Une terre aride grisâtre et poussièreuse entourée de clôtures en fil de fer a accueilli un groupe
hétérogène de membres de la société civile : des fermiers, des agents de développement, des ecclésiastiques et des écologistes alors qu’ils arrivaient dans le petit barangay isolé de Didipio. Un paysage dévastateur entourant un trou géant creusé dans le sol qui remplace la colline que les habitants de la région appelaient autrefois Dinkidi.
C’est l’image de six années d’exploitation minière au coeur de Kasibu, la ville qui abrite Didipio, à 300 kilomètres au nord de la capitale philippine Manila.
Le 20 juin 2019, un jour après l’expiration du permis d’exploitation de 25 ans d’Oceana Gold Philippines Inc., les agriculteurs et les membres de la communauté ont montré leur détermination à ne plus permettre une telle destruction de leur communauté. Ils ont mis en place des barricades routières à différents points d’accès au village, afin d’empêcher
l’entrée potentielle de l’équipement d’exploitation minière d’Oceana Gold dans leur Barangay.
Les habitants de Didipio se sont relayés pour garder les tentes improvisées qui servent de postes de contrôle. Les locaux craignaient que, malgré leur protestation, le gouvernement philippin approuverait l’extension d’Oceana Gold après que le directeur du ministère
de l’Environnement et du Bureau des mines et des géosciences (DENR-MGB),
Wilfredo Moncano, ait recommandé d’accorder un renouvellement provisoire
pour l’entreprise, malgré l’absence d’un consentement libre, préalable et informé de la communauté indigène de Didipio.
C’est dans ce contexte que le groupe multisectoriel d’activistes de différentes parties de Luzon a débarqué le 15 juillet 2019 avec la mission de soutenir le peuple du Barangay Didipio et d’être témoins des conséquences des opérations minières d’Oceana Gold Philippines Inc. dans le village.
Terre des richesses
Le paysage à Didipio était autrefois verdoyant, avec de petites rizières en terrasses et des forêts entretenues par les communautés Tuwali-Ifugao, une communauté autosuffisante de peuples autochtones. L’agriculture soutenable et l’agroforesterie étaient leurs moyens
d’existence et ils vivaient en harmonie avec leur écosystème.
Ce barangay se trouve à un point culminant dans le bassin versant de la rivière Addalam, qui déverse dans la puissante rivière Cagayan. Ce fleuve est d’une importance capitale car il fournit de l’eau pour l’irrigation et d’autres usages aux provinces voisines de Quirino et Isabela où des milliers d’hectares de terres agricoles sont consacrés au riz et au maïs. Le maintien de la quantité et de la qualité de l’eau en amont à Didipio est donc crucial.
En 2013, la société australienne Oceana Gold Philippines Inc. a commencé à exploiter 975 hectares de terres au Brgy. Didipio. Cette société transnationale, résultat de la fusion de Climax Mining et d’Oceana Gold Limited, est la première multinationale à bénéficier de l’accord d’assistance financière et technique (FTAA) par le gouvernement philippin, qui
a donné à la société le droit d’explorer la zone jusqu’à 50 ans et la possibilité d’avoir
une propriété étrangère à 100%. Selon son site web, Oceana Gold a commencé ses activités à ciel ouvert en 2013 et en 2016 ils ont préparé l’exploitation minière souterraine qui a démarré au début de 2017. La mine de Didipio est très riche en or et cuivre.
Un trésor perdu
Les opérations minières d’Oceana Gold ont converti la communauté indigène autrefois autonome en une ville minière rappelant l’époque de la ruée vers l’or.
Lors d’une mission nationale d’enquête et de solidarité à Nueva Vizcaya en septembre 2013, dirigée par plusieurs organisations locales de la société civile, il a été découvert que l’exploitation d’Oceana Gold a entraîné la destruction et le pillage de milliers d’hectares de
terres ancestrales riches en minéraux, violant ainsi les droits des peuples autochtones à la terre et à la vie.
La mission d’enquête a constaté que des centaines d’hectares de terres agricoles ont été perdus, ce qui a affecté la sécurité alimentaire locale et a détruit les moyens de subsistance
basés sur l’agriculture. Selon le rapport de la mission, les agriculteurs locaux ont observé une baisse de 30% de la productivité agricole. Un autre indicateur de la baisse de la productivité a été la réduction de la contribution des produits agricoles de Didipio, tels que les cultures
maraîchères et les agrumes aux marchés de la province de Nueva Vizcaya.
L’équipe en charge de l’enquête a estimé que la poussière provenant des opérations minières pourrait avoir affecté l’activité photosynthétique des plantes, expliquant ainsi la baisse de
la production agricole. Les produits chimiques toxiques utilisés dans la zone minière, qu’Oceana Gold n’a pas entièrement divulgués, pourraient également avoir affecté les cultures et les arbres.
