Comment les syndicats s’engagent-ils en faveur des droits humains?
Tout d’abord un grand merci pour la formulation de la question. Je pense en effet qu’il faut non seulement parler de droits humains mais également agir au quotidien dans ce sens, plutôt que de se limiter comme communément d’évoquer les droits de « l’homme ».
Même si ce 10 décembre nous allons fêter le 70 anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, je pense qu’il serait effectivement grand temps, et non pas pour des raisons sémantiques, de remplacer hommes par humains.
Je tiens à rappeler que la première déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 suite à la révolution française ne s’appliquait tout simplement pas aux femmes mais uniquement au genre masculin. Depuis la déclaration de 1948 tout le monde est d’accord pour dire que le terme homme doit être interprété au sens générique et qu’il n’y a pas de discrimination de genre.
Je pense que ce serait encore plus clair si on le spécifiait dans le nom même. Il s’agit d’ailleurs ici d’une aberration de la langue française, car dans pas mal d’autres langues cette adaptation a été faite (ainsi en anglais on parle de « human rights », en allemand de « Menschenrechte », etc…).
Par exemple, le nouveau gouvernement du Luxembourg pourrait prendre une initiative et adapter le nom de la Commission consultative des Droits de l’Homme.
Ceci étant dit et pour revenir à la question initiale tout dépend de ce qu’on entend par droits humains. