L’Agenda 2030 approuvé par les 193 Etats membres des Nations Unies en septembre 2015 définit un plan d’action global pour la réalisation d’objectifs de développement regroupant des aspects sociaux, économiques et environnementaux. Durant la phase de préparation de l’agenda, les organisations de la société civile (OSC) ont été invitées à participer à la définition de ces objectifs.
La participation de la société civile et des autres partenaires est mise en avant à de nombreuses reprises dans la déclaration officielle1.
Dans le paragraphe 39 la société civile est mentionnée comme partie prenante du partenariat global « Ce Partenariat fonctionnera dans un esprit de solidarité mondiale, en particulier avec les plus pauvres et avec les personnes vulnérables. Il facilitera un engagement mondial fort au service de la réalisation de tous les objectifs et cibles, rassemblant ainsi les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le système des Nations Unies et les autres acteurs concernés et mobilisant toutes les ressources disponibles. » Dans le paragraphe 52, la résolution insiste sur l’importance de la participation des toutes les parties prenantes «C’est un Programme du peuple, par le peuple et pour le peuple – et c’est là, croyons-nous, la meilleure garantie du succès.» L’agenda fait également mention de la société civile et des partenariats multi acteurs pour le suivi de la mise en œuvre. « Nous encourageons également les États Membres à procéder à des examens réguliers, dirigés et contrôlés par le pays, des progrès accomplis aux niveaux national et infranational. De tels examens devraient tirer parti des contributions des peuples autochtones, de la société civile, du secteur privé et d’autres parties prenantes, en fonction de la situation, des politiques et des priorités nationales. Les parlements nationaux ainsi que d’autres institutions peuvent aussi y contribuer. »
Mais qu’en est-il dans la réalité de l’appropriation de l’agenda par les OSC au niveau local ? Est-ce que la société civile s’est engagée dans le rôle proposé par la résolution ?
Nous verrons brièvement quels rôles peuvent prendre les ONG pour la mise en œuvre et le suivi des ODD pour ensuite lire ce que nous enseigne l’expérience sénégalaise à travers le point de vue de Oumar Sow, coordinateur de la plateforme des OSC pour le suivi des ODD.
Suite à l’approbation de l’agenda en septembre 2015, les OSC, tout en soulignant le caractère global et ambitieux de l’agenda, ont manifesté leurs inquiétudes sur des conflits et incohérences entre les objectifs et le manque de marge de manœuvre et d’engagement financier des Etats pour sa mise en œuvre.
Les grandes ONG internationales de développement, d’environnement ou des droits humains, habituées des tables de négociation et séminaires internationaux, ont été présentes dans les processus de négociation autour des objectifs et des cibles et se sont appropriées le cadre de l’agenda. Au niveau local, de nombreuses expériences pionnières intéressantes ont vu le jour portées par des ONG ou des plateformes nationales. Parfois ces initiatives sont lancées et inspirées par des plateformes internationales comme le Global Call to Action against Poverty2 ou Socialwatch ou sont appuyées par des ONG internationales.
On peut diviser l’action des OSC pour la mise en œuvre des ODD en trois axes :
1) Utilisation des ODD comme outil de suivi des efforts des gouvernements nationaux pour la lutte contre la pauvreté
Les ODD, bien qu’ils ne soient pas contraignants, permettent de tenir les gouvernements nationaux redevables de l’atteinte des objectifs sur lesquels ils se sont engagés. C’est là que les ONG nationales ont un rôle primordial à jouer en demandant des comptes à leurs gouvernements et en identifiant des pistes d’amélioration. Dans ce cadre-là, les ONG nationales ou les plateformes d’ONG produisent des rapports alternatifs (shadow reports) qui complètent ou critiquent l’analyse des avancements réalisés par les états dans les revues nationales volontaires. Parfois ces rapports alternatifs sont présentés lors d’événements publics ou de rencontres internationales ce qui permet de mettre la pression sur les gouvernements. Certaines ONG travaillent avec les communautés locales pour fournir des données de terrain pour le suivi des indicateurs et pour combler les manques des instituts de statistique nationaux.