La couverture forestière a aussi été fortement réduite en raison des opérations minières. De plus, les agriculteurs et les populations autochtones ne sont plus en mesure d’utiliser les produits forestiers dont ils dépendent, faute d’accès aux parcelles de forêt restantes. La déforestation de Didipio a affecté aussi des milliers d’hectares de fermes irriguées qui
dépendaient de l’eau provenant de la rivière Addalam car les forêts jouent une fonction essentiel d’absorption, rétention et libération progressive de l’eau.
Dans une autre mission d’enquête environnementale menée en 2014, il a été constaté qu’il y avait une concentration accrue de cuivre dans les échantillons d’eau et de sédiments dans la zone d’impact des opérations minières et dans la rivière. Bien que le cuivre soit un métal naturel et qu’il soit essentiel pour de nombreux organismes vivants à de faibles concentrations, une densité élevée de cuivre peut entraîner des effets toxiques tels que la mort prématurée et des problèmes liés à la fertilité.
Les habitants des villages voisins aussi affectés par l’exploitation minière ont également exprimé leurs craintes quant à la possibilité d’expansion des activités d’Oceana Gold. «La rivière est brune. Nous avions l’habitude de pomper l’eau de la rivière et d’attraper beaucoup
de poissons. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de poissons à attraper. L’eau sent mauvais», a partagé Luis Paulino Jr, un agriculteur d’un barangay proche, Lower Alimit. «Même notre riz ne pousse plus comme avant».
Une fracture
Comme une grande partie des terres ont été détruites par les opérations minières, elles ont été vendues par défaut à Oceana Gold. Ainsi, beaucoup d’agriculteurs n’ont pas eu d’autre choix que de vendre leur travail à la compagnie en devenant des salariés journaliers.
Les opérations minières ont donc eu comme conséquence des divisions au sein des familles, des tribus et des villages et ont changé la culture des gens de la région.
Dans un document du gouvernement provincial de Nueva Ecija contre la mine de cuivre et d’or de Didipio, le bureau a été très clair dans sa position déclarant que « l’exploitation minière en tant qu’entreprise de développement doit, par conséquent, être encadrée dans le paradigme du développement durable et être contextualisée davantage dans le paysage géophysique et écologique de Nueva Vizcaya en tant que bassin versant avec des poches de zones riches en minéraux et à forte biodiversité ».
Le document ajoute que « encore plus impératif que le contexte politique est l’expérience historique d’autres communautés minières des Philippines; les montagnes sont nivelées, les forêts sont coupées, les rivières sont polluées et les terres agricoles empoisonnées.
Des villages entiers sont déplacés, des familles sont rendues malades, des moyens de subsistance sont perdus, et les communautés minières restent parmi les plus pauvres du pays».
La lutte
Des agriculteurs, des membres de la communauté, des organisations ecclésiastiques, des organisations non gouvernementales nationales et internationales et les unités du gouvernement local du Brgy. Didipio et de la province de Nueva Vizcaya se sont unisdans leur position contre l’exploitation minière d’Oceana Gold dans la région formant un mouvement appelé Save Nueva Vizcaya.
Le mouvement a officiellement demandé au président des Philippines d’épauler la communauté affectée par Oceana Gold.
Les communautés affectées ont également sollicité l’appui de diverses organisations de développement pour aider à la réhabilitation de Didipio. Une femme leader, par exemple, a demandé l’appui de MASIPAG pour réintroduire dans la communauté des pratiques liées
à l’agriculture durable et biologique.
Le 15 juillet dernier, les différents secteurs ont organisé une action de protestation pour exprimer leur détermination à poursuivre la lutte contre les exploitations minières. Lors d’une messe solennelle célébrée dans la communauté avant l’action de protestation, l’évêque de Bayombong, Jose Elmer Mangalinao, a appelé au respect et à la protection de Didipio. «Les gens ici continuent à m’inspirer. Je sais que votre action a fait l’objet de beaucoup d’accusations et de critiques. C’est parce que vous vous battez contre une grande entreprise et contre les gens qui dépendent de ce genre de travail. Bien que nous ne puissions pas les blâmer parce que c’est leur source de subsistance. Cependant, nous devrions continuer notre travail parce que nous nous battons non seulement pour le présent, mais aussi pour les générations futures».
Après la messe, la communauté s’est rendue dans les tentes improvisées situées devant la barricade et a organisé un programme de protestation. Elle a été rejointe par le gouverneur de
la province de Nueva Vizcaya, Carlos Padilla, de fonctionnaires de la province, d’organisations non gouvernementales, d’écologistes et de réseaux communautaires locaux.
Un leader paysan, au nom de l’Organisation populaire unie de Didipio, a exprimé ses sentiments pendant le programme. «Si nous nous aidons les uns les autres, nous pourrions faire sortir Oceana Gold. Cependant, certains la défendent encore. Cette Oceana Gold nous divise. Vous savez que les fourmis sont bien meilleures que nous, parce que si quelqu’un entre chez elles, elles s’entraident pour se défendre.» Il s’est également adressé au président en disant que « lorsqu’il était encore maire de la ville de Davao, il était contre l’exploitation minière. Maintenant qu’il est président, j’espère qu’il se débarrassera d’Oceana Gold et refusera leur renouvellement.»
