En février 2017, le Parlement européen a approuvé l’Accord économique et commercial global (CETA) conclu entre l’UE et le Canada, avec 408 voix pour, 254 contre et 33 abstentions. Deux mois plus tard, sont entrées en vigueur, à titre provisoire, les parties de l’Accord qui relèvent de la compétence exclusive de l’UE. Le processus de ratification par les parlements nationaux et régionaux des États membres est en cours. Si un seul de ces parlements rejette cet Accord signé fin octobre 2016 entre l’UE et le Canada, il ne pourra pas entrer en vigueur.
Rarement auparavant, les négociations et la conclusion d’un accord commercial ont été accompagnées par autant de protestations et de manifestations massives, de pétitions et de communiqués de presse de la part de la société civile. Partout en Europe, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue. 3,5 millions d’Européens ont signé une pétition contre le CETA et le TTIP dans le cadre d’une Initiative citoyenne européenne (ICE). La Commission a pourtant rejeté cette initiative.
Début mai 2017, un arrêt de la Cour de Justice Européenne (CJE) a confirmé l’illégalité du rejet, par la Commission européenne, de cette initiative ! Un succès exceptionnel ! Car ainsi, la Cour de Justice a contrecarré la stratégie de la Commission de l’UE d’exclure les citoyennes et les citoyens de l’examen des accords internationaux. Et même si ce jugement intervient bien trop tard, il confirme l’ICE comme instrument central de la démocratie participative.
Les protestations contre le CETA continueront durant les procédures de ratification par les parlements nationaux et régionaux.
Elles ont conduit à l’élaboration de protocoles additionnels à l’Accord CETA dont le caractère contraignant a été toutefois contesté par des avis juridiques. D’une manière générale, un protocole additionnel ne peut pas être en contradiction avec le texte de l’accord qui est resté inchangé. Pour la société civile, la substance de l’accord n’a pas été améliorée.
Selon une étude officielle de la Commission de l’UE et du gouvernement canadien de 2008, le CETA devrait conduire à une croissance du Produit National Brut de l’Union Européenne de seulement 0,08% ! L’analyse commune de nombreuses organisations de la société civile arrive même à la conclusion que le CETA non seulement ne produira aucune croissance, mais qu’il met en danger des emplois au prix d’intérêts démocratiques, sociaux et écologiques.
Le mécanisme d’arbitrage : Un danger pour la démocratie
Le mécanisme d’arbitrage prévu au chapitre sur la protection des investissements est l’un des principaux problèmes de l’accord CETA. Ce mécanisme permettrait à des entreprises multinationales de porter plainte contre des États et de leur demander des indemnisations si elles considéraient qu’elles perdent des bénéfices auxquels elles s’attendaient, suite à l’adoption de nouvelles lois. Et cela dans des domaines comme la santé, la protection de l’environnement et la régulation financière. Les tribunaux nationaux compétents jusqu’à présent perdraient une telle compétence, ce qui équivaudrait à une déchéance de l’ordre juridique national. Tous les États membres, les parlements et les tribunaux nationaux devraient se plier aux décisions de ces mécanismes. Jusqu’à présent de tels mécanismes ont seulement été prévus dans des accords commerciaux conclus avec des pays en développement où les structures judiciaires sont faibles. En Europe et au Canada, des tribunaux existent ; ils fonctionnent bien et pourraient assumer ces tâches sans problème!
Un tel droit est uniquement reconnu à des investisseurs étrangers, non pas à des entreprises nationales. Ni les Etats, ni la société civile, ni des personnes privées n’auraient la possibilité de porter plainte devant une telle instance contre des entreprises étrangères. Pourquoi une telle position spéciale douteuse devrait-elle être réservée à des entreprises étrangères ?
Les services publics ne sont pas exclus explicitement de l’accord. Un investisseur peut donc toujours mettre en question la légitimité d’une non- libéralisation d’un service. Aussi longtemps que ce droit de porter plainte n’est pas supprimé, les services publics sont bien concernés et menacés par le CETA.