2) Utilisation des ODD comme argument de plaidoyer pour mettre en avant certaines thématiques
Les ODD renforcent la légitimité des ONG pour porter des sujets sensibles ou délaissés vers les gouvernements. OXFAM Kenya a développé une campagne autour de la justice fiscale autour de l’ODD 10 comme outil de plaidoyer3. L’ODD 10 est également utilisé par OXFAM pour articuler la campagne globale « Reward work not wealth » sur la lutte contre les inégalités4. Womankind a développé un manuel de plaidoyer pour les droits des femmes autour de l’ODD 55
3) Encourager la prise en compte des populations les plus marginalisées
D’autres ONG ou institutions utilisent le concept clé des ODD, le « Leave no one behind », pour attirer l’attention sur les groupes sociaux les plus marginalisés et délaissés. Un bon exemple est celui des populations indigènes qui font partie des populations les plus fragilisées par la globalisation. Plus d’un tiers des cibles sont liées directement aux problématiques des populations indigènes6. Les ODD permettent d’analyser la réalité des populations indigènes en relation avec les ODD pour inciter les gouvernements à prendre des actions concrètes pour ces groupes7. La plateforme IPMG8 qui regroupe des organisations indigènes est représentée au FPHN et porte la voix de populations indigènes auprès des gouvernements nationaux et des instances onusiennes lors des FPHN.
Entretien avec Oumar Sow coordinateur de la plateforme des organisations de la société civile pour le suivi des ODD (POSCO-Agenda 2030) et coordinateur national de Global Call to Action against Poverty (GCAP)
Comment les OSC sénégalaises se sont appropriées les ODD et contribuent à leur mise en œuvre?
La société civile sénégalaise est fortement impliquée dans la mise en œuvre des ODD. Elle a été un acteur déterminant dans l’évaluation des OMD et dans l’élaboration du nouvel agenda. Et après l’élaboration de l’agenda 2030, la société civile s’est impliquée dans des actions de monitoring. Dans ce cadre, elle a préparé un rapport citoyen de contribution de la société civile qu’elle va présenter à New York lors du prochain Forum Politique de Haut Niveau (FPHN).
La plateforme des organisations civile pour le suivi des ODD (POSCO-Agenda 2030) regroupe une cinquantaine d’organisations et a choisi de faire un rapport citoyen pour compléter le rapport volontaire du gouvernement. Nous sommes des organisations qui travaillons sur des ODD différents, nous avons choisi les ODD sur lesquels nous pouvons faire un rapport. Chaque ONG a apporté l’information qu’elle dispose. Ensuite, au sein d’un groupe de travail, les ONG ont analysé les données. Ce travail a été fait avec un encadrement de la part de consultants. Ce rapport est un document critique qui ressort les éléments essentiels et qui fait une analyse de la situation actuelle. Le document contient aussi des recommandations dans la perspective d’accélérer ou d’améliorer la réalisation des objectifs. La question de « ne laisser personne en rade » est essentielle pour la mise en œuvre des ODD et doit être prise en compte de manière transversale au niveau de l’analyse des différents objectifs.
Comment s’articulent ces efforts avec le gouvernement pour ces activités de monitoring?
Il faut avouer que le gouvernement est ouvert. Je représente notre plateforme dans le groupe de travail ad hoc qui valide le rapport volontaire national. Nous participons et apportons à la rédaction des messages clés de la revue qui seront envoyés aux Nations Unies avant le prochain FPHN. C’est la société civile, le gouvernement, les think tanks et le monde académique qui préparent ensemble les messages qui seront envoyés. La société civile est présente et contribue aux réflexions et recommandations. Nous nous sommes accordés avec le gouvernement de faire un rapport commun sur les avancements. La société va faire son propre rapport citoyen, mais le gouvernement insérera les recommandations de la société civile dans le rapport volontaire final. Le rapport plus critique de la société civile sera annexé au rapport officiel du gouvernement. A New York, lors du FPHN, les Etats n’ont que 15 minutes pour présenter le rapport ce qui est court pour aborder tous les enjeux de la mise en œuvre des ODD. Le Sénégal a décidé d’organiser un événement parallèle durant lequel la société civile pourra partager son propre rapport.
Quel est le niveau de participation des communautés locales et de la population?
Il y a ce que l’on appelle la domestication des ODD. C’est à dire que les ODD doivent être connus et appropriés par la population. Nous avons essayé de traduire le «Leave no one behind» dans le langage national pour que les gens comprennent bien ce terme et se l’approprient. Nous utilisons maintenant l’expression « Ne laisser personne en rade ». Le gouvernement avait un plan national de développement qui mettait l’accent sur trois leviers : la transformation de l’économie, le capital humain et la gouvernance. Dans ce plan national, il y avait des actions qui s’attaquaient aux inégalités et mettaient le doigt sur les laissés-pour-compte. La société civile a approfondi la réflexion en mettant en avant la nécessité d’approfondir la cartographie sociale des laissés-pour-compte. Pour savoir qui ils sont, où ils sont, combien ils sont et quelles seront les types de réponses à apporter pour ces différentes populations. Le gouvernement avait mis en place un programme de couverture maladie pour les plus pauvres et des bourses familiales de sécurité et la carte d’égalité des chances pour les personnes vivant en situation de handicap. A ce programme se se sont ajoutés les PUDC, programmes d’urgence de développement communautaire traitant des problèmes d’équité territoriale entre le monde urbain et les zones rurales. Ce programme a pour but de casser cette fracture en améliorant les infrastructures et l’accès aux marchés. Il y donc une conscience au niveau gouvernemental pour les populations marginalisées mais ces réponses ne suffisent pas car les financements ne sont pas à la hauteur des défis à relever.
