traitables, ce qui réduit leur espérance de vie. Parallèle ment, d’autres patients « se retrouvent appauvris » après avoir dû assumer des frais de soins eux-mêmes. Le constat est que le système de financement de la santé est défaillant et incapable de garantir un socle « minimal […] de services de santé essentiels ». 1 Il y a urgence à réformer en profondeur le financement de la santé, qu’il s’agisse de la mobilisation des ressources au niveau mondial, de la contribution aux biens publics mondiaux ou du soutien externe aux pays les plus vulnérables. Il s’agit d’un défi multidimensionnel impliquant à la fois « [l]’économie, [l]a politique de santé publique, [l]es droits humains, [l]e droit et [l]’éthique ». 2
Dans cette optique, et à l’occasion du dixième anniversaire de la Commission sur la macroéconomie et la santé en 2011, le Centre on Global Health Security du Chatham House a créé un groupe de travail sur le financement de la santé. Ce groupe de travail a publié son rapport final en mai 2014, dans lequel il formule des recommandations structurées autour de quatre domaines : le financement au niveau national, les biens publics globaux, le financement externe et de façon globale. 3 L’objectif étant de trouver des solutions au renforcement de la responsabilité des acteurs et de la recherche d’accords pour progresser vers un cadre global cohérent pour le financement de la santé. 4
Mobiliser les ressources nationales pour garantir l’accès à la santé
Le programme d’action d’Addis-Abeba de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement a mis l’accent sur l’importance centrale de la mobilisation des ressources locales pour financer le développement et pour atteindre les objectifs du développement durable (ODD). De même, l’Agenda 2030 pour le développement durable souligne que chaque pays est en premier lieu responsable de sa propre économie et de son propre développement social.
Dans ce sens, le groupe de travail sur le financement de la santé recommande que tous les gouvernements prennent les mesures nécessaires pour garantir la santé de leurs citoyens, notamment en assurant un financement de la santé « suffisant, efficace, équitable et durable ». Il recommande ainsi que les gouvernements allouent au moins 5 % de leur PIB à la santé, soit un minimum de 86 USD par habitant, tout en réduisant la part des frais à la charge des usagers à moins de 20 % des dépenses totales de santé. Idéalement, ces frais devraient être totalement supprimés pour les soins essentiels et pour les personnes en situation de précarité.
Le groupe de travail suggère également de revoir les mécanismes de génération des revenus du système de santé, notamment en considérant des mécanismes d’impôts. Il propose d’instaurer des fonds obligatoires de financement des soins de santé alimentés de façon progressive en respectant la capacité de paiement des habitants. Ces fonds serviraient de base à une couverture universelle progressive des soins de santé. Par ailleurs, les gouvernements, en collaboration avec la société civile, sont appelés à définir de manière transparente les priorités de santé et à concevoir un panier de soins de santé auquel les citoyens ont droit. Enfin, le gouvernement ainsi que tous les acteurs du système de financement de la santé devraient continuellement s’appliquer à améliorer l’efficacité du système, notamment grâce à des mécanismes de lutte contre la corruption et une évaluation continue de la performance et de l’efficacité des services, comme par exemple le choix de l’achat de services et la rémunération des prestataires.
Protéger et financer les biens publics mondiaux de santé
Le deuxième axe de recommandations concerne les biens publics globaux de santé, caractérisés par les deux propriétés suivantes : la non-exclusivité, c’est à-dire que si le bien existe, aucun pays ne peut être empêché de l’utiliser ; et la non-rivalité, c’est-à-dire que si un pays utilise un bien public, cela n’affecte pas l’utilisation de ce bien par d’autres pays – ces biens sont donc particulièrement exposés au risque de sous-financement.
Les biens publics de santé comprennent en particulier la surveillance des maladies infectieuses, les résultats de la recherche sur les causes des maladies et les interventions efficaces, ainsi que des standards comme la classification ICD (International classification of diseases). Pour y remédier, le groupe de travail recommande une coopération internationale renforcée en matière de cofinancement de ces biens publics, en particulier ceux qui concernent les nécessités des populations pauvres. Il appelle à l’augmentation du financement des institutions qui sont chargées de fournir ces biens publics de santé, dont notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de promouvoir un environnement qui permette à tous les pays de financer correctement leurs secteurs sociaux, comme l’éducation, la santé et le bien-être social. Ceci implique des actions contre les flux financiers illicites, les paradis fiscaux, la concurrence fiscale dommageable et la surexploitation des ressources naturelles.
Renforcer le financement externe et la coordination des acteurs internationaux
Le troisième groupe de recommandations concerne le financement externe ou encore l’aide extérieure aux systèmes nationaux. Les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que les autres pays riches et les pays à revenu moyen supérieur sont invités à contribuer à hauteur d’au moins 0,15 % de leur PIB et suivant des critères d’attribution des ressources clairs et bien fondés. Les pays donateurs doivent se coordonner entre eux, et, avec les pays bénéficiaires – qui définissent les priorités.
Il est essentiel de se rappeler que les acteurs qui peuvent contribuer au financement externe des systèmes de santé sont multiples. Au-delà des États, des organisations multilatérales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), ainsi que des ONG de développement et d’autres acteurs jouent des rôles importants. En 2013, seuls onze pays ont dépensé plus en aide financière que la Fondation Bill et Melinda Gates 5. Toutefois, cette influence soulève des questions, car les investissements de la Fondation contribuent au pouvoir de détermination des priorités sanitaires des pays bénéficiaires. Par ailleurs, « ce que le ‘philanthrope’ prétend donner d’une main, via sa fondation, il le reprend de l’autre, via les dividendes de son fonds d’investissement » : les investissements de la Fondation dans des secteurs liés à des entreprises pharmaceutiques, des sociétés de produits agrochimiques et de semences peuvent entrer en contradiction avec les objectifs déclarés de santé publique.
Refonder le financement de la santé : une nécessité évidente
Malgré les avancées normatives et techniques, la question du financement de la santé demeure marquée par des tensions et enjeux. Si les pistes d’action sont aujourd’hui bien identifiées, leur mise en œuvre dépend de la capacité des acteurs, tant publics que privés, à aligner leurs priorités sur des objectifs communs.
Bibliographie
¹ Ottersen, T., Elovainio, R., Evans, D. B., & McCoy, D. (2017). Towards a coherent global framework for health financing: recommendations and recent developments. Health Economics, Policy and Law, 12, pp. 285–296.
2 Ibid
3 Røttingen, J., Ottersen, T., Ablo, A., & Arhin Tenkorang…, D. (2014). Shared responsibilities for health: a coherent global framework for health financing. Final Report of the Centre on Global Health Security Working Group on Health Financing. The Royal Institute of International Affairs – Chatham House.
4 La revue Health Economics, Policy and Law a publié en 2017 un numéro spécial traitant les mêmes questions que le rapport du groupe de travail, mais de façon plus détaillée.
5 Astruc, L. (2019). L’art de la fausse générosité. Éditions Actes Sud.



