La première question concerne l’extraction des minerais. Par exemple, pour un minerai comme le cobalt, on sait que le Congo produit près de 60% de la production globale et apparaît comme un acteur majeur. C’est un minerai qui est essentiellement utilisé dans la production de batteries électriques (on compte 5 à 6 grammes de cobalt dans les batteries de téléphone, 30 grammes dans les ordinateurs et 5 à 6 kg de cobalt dans les batteries de voiture). Charles Cikomola, vous habitez et travaillez dans la région du sud Kivu. Que pouvez-vous nous dire du secteur de l’extraction du cobalt au RDC ? Saviez-vous que dans nos téléphones ou dans nos ordinateurs se trouve une petite partie du Congo ?
Je dois dire que la société civile, et encore moins la population locale, en connaissent très peu sur le cobalt. Nous savons seulement que la province du Sud-Kivu dans laquelle je vis et travaille, produit énormément de cobalt. Les gens viennent spécifiquement dans cette région pour participer aux activités d’extraction mais peu savent réellement à quoi les minerais extraits servent. Même nous, représentants de la société civile, n’en connaissons pas beaucoup. Nous savons que le cobalt est très recherché. Pourquoi ? Nous ne le savons pas du tout. Enfin, je viens de l’apprendre grâce à votre question. Lorsqu’un minerai comme celui-ci est très recherché, on va jusque dans les forêts pour l’extraire et les grandes sociétés minières détruisent les forêts pour y participer.
Dans nos sociétés, c’est bel et bien un minerai qui est associé à la production des batteries et d’ailleurs récemment, il a fait la une des actualités puisqu’un panel de grand groupes économiques, dont Google, Apple, Microsoft ou même Tesla, ont fait l’objet d’une action en justice pour décès et blessures d’enfants en République Démocratique du Congo. On le sait, il y a énormément d’enfants qui viennent travailler sur ces sites d’exploitation et un article du journal anglais The Guardian parle notamment de 35 000 enfants mineurs. À cela s’ajoute un autre phénomène, c’est le phénomène d’extraction illicite, où des personnes appelées « creuseurs » viennent essentiellement pour travailler dans les mines et alimenter des filières illicites, en concurrence des filières dites légales, comme celles alimentées par les grands groupes internationaux dont Glencore et Trafigura qui viennent de Suisse. Tous ces phénomènes vont à l’encontre des droits humains et le travail des enfants ainsi que le travail illégal en sont deux illustrations criantes. Est-ce que ces phénomènes ont des conséquences connues pour les populations locales ? Est-ce qu’on a conscience de ces phénomènes aux importantes répercussions sociales et de ces violations majeures des droits humains ?
Oui. Par exemple, au sud-Kivu, il y a un réseau d’ONG qui travaille sur les minerais. Elles connaissent les conséquences sociales et je peux en citer quelques-unes. Il y a par exemple la déscolarisation des enfants. Ces enfants quittent l’école pour aller participer à l’extraction minière du cobalt ou de la cassitérite. Même les femmes autour des creusages, dans les zones minières, profitent de l’économie minière en proposant des activités de restauration, de vente d’outils ou de petits articles de consommation. Elles dépendent fortement de l’activité de la mine et la conséquence première est que ces femmes ne font plus les travaux traditionnels comme les travaux agricoles et elles délaissent leurs champs. Les militaires aussi, descendent parfois dans les zones minières et s’adonnent à des activités de rançonnages, pillent et violent certaines populations et les conséquences sociales sont dramatiques. Les violations des droits humains sont donc connues mais leur perception est différente en Afrique.
Votre travail de promotion de l’agriculture durable permet également de combattre ces méfaits, alors que les activités agricoles constituent une alternative louable aux travaux de l’extraction minière. Plus généralement, je crois savoir que les organisations de la société civile jouent un rôle social primordial au sud Kivu. Quel regard portez-vous sur ce rôle social ?
Pour nous, la société civile, même si nous n’avons pas beaucoup de pouvoir, c’est-à-dire que nous ne savons arrêter un enfant qui veut descendre dans les mines, ou une dame qui va commercer avec les creuseurs, c’est important de faire de la sensibilisation et de la promotion pour les travaux agricoles. Les ONG du secteur minier participent même à la cartographie des sites miniers et aussi à l’élaboration de la nouvelle loi minière. Connaissant les méfaits et les graves conséquences sociales de ce genre d’activités, leur travail de sensibilisation est extrêmement important pour les populations locales, surtout auprès de la jeunesse.
