Les Objectifs de développement durable: Les structures de la pauvreté sont maintenues

(Extrait de livre)*

Fin septembre 2015, l’agenda des Objectifs de développement durable a été adopté par 192 Chefs d’État et de Gouvernement lors d’un Sommet de l’ONU à New York. Ces objectifs vont largement déterminer l’agenda du développement au cours des quinze prochaines années. Des gouvernements, des instituts de développement et des ONG du monde entier vont s’y référer, les examiner et les commenter tout en s’efforçant de contribuer à leur réalisation. Il s’agit d’un agenda bien chargé puisqu’il compte 17 « Objectifs de développement durable » déclinés en 169 cibles.

Il prend le relais de l’agenda des Objectifs du Millénaire pour le développement adopté en 2000 et venu à échéance en 2015. La plupart des objectifs de l’ancien agenda sont repris dans le nouveau, mais de manière nettement plus ambitieuse. Ainsi l’extrême pauvreté et la faim seraient à éliminer complètement d’ici 2030 et pas seulement à réduire de moitié. Non seulement l‘accès pour tous à une école primaire doit être assuré, mais également l’accès à une école secondaire, et même au préscolaire et à une formation professionnelle. Les droits des femmes sont mieux pris en compte et l’agenda inclut les droits à la santé sexuelle et reproductive.

L’innovation majeure consiste à introduire des objectifs de durabilité, comme la gestion durable des ressources en eau et des forêts, à prévoir des mesures comme la prévention des changements climatiques, le développement durable des océans et des mers, la protection des écosystèmes, l’arrêt de la perte de biodiversité et de la désertification, etc. Souvent ces objectifs de développement durable sont liés à des objectifs de développement.

Le nouvel agenda comprend non seulement des objectifs de nature sociale ou écologique mais aussi économique et politique. Ainsi la réduction des inégalités et l’introduction de systèmes fiscaux plus justes figurent à cet agenda. Il s’agit d’une tentative pour mieux tenir compte de la nature plus complexe et multidimensionnelle du développement.

Tous les objectifs sont universels: ils valent pour tous les pays, autant pour ceux du Nord que pour ceux du Sud. Les pays riches sont donc également tenus d’éliminer la pauvreté. Des inégalités toujours plus grandes existent non seulement entre les pays, mais également à l’intérieur des pays, y compris chez nous. Ces défis ne devraient toutefois pas conduire les pays riches à oublier leurs responsabilités à l’égard des pays en développement.

Certains de ces objectifs ne sont toutefois pas très précis et n’ont guère de lien avec la pauvreté. Ainsi, le nombre des morts par le trafic devrait être réduit de moitié et des documents d’identité seraient à établir pour tous. Mais le texte n’indique pas comment de tels objectifs seraient atteints. Il préconise également de réduire le degré d’acidification des océans et de combattre le crime organisé. Aucune proposition concrète n’est faite là non plus pour y arriver. D’autres objectifs encore ne paraissent pas très réalistes, comme celui d’assurer une croissance de 7 % pour les pays les moins avancés, ou d’éliminer toute forme de violence contre les filles et les femmes.

N’aurait-il pas été préférable de se limiter à un nombre d’objectifs plus réduit et réalisables?

Propositions intéressantes et faiblesses

L’objectif No 2 de l’agenda comprend des propositions pertinentes en vue d’éliminer la faim et d’assurer la sécurité alimentaire. A cet effet, et d’ici 2030, la productivité agricole et le revenu des petits producteurs est à doubler, en particulier ceux des femmes, des exploitants familiaux, des éleveurs et des pêcheurs. Et, pour cela, à leur assurer un accès sûr et juste à la terre, aux autres ressources productives, au savoir, aux services financiers et aux possibilités de créer de la valeur ajoutée. Les investissements dans l’infrastructure, la recherche agricole et la mise en place de banques de semences devraient progresser y compris grâce à l’aide de la coopération internationale.

Il convient de souligner que cet objectif serait à atteindre par une agriculture « durable ». Celle-ci n’est toutefois guère définie. Il est tout au plus question du maintien d’une diversité génétique des semences et d’animaux d’élevage ou domestiques. Aucune mention n’est faite d’une agriculture biologique ou d’une agriculture sans pesticides.

Autres faiblesses : Les droits de l’homme apparaissent dans le préambule de l’agenda, mais ne sont pas retenus en tant qu’objectifs. Et aucune des mesures décrites n’est contraignante. L’agenda a été adopté par une résolution qui n’a qu’un caractère de recommandation. Même s’il revêt une certaine portée politique, chaque gouvernement peut, en fait, en faire ce qu’il veut.

Un financement incertain

Les besoins de financement sont évalués à plusieurs milliers de milliards de dollars. Or, l’Aide Publique au Développement (APD) se limite, à présent, à seulement quelque 130 milliards de dollars par an.
De nouvelles sources de financement sont citées. Appel est fait au secteur privé et à des partenariats public-privé. Au chapitre suivant, je soumets ce nouveau type de partenariat à un examen critique.
Rien n’est prévu pour réguler les marchés financiers et pour lutter contre la spéculation financière comme celle sur les produits alimentaires.
Selon l’agenda, les États devraient améliorer leurs capacités à prélever des impôts et à éviter l’évasion fiscale. A cet égard, la grande responsabilité des pays industrialisés n’est pas à oublier. Selon l’ONG « Global Financial Integrity », des flux financiers partent chaque année du Sud vers le Nord qui sont de huit à dix fois plus importants que l’Aide Publique au Développement.