Le même problème se pose pour les marchés publics. Des critères sociaux ou écologiques peuvent être considérés comme obstacles au commerce et les investisseurs peuvent à nouveau porter plainte et demander des indemnisations.
La pression de la société civile a certes conduit à certaines améliorations du statut des juges de ces tribunaux et une procédure d’appel a été introduite. Un système de cour des investissements (ICS- Investment Court System) remplace le système juridique privé des tribunaux d’arbitrage. Malgré cela, l’indépendance de ces juges n’est pas protégée de manière satisfaisante. C’est ainsi que, à titre d’exemple, le traitement de ces juges ne devrait pas dépendre du nombre de cas traités. C’est la position adoptée par les fédérations européenne et allemande des juges. Elles font également savoir que la nomination et les méthodes de travail des juges ne correspondent pas à la « Magna Charta » des juges européens.
La création d’une telle cour représente une menace pour la démocratie et pour la souveraineté des États de l’UE. Une instance similaire avait déjà été prévue, en 1995-1997, dans le cadre de l’accord multilatéral sur les investissements (AMI) négocié par 29 États de l’OCDE avant d’être rejeté, sous la pression de la société civile organisée, par le gouvernement français du Premier Ministre Lionel Jospin.
Il existe de nombreux exemples qui montrent comment un tel instrument peut miner les standards sociaux, environnementaux et de protection des consommateurs. Ainsi, Vattenfall, entreprise d’électricité suédoise, demande une compensation de 3,5 milliards d’euros à la République fédérale d’Allemagne pour des pertes prétendues causées par la sortie de l’énergie nucléaire. Philip Morris a porté plainte contre l’Uruguay et l’Australie à cause de leur législation anti-tabac. Suite au moratoire sur la fracturation de gaz de schiste et de pétrole adopté par le Québec, l’entreprise américaine Lone Pine, qui avait acquis auparavant une licence de forage d’essai, a porté plainte contre le Canada devant le tribunal d’arbitrage prévu dans l’accord ALENA. Lone Pine demande 250 millions de dollars de dommages et intérêts pour la perte prévisible de bénéfices.
40 000 entreprises américaines comme notamment Monsanto, Cargill, Coca-Cola, Walmart, ont des filiales au Canada et exercent une forte influence sur son économie. Comme pour l’accord ALENA, elles ne manqueront pas d’utiliser pleinement les recours que leur ouvre le tribunal d’arbitrage prévu par l’accord CETA. Le Canada a déjà été poursuivi 37 fois devant cette instance de l’ALENA. Il a déjà dû payer 170 millions de dollars de compensations, soit plus de huit millions par année.
Autre danger : la coopération régulatrice
Le CETA prévoit une instance qui doit se réunir régulièrement: le « Forum de coopération régulatrice ». Le Canada, l’UE et ses États membres devraient informer cette instance, un « Comité conjoint », chaque fois qu’ils préparent des régulations ou des projets de loi susceptibles d’influencer le commerce et les investissements. Ce qui permettra au partenaire – et à travers lui les « groupes d’intérêt » concernés, le plus souvent les fédérations économiques – de commenter ces propositions et de demander des modifications. A cet égard ATTAC Allemagne écrit: « En associant ainsi des représentants d’intérêts, comme le prévoit l’accord, une porte est largement ouverte à des lobbyistes économiques leur permettant de retarder ou de faire retirer des projets de loi qui présentent des « distorsions aux échanges », même avant que des parlements ou l’opinion publique aient pu se prononcer1.
La coopération régulatrice est dangereuse. Des standards éprouvés, comme pour la protection de l’environnement, des consommateurs et du travail, risquent d’être affaiblis. Améliorer des normes existantes sera rendu nettement plus difficile. En renforçant les structures de décision exécutives, la coopération régulatrice augmente le déficit démocratique de l’UE. Un rôle secondaire est réservé au Parlement européen2.