De l’autre côté de la barricade, des centaines d’employés et de partisans d’Oceana Gold portant des pancartes et des banderoles ont également mené leur propre manifestation. Ils ont demandé au gouvernement d’accéder à leur demande de prolongation de l’opération d’Oceana Gold.
Malgré cela, la position des différents secteurs membres de Save Nueva Vizcaya reste ferme. Avant de rentrer dans leurs maisons et de reprendre les tâches d’entretien de la barricade, la
communauté a dansé au rythme des gongs pour raviver leur esprit dans la défense de leur domaine ancestral. Les gens ont peut-être perdu une grande partie de Didipio, mais ils sont plus que prêts à défendre ce qu’il en reste.
Une victoire est-elle possible ?
Grace à la résistance populaire et à la pression que le mouvement a fait sur le gouvernement, le 15 octobre 2019, le groupe Oceana Gold a annoncé la suspension de ses opérations à Didipio.
Cependant il s’agit d’une décision temporaire, comme le CEO de la compagnie Mick Wilkes a déclaré: « Avec un calendrier des décisions de la Cour d’appel incertain et les efforts en cours
pour finaliser un renouvellement de la FTTA (Accord d’assistance financière ou technique), nous n’avons pas d’autre choix que de suspendre temporairement la production à Didipio ».
Malgré cette annonce, qui avait donné de l’espoir aux voisins de la communauté, le 16 décembre Save Nueva Vizcaya a dénoncé, à travers un communiqué, une nouvelle tentative de la part d’Oceana Gold de faire entrer un camion-citerne de pétrole dans les mines, ainsi que
de démanteler les barricades qui sont toujours en place à défaut d’une suspension définitive des opérations.
Le mouvement a rappelé encore une fois que les barricades sont légales car elles ont été constituées à partir des ordres du gouvernement local et que les poursuites judiciaires intentées par Oceana Gold contre ces ordres ont été annulées à deux reprises par le tribunal régional de première instance de Nueva Vizcaya.
Ils ont également rappelé aux organismes gouvernementaux actuels et futurs, qui tenteraient de faire sortir Oceanagold de sa suspension, qu’il s’agissait d’un criminel environnemental. Non seulement son projet minier fonctionne sans licence, mais Oceanagold perpétue depuis 25 ans des violations des droits humains et le pillage et l’épuisement des ressources naturelles.
Maintenant la décision est dans les mains du gouvernement Duterte et tout semble indiquer que Oceana Gold ne va pas désister si facilement dans ses efforts de renouveler son FTTA. Affaire à suivre…
Sources:
•Mining Ombudsman Case Report: Didipio Gold and Copper Mine, Oxfam Australia, September 2007
•National Fact-Finding and Solidarity Mission in Nueva Vizcaya, ANNVIK, KAMP, Defend Partimony! Alliance, Kalikasan People’s Network for the Environment, September 19-21, 2019
•Environmental Investigation Mission on the Impacts of Large Scale Mining in Nueva Vizcaya – Technical Report, Philippines, Kalikasan People’s Network for the Environment and AGHAM – Advocates of Science and Technology for the People, September 2014
•Position Paper against the Didipio Copper and Gold Mine operated by Oceana Gold Philippines sent to the Department of Environment and Natural Resources (DENR) Secretary Regina Paz Lopez by the Office of the Provincial Governor, February 14, 2017
•Oceana Gold in the Philippines, Ten Violations that Should Prompt its Removal, Robin Broad, John Cavanagh, Catherine Coumans, and Rico La Vina, published by the Institute for Policy Studies (US) and Mining Watch Canada, October 31, 2018
•Reject the Renewal of Oceana Gold’s FTAA, Position Paper of the Save Nueva Vizcaya Movement, November 18, 2019
•Complaint-Communication submitted by Kalikasan-PNE and SAPAKKMMI to the UN Special Rapporteur on the Implications for Human Rights of the Environmentally Sound Management and Disposal of Hazardous Substances and Waste, Issue on Human Rights Obligations relating to the Enjoyment of a Safe, Clean, Healthy and Sustainable Environment, Working Group on the Issue of Human Rights and Transnational Corporations and Other Business Enterprises, Freedom of Peaceful Assembly and Association, Situation of Human Rights
Defenders, and Extreme Poverty and Human Rights, December 7, 2018
•Peoples day of action against Oceana Gold’s FTAA renewal, BrgyDidipio, Kasibu, Nueva Vizcaya, July 15, 2019
•Aquatic Life Criteria – Copper, US Environmental Protection Agency, https://www.epa.gov/wqc/aquatic-life-criteria-copper
•Toxicity of copper on rice growth and accumulation of copper in rice grain in copper contaminated soil, Xu Jiakuan et al, Chemosphere, 10.1016/j.chemosphere.2005.05.050
•https://www.reuters.com/article/oceanagoldoutlook/update-1-oceanagold-suspends-didipiomine-operations-in-philippines-amid-dispute-idUSL3N2702N4?fbclid=IwAR2lcj3U-xY_GexDEPdSjEsEt18at5e4gs04kWGeAma3W4OUjhqxlByPEw4