Les pays riches restent-ils crédibles?

Les pays riches ont un grave problème de crédibilité. Ils se sont, en fait, engagés depuis des décennies à augmenter leur Aide Publique au Développement à 0,7 % de leur Produit National Brut. En 2005, sous Présidence luxembourgeoise, les États membres de l’UE ont pris, à cet effet, un engagement politique clair et net au niveau du Conseil Européen. Aujourd’hui, nous devons constater que seuls cinq États ont atteint cet objectif: la Suède, la Norvège, le Danemark, le Luxemburg et le Royaume-Uni. Il est honteux que des États comme l’Allemagne ou la France n’arrivent à peu près qu’à 0,4 %, l’Italie à moins de 0,2 %, les États-Unis ou le Japon à peine à 0,2 %. S’y ajoute que la qualité de cette aide laisse souvent à désirer, les pays avant tout les plus grands, comme les États-Unis, la poursuivant clairement à des fins politiques et stratégiques.

L’ordre mondial néolibéral n’est pas mis en cause

D’après l’agenda, le développement économique est basé sur la croissance qui doit certes être inclusive et durable, être accompagnée par un emploi productif et un travail décent pour tous. Mais en rappelant en même temps que le marché doit rester « ouvert » selon les règles de l’OMC, l’agenda ne met nullement en cause l’ordre économique mondial néo-libéral, ni la libéralisation des marchés que ce dernier impose aux pays en développement. Le processus d’appauvrissement d’un grand nombre de pays en développement, processus que les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International ont provoqué, au cours des dernières décennies, n’est même pas traité. On peut donc s’attendre à ce qu’il soit poursuivi.

Jean Ziegler, lui aussi, dans sa critique du document note « qu’aucune mesure concrète, réellement efficace, n’est susceptible d’être imposée aux États pour mettre un terme à la famine, comme, par exemple, l’interdiction de la spéculation boursière sur les aliments de base, de l’accaparement des terres agricoles par des hedge funds, des agrocarburants, du dumping européen sur les marchés alimentaires du monde, des fonds vautour, etc »1.

Or, les pays pauvres, en particulier en Afrique, ont un besoin urgent de création d’emplois et de revenus décents étant donné le nombre de jeunes arrivant sur le marché de l’emploi. Certes, l’agenda affirme qu’il est impératif de créer des capacités de production, en particulier dans l’agriculture et dans l’industrie. Mais les petites exploitations de ces pays ne peuvent exister, se développer et vendre leurs produits sur le marché à des prix justes que si elles ne sont pas concurrencées par des produits alimentaires, textiles ou autres importés des pays riches ou émergents beaucoup plus compétitifs.

L’UE sert-elle le développement ?

Nous avons déjà vu comment que les États de l’UE écoulent de plus en plus leurs produits agricoles et alimentaires sur les marchés africains à des prix de dumping : nous ruinons ainsi des millions de familles de petits paysans, en les éliminant de leur propre marché. Et la seule issue qui leur reste n’est souvent que l’exode rural vers les bidonvilles et, de plus en plus souvent, la fuite vers l’Europe en passant par Lampedusa.

Une question-clé, celle de la nécessité pour les pays pauvres de réguler leurs marchés n’est pas abordée dans l’Agenda. Comment pourront-ils alors protéger leurs petits producteurs et restructurer leurs économies ? Cette lacune compromet gravement le chemin vers un développement réel et durable. Et comble de l’hypocrisie, les mêmes pays occidentaux, d’un côté, imposent aux pays en développement des marchés « ouverts » et, de l’autre, ne se privent pas de protéger fortement chez eux leurs produits agricoles sensibles, soit par des tarifs douaniers très élevés, comme cela est le cas de l’UE, soit en versant à leurs propres producteurs de fortes subventions, ce qui élimine toute concurrence étrangère.

La libéralisation des marchés et la baisse imposée des tarifs douaniers a également privé beaucoup de gouvernements des pays en développement de recettes importantes. Les budgets pour financer les programmes d’éducation et de santé ont dû être réduits. Une privatisation de plus en plus grande de l’éducation et des soins de santé en a été la conséquence, privant de soins ou de formation les plus pauvres d’entre eux. Ce processus est aggravé par de nouveaux accords de libre-échange bilatéraux ou régionaux conclus avec les pays en développement comme les accords de partenariat économique (APE).

Ma conclusion : l’agenda des Objectifs de développement durable traite certes les symptômes de la pauvreté, mais pas ses causes structurelles. Son échec risque ainsi d’être programmé.

Sources:

1 Jean Ziegler, Chemin d’espérance, Ed. Du Seuil, 2016, p. 35

*Cet article est extrait du livre « Leistet Widerstand!: Eine andere Welt ist möglich! » de Jean Feyder publié par Westendverlag en 2018. Bientôt également disponible en français.

 

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