Avant le début des négociations concernant le TTIP, la Commission européenne a conduit 90 % de ses discussions préparatoires avec des représentants de l’économie et de l’industrie. Deux tiers des lobbyistes établis à Bruxelles sont en charge des intérêts des entreprises.
La privatisation et l’affaiblissement des services d’intérêt général
Le CETA est le premier accord européen qui introduit le principe d’une liste dite négative. Jusqu’à présent la pratique avait prévalu que, dans de tels accords, une liste positive soit établi, liste qui indique de manière explicite quels services ont pu être libéralisés. Par cette nouvelle approche, un champ large et incertain est ouvert et une pression s’exercera pour privatiser et déréguler ces services. Il ne sera plus possible de revenir à ce qui aura été une fois privatisé et dérégulé. Le CETA ne prévoit pas une exclusion claire et par principe des services d’intérêt général »3.
ATTAC critique par ailleurs: « Le CETA remet en question les critères écologiques et sociaux pour l’adjudication des marchés publics et ainsi un élément central de l’autonomie communale. Il risque également de miner les standards sociaux et de travail. Des investisseurs étrangers peuvent même porter plainte contre de nouveaux impôts et de nouvelles dépenses, comme un impôt sur la fortune. La promotion publique d’institutions culturelles est également en danger.» 4
Ouverture à la biotechnologie, à la fracturation et aux sables bitumineux
« Le CETA mine les standards environnementaux existants et réduit toute législation future dans le domaine de l’environnement. C’est ainsi qu’au cours des négociations du CETA et à la suite d’une vaste campagne de lobbying en faveur des huiles lourdes extraites des sables bitumineux canadiens, extrêmement nuisibles au climat, la directive de l’UE en matière de carburants a déjà été affaiblie. Le CETA permet également à des entreprises de porter plainte contre une interdiction éventuelle future de la fracturation de gaz de schiste. Les produits chimiques utilisés pour une telle fracturation risquent d’empoisonner les nappes phréatiques et même de provoquer des tremblements de terre »5.
Le principe de précaution
Le CETA ne prévoit nulle part le principe de précaution6 inscrit dans les traités de l’UE. L’accord se réfère uniquement à l’approche « scientifique » de l’OMC. Des produits et des technologies potentiellement dangereux ne peuvent être retirés du marché que lorsque leur risque a pu être établi de manière scientifique et sans le moindre doute – ce qui arrive souvent trop tard. La coopération régulatrice pourrait ainsi conduire à mettre sur le marché des produits issus de la biotechnologie ou de la viande aux hormones.
L’agriculture
Selon les dispositions du CETA, 65 000 tonnes de viande bovine et 75 000 tonnes de viande porcine supplémentaires auront accès au marché européen alors que les normes de qualité ne sont pas encore établies. Celui qui dit que ceci n’aurait aucune influence sur la production agricole en Europe, ignore ces faits. Ces importations du Canada mettront sous une pression considérable les prix du secteur européen de la viande. Il y a une différence de prix très grande entre les viandes porcine et bovine du Canada et celles de l’UE. La Wallonie a obtenu des assurances de protection en cas de perturbations dues aux importations du Canada et un non catégorique aux produits de la biotechnologie.
Le Canada a des normes plus faibles que l’UE pour les OGM, les pesticides, les colorants, les poulets au chlore et les hormones. Il est le troisième pays au monde pour la production d’OGM. Récemment, le Canada a autorisé le commerce de saumon OGM.
Le Canada favorise plutôt le développement d’une agriculture conventionnelle industrielle et la destruction d’une agriculture paysanne. Il est pourtant connu que c’est cette agriculture intensive qui est responsable d’une partie substantielle des émissions de gaz à effet de serre, 18 % de ces émissions provenant de la seule production de viande. Après la conférence COP21 sur les changements climatiques à Paris, il aurait été souhaitable que les deux parties se mettent d’accord sur la nécessité et les mesures concrètes d’une transition vers une agriculture durable, c’est-à-dire agroécologique.
