Le rêve d‘un monde ailleurs: des visions personnelles de la migration

A l’occasion du 25e anniversaire de SOS Faim et du 50e anniversaire de l’Action Solidarité Tiers Monde (ASTM), les deux ONG ont mis sur pied un projet pédagogique sur le thème de la Migration en collaboration avec une classe d’accueil du Lycée Technique de Bonnevoie et la troupe de théâtre-action burkinabè ARCAN. À travers théâtre et témoignages, les élèves et les comédiens ont partagé avec le public leur vision et leur vécu du départ de leur pays à l’arrivée au Luxembourg en devenant ainsi l’écho des chamboulements du monde.

Actuellement, 19 lycées au Luxembourg, dont le Lycée Technique de Bonnevoie (LTB) proposent des classes d’accueil. Ces classes sont destinées à des élèves venant de l’étranger et ne parlant ni français, ni allemand. Elles ont pour but notamment de proposer aux élèves des cours intensifs en français, afin de faciliter leur intégration dans le système scolaire luxembourgeois. Ces classes présentent donc une grande variété au niveau des langues ainsi qu’au niveau des nationalités et des cultures des élèves. Suite au succès qu’a connu un projet de théâtre en 2015, SOS Faim et l’ASTM ont décidé de renouveler cette année le projet d’une pièce de théâtre réunissant d’une part des élèves d’une classe d’accueil d’un lycée luxembourgeois et de l’autre une troupe d’un pays du Sud.

C’est la classe d’Anna Rizzi du Lycée Technique de Bonnevoie qui a eu l’occasion de se plonger dans cette expérience originale. Après une présentation du projet de la part des deux ONG, la classe, constituée de 15 élèves de 10 nationalités différentes, a commencé par exprimer ses réflexions et expériences sur le thème de la migration. La perception personnelle des élèves se trouve au cœur même de la conception de la pièce. En effet, il ne s’agit pas d’un texte déjà écrit qui a été repris par la classe, mais il représente un véritable portrait des pensées, des expériences, des témoignages et des sentiments des élèves. « Je veux que ce soit pour les autres qui ne nous connaissent pas. Ils vont voir comment je pense et comment les autres, qui ont changé de pays, pensent» a expliqué une des élèves participant à la pièce. Ces moments de partage ont été encadrés par l’enseignante, une metteuse en scène, un musicien et les responsables des deux ONG impliquées, qui ont tous assisté les élèves dans l’exercice d’écriture fait en différentes langues.

De son côté, ARCAN (Agence pour la relance culturelle et artistique dans le Nord), une association burkinabé visant à sensibiliser les jeunes dans les villages à travers le théâtre-action, s’est aussi lancée dans l’écriture d’une pièce de théâtre. Comme les élèves, ARCAN veut rendre visible à travers l’expression artistique les conceptions et les expériences que ces acteurs burkinabés possèdent au sujet de la migration et de montrer comment les écarts sociaux, économiques et politiques existant entre le Burkina Faso et le Luxembourg peuvent affecter les points de vue sur cette thématique.

Après cette première phase d’expression et de rédaction, les élèves ont commencé à répéter 2 fois par semaine. Une partie de la pièce a été écrite en français. Toutefois, pour dépasser l’obstacle que représente la multitude des langues dans la classe, une grande importance a été accordée au langage non-verbal. Un élève qui communique la plupart du temps en anglais, a confié que cette langue ne représentait pas sa langue maternelle et que cela rendait plus difficile la communication de choses personnelles et de sentiments pour lui. Néanmoins, il a ajouté que les actions et gestes théâtraux valorisaient le sentiment de collectivité dans la classe, qu’ils lui permettaient d’exprimer de nombreuses choses et qu’ils le rendaient heureux et libre (« happy and feel free »).

A côté de la langue, certains jeunes ont également témoigné de la différence des cultures qui se cristallisait notamment par les variations de comportement. Au début, certains élèves voyaient dans le projet théâtre surtout une opportunité d’échapper aux heures de cours et ils profitaient du cadre plus souple pour discuter, s’amuser et jouer, alors que d‘autres disaient apprécier plutôt les moments de calme et la discipline que requiert l’exercice du théâtre.

Un des buts principaux de ce projet de théâtre était le renforcement de la cohésion au sein de la classe. Il vise à rompre la solitude que de nombreux élèves ont connue en quittant leur pays d’origine et en s’installant dans un endroit nouveau: «Nous pouvons travailler ensemble, parce que tout le monde sait ce qu’éprouve une personne étrangère » explique un des élèves. Les différences passent ainsi au second plan pour laisser la place au partage et au vivre ensemble.

Quant à la participation d’ARCAN, elle n’est pas seulement une occasion pour le public d’apprécier et de juxtaposer les deux pièces de théâtres, elle donne également lieu à une rencontre unique entre la troupe burkinabé et les élèves du Lycée Technique de Bonnevoie. Les élèves ont montré un grand intérêt de rencontrer les membres d’ARCAN, voir leur pièce et comparer les deux productions. Les attentes étaient différentes : «Ils vont exprimer leurs sentiments aussi, comme nous », «il y a beaucoup d’étrangers qui travaillent ensemble et c’est une belle chose », « j’espère que nous pouvons peut-être nouer des amitiés ». Ce qui est certain c’est que le thème de la migration, commun aux deux pièces de théâtre invite à une discussion profonde sur une thématique qui dépasse de loin les frontières du Luxembourg ou du Burkina Faso.

Comme l’indique son nom Le rêve d’un monde ailleurs, la pièce de la classe d’accueil permet effectivement d’évoquer le thème de la migration à partir du point de vue des élèves. Ils ont tous connu le départ d’un pays d’origine ou l’expérience d’un pays de passage et l’arrivée dans un endroit inconnu et étranger. Ils relatent des départs difficiles. Certains ont dû laisser des amis ou mêmes des membres de leur famille, comme un élève l’explique : « c’est une chose très difficile, quand nous quittons notre famille, nos amis, tout, et nous commençons une nouvelle vie ». Les élèves racontent également les difficultés qu’ils ont eues en arrivant, un des élèves s’exprime : «tu changes tout, tu changes les habitudes, tu changes le style de vie, la façon de manger, le climat», d’autres évoquent un tiraillement, une confusion après l’arrivée. Malgré ces bouleversements et les départs parfois à contrecœur, les élèves poursuivent un rêve au bout de ce périple. Ainsi un élève explique : «le rêve est la paix pour tous, et tout le monde veut de l’argent, tout le monde veut devenir plus content, ils veulent avoir du plaisir et tout le monde veut trouver quelque chose qu’il aime ». De plus, tous partagent une ardente curiosité, le désir de découvrir, rencontrer et apprendre: «partir c’est pour découvrir de nouvelles choses et apprendre aussi. Et sentir et regarder comment les autres pays vivent, à travers les traditions, la religion et leurs attitudes» confie une des élèves.

Le rêve d’un monde ailleurs est avant tout une invitation de la part des élèves à venir écouter leurs histoires. Ils viennent de 4 continents différents, certains de plus loin, d’autres de plus près ; certains avaient des bases en français, d’autres pas; certains sont timides, d’autres pas du tout ; mais tous sont relativement nouveaux au Luxembourg. Par ce projet, chacun tente de dépasser les différences pour coopérer et même créer des amitiés. Bien que les mots n’abondent pas, leur production est une preuve qu’il est possible de traiter de thématiques complexes, sans nécessairement parler à en perdre haleine. Il en résulte un projet qui montre que la « migration » est incroyablement plus que le stimulus à forte valeur émotionnelle exploité par les politiciens.

 

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