Introduction : Instrumentaliser l’aide, non merci !

L’aide publique au développement (APD) devrait « promouvoir le développement économique et améliorer les conditions de vie dans les pays en développement » – un concept généreux, mais une pratique qui l’est de moins en moins. Au Luxembourg, le concept a été mis en œuvre à partir de la fin des années 1980, et a, entre autres, permis l’intensification et la professionnalisation du travail des ONGD engagées dans des partenariats Nord-Sud et dans la sensibilisation et l’éducation au développement (ED). Notre pays s’est engagé à consacrer 1 % du revenu national brut à l’APD et en cela fait mieux que les recommandations de l’ONU.

Hélas, au Luxembourg et ailleurs, ces dernières années, ce type d’objectif est remis en question, notamment par un populisme de droite qui prône le repli sur soi nationaliste ou eurocentriste. Au-delà de la quantité de moyens mise en œuvre, la qualité de l’APD est également menacée. Comme le montre le rapport d’Aidwatch présenté dans ce dossier, les fonds mis à disposition par les pays industrialisés priorisent souvent les crises humanitaires et contribuent trop peu à des améliorations structurelles dans les pays du Sud. De surcroît, l’importance des volets immatériels de l’APD tels que l’ED n’est pas suffisamment reconnue.

L’APD souffre-t-elle donc d’un désintérêt de la part des élites politiques ? Oui, mais pas seulement. Car paradoxalement, c’est d’un certain type d’intérêt qu’émane sans doute le plus grand danger pour l’APD : la tentation de l’instrumentaliser. Au niveau européen, le domaine phare de l’instrumentalisation est actuellement celui des politiques (anti-)migratoires. Alors que l’Union européenne a longtemps cherché à être exemplaire dans sa gestion de l’APD, elle s’apprête désormais à trahir ses principes, comme le montre l’étude d’Oxfam « Du développement à la dissuasion ».

L’instrumentalisation de l’APD à d’autres fins n’est pas pour autant une nouveauté ; ainsi la politique de coopération au développement de la France a notamment été de manière constante au service du modèle néocolonial de la « Françafrique ». C’est ce que détaille l’article de l’économiste Yves Ekoué Amaïzo, qui aborde aussi d’autres points critiques comme celui de la part croissante des prêts dans l’APD. Enfin, l’instrumentalisation de l’APD à des fins géostratégiques telle que pratiquée par la France semble faire école au niveau européen. Se basant sur un document fuité de la Commission, le réseau d’ONGD Concord craint que l’UE ne veuille mettre la coopération internationale au service de la géopolitique. Les plans pour les cinq ans à venir « jetteraient par-dessus bord » le principe de la centralité du développement humain et constitueraient un « bradage » de la coopération internationale.

Notons que les ONGD critiques ont mis en garde contre ce risque, et cela dès le début des réflexions de la Commission sur l’« accès » aux matières premières « indispensables » il y a plus de dix ans. Cela aussi fait partie de la sensibilisation dans le cadre de l’ED : scruter les développements qui peuvent favoriser une instrumentalisation et rappeler l’importance du principe de l’aide « non liée », c’est-à-dire non conditionnée par des avantages que le pays « bénéficiaire » du Sud global accorderait aux entreprises du pays « donateur ». L’autre rôle des ONGD est de poursuivre une forme d’aide au développement fondée sur le partenariat entre sociétés civiles du Nord et du Sud – une logique en soi antinomique avec toute forme d’instrumentalisation.

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