À propos de la jeunesse justement, comment ramener la jeunesse vers les activités agricoles et l’écarter des activités minières, dangereuses mais pourtant beaucoup plus rémunératrices ? À propos de la dangerosité des activités minières, à quels dangers sont confrontés les creuseurs ?
C’est en fait très difficile de convaincre la jeunesse. Nous sommes d’avis que cela devrait être l’une des préoccupations principales des hommes politiques et de nos gouvernants. Malheureusement, ils n’en font même pas allusion dans leurs allocutions et le phénomène de déscolarisation de la jeunesse ne semble pas les préoccuper. On essaye de sensibiliser les jeunes, les parents de ces jeunes ou même de petits enfants, mais c’est très difficile de les convaincre et de les détourner de leur attirance pour le secteur de l’extraction minière. On constate surtout une perdition de la main d’œuvre juvénile pour les travaux agricoles, ce qui menace fortement ce secteur de l’économie. La jeunesse, qui représentait jusqu’à présent la « main d’œuvre forte » de l’agriculture, délaisse petit à petit ce secteur, ce qui occasionne une baisse significative de la productivité agricole. Pour les femmes, c’est le même problème. Les jeunes femmes sont tentées par le travail dans les mines et délaissent également le secteur agricole. D’un point de vue sanitaire, les conséquences sont parfois graves avec la propagation de maladies dans les carrés miniers à cause du manque d’hygiène et du confinement des creuseurs. On constate beaucoup d’infections, notamment les infections sexuelles transmissibles, ou des maladies à potentiel épidémique et fortement contagieuses comme le choléra qui se développent fortement dans ces zones. Dans ces zones d’ailleurs, il n’y a pas d’hôpitaux, mais principalement de petits centres de soins. Les risques sanitaires sont donc plus élevés dans les zones des carrés miniers.
En plus des conséquences sociales, force est de constater que les conséquences environnementales de l’extraction des minerais sont terribles, comme la surexploitation des ressources naturelles, la pollution des sols et des nappes phréatiques, etc. Quand on sait que vous travaillez en contact direct avec la nature et que le respect des sols, des plantes et des arbres constitue la base de votre travail, que pouvez-vous nous dire des conséquences environnementales de l’extraction des minerais ?
Il est évident que l’extraction minière a des conséquences néfastes sur l’environnement. Comme vous l’avez très justement rappelé, nous faisons face à la pollution des eaux, à l’accumulation des déchets. Mais il ne faut pas oublier le phénomène de déforestation. On coupe les arbres et on détruit les forêts pour installer les zones de forage et pour étendre les zones d’exploitation. L’extraction des minerais tue notre sol à petit feu.
Est-ce qu’on peut considérer que le secteur de l’extraction minière est votre pire ennemi, en tant que représentant d’une ONG agricole durable ?
Oui, c’est exactement ça ! Le secteur minier représente notre pire ennemi dans la province du sud Kivu, tant les conséquences sociales, environnementales et économiques sont néfastes.
L’élection d’un nouveau président en RDC est selon vous, et pour beaucoup, porteuse d’espoir.
Si vous aviez une recommandation pour votre cause à formuler à ce nouveau président, quelle serait-elle ?
D’abord, il s’agirait de revoir les contrats conclus par l’ancien gouvernement avec les grandes multinationales qui travaillent dans le secteur de l’extraction, notamment canadiennes, américaines, chinoises, japonaises ou même françaises. Il faudrait également procéder à une sorte d’audit, un audit des mouvements d’argent entre ces groupes et les instances de l’Etat. Il faut savoir que nous suspectons l’ancien président d’avoir privilégié les contrats avec ses proches et qu’il y a matière à conflits d’intérêts.
À propos des creuseurs artisanaux, on peut dire que ce sont des creuseurs difficiles à maîtriser. La nature de leur travail est informelle et cela échappe au pouvoir de l’Etat. Il faut que ce dernier intervienne et qu’il soit fort!