Comment l’agenda 2030 a t-il influencé les politiques de développement au Sénégal ?
Le Sénégal avait déjà un plan de développement national appelé le Plan Sénégal Émergent (PSE). Il a été élaboré en 2013 et est antérieur à l’agenda 2030. Quand l’agenda 2030 a été approuvé, nous avons tous participé avec le gouvernement à une réflexion pour voir comment intégrer le PSE dans les ODD ou l’inverse. Car il faut « domestiquer », il faut contextualiser les ODD si on veut qu’ils soient plus adaptés. Le gouvernement a donc travaillé pour aligner les deux agendas. Le nouveau plan sera aligné sur l’agenda 2030. Les politiques nationales seront alors mieux articulées avec les objectifs et cibles de l’agenda 2030.
Comment la société civile peut-elle contribuer au monitoring des ODD ?
Il faut que les décisions soient guidées par des données, on ne peut pas mener des politiques de développement à long terme si on ne génère pas des données. L’agence nationale des statistiques du Sénégal est chargée de collecter et de garder les données. Cette agence est très respectée mais beaucoup de choses restent à faire. Certaines données peuvent être générées par la société civile. Nous sommes en discussion avec le Global Partnership for Sustainable Development Data9 pour analyser comment ils peuvent contribuer à ce que les données générées par les communautés, les centres de recherches, les universités puissent être exploitées et intégrées dans les statistiques liées aux ODD. Car souvent ces données ne sont pas prises en compte par les agences nationales.
Voyez-vous des obstacles dans le respect des engagements de l’Etat par rapport à la mise en œuvre des ODD ?
Il y aura des élections présidentielles en 2019. Si un nouveau président accède au pouvoir, il faudra qu’il prenne en considération les efforts de son prédécesseur pour la mise en œuvre des ODD car il faut de la continuité dans les actions et dans le suivi. Il ne faut pas que les agendas politiques prennent le pas sur les agendas de développement. Les agendas de développement doivent servir de référence et non l’inverse. Mais souvent ce sont les agendas politiques qui ont un poids institutionnel local plus important et qui prennent le pas sur les engagements internationaux. C’est pour cela que le Plan Sénégal Émergent doit être considéré comme un instrument sur le long terme pour la mise en œuvre des ODD.
Il est important également de prendre en compte la dimension culturelle de la mise en œuvre de l’agenda. Il y a bien sûr la dimension sociale, économique et environnementale mais la société civile insiste sur le fait de prendre en compte la dimension culturelle. Cette dimension culturelle est fondamentale dans la transformation des sociétés. Lors de la dernière rencontre du forum africain pour le développement durable, les organisations de la société civile ont soulevé cet élément comme condition nécessaire à l’ appropriation locale de l’agenda.
Sources:
1 Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030
http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/70/1&Lang=F
2 Global Call to action against Poverty : http://whiteband.org 1
3 TAXING FOR A MORE EQUAL KENYA A five point action plan to fight inequality. https://kenya.oxfam.org/sites/kenya.oxfam.org/files/file_attachments/Taxing%20for%20a%20more%20equal%20Kenya%20Report.pdf
4 Reward work not wealth https://d1tn3vj7xz9fdh.cloudfront.net/s3fs-public/file_attachments/bp-reward-work-not-wealth-220118-en.pdf
5 Implementing the Sustainable Development Goals to advance women’s rights and gender equality: An advocacy guide. https://www.womankind.org.uk/docs/default-source/resources/sdg-implementation-advocacy-toolkit.pdf?sfvrsn=4
6 Where are indigenous people’s rights in the sustainable development goals?
The Indigenous Navigator: http://nav.indigenousnavigator.com/images/Documents/Tools/Navigator_UNDRIP-SDGs.pdf
7 Sustainable Development Goals Indigenous Peoples in Focus
http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_emp/—ifp_skills/documents/publication/wcms_503715.pdf
8 The Indigenous Peoples’ Major Group for Sustainable Development
https://indigenouspeoples-sdg.org/index.php/english/who-we-are/about-the-ipmg
9 Global Partnership for Sustainable Development Data http://www.data4sdgs.org/