Une réorientation de la politique commerciale
Nous avons besoin d’une réorientation fondamentale de la politique commerciale européenne et internationale afin que celle-ci puisse à nouveau devenir acceptable par les citoyens, pour contrer des tendances populistes et poser la base pour un commerce mondial plus juste. Une politique commerciale qui ne reflète pas les intérêts des entreprises multinationales, comme cela a été le cas du CETA, mais qui est au service des êtres humains, de la collectivité et qui reflète également des objectifs de développement durable.
La politique commerciale du futur est à mener à bien en toute transparence comme cela a été le cas pour le CETA dans la région de la Wallonie. Celle-ci a montré comment la démocratie peut et doit fonctionner en Europe. Selon les indications du ministre-président Paul Magnette, le Parlement wallon a débattu du projet d’accord UE-Canada durant plusieurs centaines d’heures.
S’agissant de la nouvelle politique commerciale à développer à l’égard des pays en développement, des propositions pratiquement identiques se retrouvent dans Fair Politics, la plateforme «Meng Landwirtschaft» et le texte «Migrations et développement» du Cercle des ONG.
Plus de cent professeurs d’université européens, canadiens et américains ont publié un document avec des propositions d’amélioration des accords commerciaux à conclure à l’avenir avec des pays tiers. Ils proposent en particulier:
- Que de nouveaux accords doivent contribuer à un développement durable, à la réduction de la pauvreté et des inégalités et à la lutte contre le changement climatique; A cet effet, des analyses contradictoires et publiques sur les nouveaux accords sont à présenter avant la rédaction d’un mandat de négociations;
- Toute proposition de la Commission pour un nouveau mandat de négociations est à soumettre d’abord aux Parlements en incluant au maximum la société civile à un tel exercice ;
- Ne pas prévoir une « entrée en vigueur provisoire » du mandat pour des accords qui concernent des compétences nationales afin que les droits de contrôle des parlements soient intégralement respectés;
- Obliger les parties à ratifier et à respecter les traités les plus importants en matière de droits de l’homme et de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ainsi que l’accord de Paris sur le changement climatique. Sont de même à mettre en œuvre les recommandations du projet BEPS (Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices). A cet effet, des données claires sont à fournir pour l’imposition et contre le changement climatique, par exemple des taux d’imposition minima sur des bénéfices des entreprises et des objectifs vérifiables pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre ;
- Exclure les services publics et les services d’un intérêt général ;
Il convient également de veiller, à l’avenir, à soumettre tant aux parlements qu’à la société civile des textes clairs et lisibles. L’Accord CETA comprend, sur plus de 1500 pages, des dispositions qui influencent fortement notre société, notre hiérarchie des valeurs. Il est tout simplement impossible de discuter, sur une base démocratique, une opération de réforme de cette envergure et de l’approuver d’un coup au nom de toute la population de l’UE. Le CETA n’a jamais été discuté de manière transparente! Il importe que la Commission européenne présente à l’avenir des textes, sous une forme appropriée, de sorte qu’ils soient compréhensibles par tous les citoyens.
Sources:
1 Proprium: «Attac kritisiert SPD-Spitze: »Ein bisschen CETA gibt es nicht!» online sous: http://www.sinn-schaffen.de/1609/attac-kritisiert-spd-spitze-ein-bisschen-ceta-gibt-es-nicht/ [18.12.2017]
2 Voir Mehr Demokratie e.V.: „Regulatorische Kooperation“, online sous: https://www.mehr-demokratie.de/fileadmin/pdf/RegKoop-Faktenblatt.pdf [18.12.2017]
3 Caritas Luxemburg, 2017
4 Attac: Was ist CETA?, online sous: http://www.attac.de/kampagnen/freihandelsfalle-ttip/hintergrund/ceta/ [18.12.2017]
5 Ibid.
6 Ce principe prévoit que l’accès d’un produit sur le marché n’est autorisé que lorsque l’entreprise a pu établir son innocuité pour l’être humain et pour l’environnement