Pensez-vous que vous pourriez avoir un jour une cohabitation un peu plus saine avec le secteur de l’extraction minière ?
Si c’est structuré, nous ne pouvons pas refuser cette cohabitation. Nous ne pouvons pas renoncer à l’extraction des minerais mais nous aimerions que ce secteur soit légiféré et sujet à plus de règles. L’Etat doit être fort pour maîtriser cela. La cohabitation saine, tant que notre Etat ne sera pas fort, nous n’y parviendrons pas. Actuellement, le président à un slogan, qui dit, le sol doit se venger du sous-sol ! Il fera tout pendant son mandat pour donner raison à ce slogan et permettre que le sol se venge du sous-sol. Le sous-sol, et les minerais qui y sont présents, a été la grande préoccupation de l’économie congolaise et on ne parlait pas du tout de l’agriculture, donc du sol. Nous sommes en train d’observer des changements et je pense que le président actuel va y parvenir. Pour y arriver, il doit favoriser l’agriculture. Il doit signer des lois qui donnent beaucoup de priorité aux activités agricoles. Les priorités de financement, des taxations plus favorables, car quand une exploitante agricole produit des haricots, avant de les vendre au village, elle doit payer des taxes, qui sont souvent trop élevées pour que ce genre d’activité soit rentable. Si des efforts sont effectués dans ce domaine alors le sol sera bel et bien vengé du sous-sol.
Qu’en est-il des problèmes structurels ou même infrastructurels qui viennent freiner le bon développement du secteur agricole au sud-Kivu et plus généralement en République Démocratique du Congo ? À l’heure actuelle, la production agricole ne sert qu’à répondre aux besoins locaux. Les productions ne peuvent pas être vendues vers l’extérieur à cause du manque de transports, de routes ou de moyens de communication stables. C’est donc un réel problème ?
C’est un réel problème oui, car tout ce qui gravite autour de l’agriculture est important pour son bon développement. Il faut que les voies de communication soient possibles, que les infrastructures nous permettent de développer nos activités vers l’extérieur. Il faut aussi faciliter la tenue des marchés, puisqu’il y a des manquements à ce niveau-là. La commercialisation des productions agricoles est très importante pour tous les agriculteurs mais elle est très difficile et ça a tendance à décourager. Lorsqu’on a produit et qu’on ne peut pas vendre, qu’on ne peut pas acheter d’autres produits ou investir, on se décourage. Le lendemain, on prend le risque de ne plus pouvoir produire. Cela n’a rien à voir avec le manque de consommateurs, car les consommateurs sont nombreux. Le réel problème concerne l’acheminement des productions vers les lieux de commercialisation.
D’ailleurs, quand on se balade sur les marchés des grandes villes du sud-Kivu, quel genre de produits peut-on trouver ? D’où viennent ces produits ?
Ah, la concurrence ! La concurrence extérieure, parlons-en. Pour ma part, je suis à Bukavu, à la frontière du Rwanda, pays dans lequel l’agriculture est subventionnée par l’Etat. Les voisins rwandais produisent donc pour le marché congolais ! Quand on est concurrencé par des voisins bénéficiant de subventions alors la paysanne congolaise qui vient essayer de vendre sa pomme de terre sur les marchés n’a aucune chance. Le prix de la pomme de terre produite localement au Congo, sans subventions, est bien entendu plus élevé que la pomme de terre produite dans un pays voisin, bénéficiant de subventions. La « mama » congolaise ne peut concurrencer ce prix et finit bien souvent par se décourager. Nous manquons cruellement de subventions. On peut donc dire que le Rwanda s’est redressé plus rapidement et de façon plus efficace après les périodes de conflits (ndlr : première et deuxième guerre du Congo) dans le domaine des infrastructures, de la communication et du commerce que son voisin congolais. Mais au-delà de nos voisins, nous trouvons aussi du riz asiatique, notamment thaïlandais sur nos marchés, bien moins cher que le riz produit localement. Même le sucre qui était produit dans une sucrerie à Kiliba, au sud-Kivu, a été concurrencé par les productions extérieures, pourtant de moins bonne qualité, et a contraint la sucrerie de Kiliba à fermer.