Hans Herren: «On a besoin d’une transformation de l’agriculture et du système alimentaire»

Le 12 avril dernier, le Suisse Hans Herren avait été invité à donner une conférence lors du 30ième anniversaire de l’association Bio-Lëtzebuerg. C‘est en marge de cette conférence que j’ai pu lui poser les questions qui suivent. Hans Herren dirige à Washington le Millenium Institute qui se consacre au développement durable. Entre 2005 et 2008, il avait assumé la coordination des travaux de quelque 400 experts qui, sur invitation de la Banque mondiale et de l’ONU, avaient rédigé le rapport sur l’agriculture mondiale (IAASTD ) qui préconise une transition vers l’agroécologie. Je l’avais rencontré une première fois début 2013, en Éthiopie, comme membre d’une délégation de la Fondation suisse Biovision qu’il a aidé à créer. Cette délégation visitait certains des projets agroécologiques soutenus par leur fondation.

Vous avez été un des principaux coordinateurs des travaux menés entre 2005 et 2008 à Johannesbourg qui ont abouti au rapport IAASTD. Un des messages-clé de ce rapport a été de dire : Continuer avec le modèle agricole actuel n’est pas une option. Ce message a-t-il été reçu et comment ?

Oui, ce message a été reçu. Il a surtout été reçu au niveau de RIO+20 et de l’agenda des Objectifs de développement durable. Lorsqu’il est sorti, beaucoup de gouvernements ne lui ont pas réservé beaucoup d’attention, certains l’ont même activement combattu, comme les Américains, les Canadiens, les Australiens. Même la FAO n’a jamais organisé une séance pour présenter le rapport, certains gouvernements s’opposant à ce que le rapport soit divulgué parmi ses Etats membres. Heureusement, les ONG ont repris le bâton, nous avons été 150 ONG à nous organiser, à réunir les points essentiels dans un document appelé «Time to act». Nous avons pris part à la conférence RIO+20 pour y présenter ce document, nous y avons fait beaucoup de bruit et nous sommes parvenus à l’introduire dans le rapport final de cette conférence avec le message qu’on a besoin d’une transformation de l’agriculture et du système alimentaire.
Aujourd’hui, si vous regardez l’agenda des Objectifs de développement durable (ODD), vous retrouvez notre langage en particulier dans l’objectif no 2 (qui prévoit l’élimination de la faim et de la pauvreté d’ici 2030), celui sur la santé, l’environnement et la biodiversité. C’est par le biais des ODD que le rapport sera maintenant mis en pratique.

Ce rapport a également eu comme finalité de motiver la communauté internationale à réserver à l’agriculture des pays en développement, aux petits paysans une attention plus grande, à consacrer également à ce secteur une part plus importante des financements. Ces buts ont-t-ils été atteints ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de changements au niveau du nombre de projets ou de la mise à disposition des moyens en faveur des petits paysans. D’un autre côté, les statistiques montrent qu’il y a eu des investissements accrus mais effectués pour de grands projets. L’Éthiopie en est un exemple où on a construit des fabriques d’engrais, développé de grandes fermes, ou le Ghana où, avec l’aide des Brésiliens, on développe une agriculture à large échelle. Ceci au prétexte qu’il faut nourrir tous ces gens qui sont dans les villes et que ce ne sont pas les petits paysans qui peuvent faire cela. Ceci est contraire aux recommandations du rapport IAASTD selon lequel il faut promouvoir la petite paysannerie et l’agroécologie. Il faut, bien sûr, qu’ils disposent de surfaces viables et tenir compte du type de production et du contexte dans lequel ces paysans se trouvent. Il faut leur donner des moyens techniques, financiers et aussi d’éducation pour qu’ils puissent améliorer leur sort.

Les gouvernements africains sont-ils devenus plus sensibles au rôle de l’agriculture et à celui de l’agroécologie ?

