A côté de la financiarisation, le numérique est incontestablement un facteur décisif dans la mondialisation de l’économie. Les frontières nationales ne sont plus des obstacles pour les sociétés multinationales ; les États s’effacent petit à petit devant la puissance des groupes financiers et industriels monopolistiques. Ce mouvement de globalisation vers le haut s’accompagne d’une intensification de l’emprise à l’échelle individuelle : chaque jour le numérique introduit les intérêts marchands dans la sphère la plus privée d’un nombre de plus en plus élevé d’êtres humains et oriente leurs comportements et leurs pensées. Une société dominée par le numérique se met en place, miroir des modèles historiques d’inégalités et reproduisant, voire exacerbant les rapports néocoloniaux de domination.
Face au déferlement hégémonique des Big Tech, assoiffés de data et de nouveaux marchés, surgit l’idée d’une nécessaire inclusion numérique, qui tendrait vers une égalité de tous face à l’offre numérique. Mais de quoi parle-t-on exactement ? S’agit-il de permettre au plus grand nombre d’avoir accès aux services commerciaux du numérique dominant, celui des GAFAM, ayant comme corollaire une extension de la sphère des dépendances et des exploitations ? Telle n’est pas la réponse apportée par les contributeur.trice.s au présent dossier. Pour elles et eux, l’inclusion numérique vise au contraire la multiplication d’initiatives d’appropriation locale des technologies digitales.
Dans la perspective d’une résistance à la marchandisation de tout, l’innovation doit, en premier lieu, être sociale : comment repenser les structures sociales traditionnelles, avec tout ce qu’elles offrent de bien, pour les adapter aux réalités d’un monde changeant ? La disruption technologique n’est, ici, pas une fin en soi. Dans les exemples présentés dans ce Brennpunkt, les membres des communautés concernées s’approprient des technologies déployées à la bonne échelle et de manière décentralisée. Ils et elles cherchent à les maîtriser non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan politique en délibérant collectivement sur leur utilité ainsi que sur la portée de leur usage.
« Est conviviale la société où l’homme contrôle l’outil », écrivait Ivan Illich en 1973. Le recours au numérique dans une perspective d’autonomie et d’appropriation active n’est aujourd’hui pas une tendance majoritaire mais il nous semble qu’il est la seule issue vers une société juste.