Dans certains quartiers, ça bouge assez. En 2011, à la suite d’une conférence que nous avons organisée à Addis Abeba avec le concours de la FAO sur le rapport IAASTD, l’Union Africaine a adopté un texte intitulé « Ecological, organic agriculture initiative of the African Union ». L’Union Africaine a adopté ensuite un plan pour promouvoir l’agriculture agroécologique. Mais au départ, rien ne s’est passé en pratique. Jusqu’au moment où, avec l’argent des Suisses, nous avons avec des ONG pris l’initiative de développer des pratiques agroécologiques au niveau des petits paysans dans quatre, puis dans huit pays différents. Bientôt on sera à douze. Nous faisons surtout de la formation, du plaidoyer et nous coopérons avec des centres de recherche.

Au Sommet de l’UA de Maputo en 2003, l’engagement a été pris que chaque gouvernement réserve au moins 10 % de son budget à l’agriculture. Cet objectif a-t-il été atteint ?

Jusqu’à présent seulement six pays y sont arrivés. Puis la question de la destination de cette aide se pose. Certains veulent apporter des fonds à la construction de routes, mais toutes les routes ne peuvent pas entrer en ligne de compte. Il faut donc faire beaucoup attention lors de l’interprétation des chiffres.

Les travaux préparatoires sont en cours au niveau de l’Union européenne pour procéder à une nouvelle réforme de sa politique agricole commune (PAC) en 2020. Quels devraient être les principaux éléments d’une telle réforme?

Je suis aussi membre de l’International Panel of Food System (IPES) dont fait également partie Olivier de Schutter. L’IPES avance un large programme de réformes pour la PAC. Il est d’abord proposé que cette politique change de nom et s’appelle « Common Food Policy ». Cette politique devrait faire une chose : ne plus produire des excédents et les exporter. Voilà le grand problème : comme chacun a investi dans l’accroissement de la production laitière, on arrive à des excédents et on les envoie en Afrique. Ici, il faut produire moins et mieux. Il faut absolument arrêter de produire toujours plus. Ce paradigme de produire toujours plus pour nourrir le monde ne tient pas la route. Les politiciens y sont tous attachés comme si le secteur agricole était là avant tout pour faire de l’argent. Il doit avant tout servir à nourrir surtout la population locale, même si on doit également faire un peu de commerce et exporter. Importer toujours plus de ressources naturelles pour assurer une augmentation de la production puis exporter à nouveau, n’est pas une politique crédible.

Une menace pour la planète, perçue de plus en plus depuis la conférence de la COP21 à Paris, sont les changements climatiques mais aussi la perte de biodiversité. L’agroécologie constitue-t-elle un moyen de lutter contre ces menaces ?

Absolument ! C’est un des arguments principaux pour transformer l’agriculture. La proposition française de remettre le carbone dans le sol n’est possible qu’avec une agriculture bio ou agroécologique. C’est avant tout la rotation des cultures mise en œuvre selon les principes de l’agroécologie qui permet d’emmagasiner des quantités de carbone dans le sol. Je ne pense pas qu’on arrivera à résoudre le problème des changements climatiques sans changer d’agriculture. Ceci constitue du reste l’essentiel de la mission que je poursuis. Si on ne le fait pas, ce sera extrêmement difficile de limiter l’augmentation de la température à 2 degrés.

La Commission européenne vient de donner son avis sur la fusion proposée entre Bayer et Monsanto dans un sens plutôt positif. Est-ce que c’était une bonne décision ?

Je pars du principe qu’on n’a besoin ni de Monsanto ni de Bayer. L’agriculture bio est possible sans eux. Qu’ils se mettent ensemble ou pas, ce n’est pas un grand problème pour le paysan. Le grand problème qui peut résulter de cette fusion, est le pouvoir de lobbying qui sera encore accru. Ils auront encore plus d’argent pour acheter les politiciens et manipuler les lois. C’est ça le grand danger.

Jean Feyder, membre de l’ASTM

Brennpunkt Drëtt Welt est édité par Action Solidarité Tiers Monde
136-138, rue Adolphe Fischer L-1521 Luxembourg RCS F6030 www.astm.lu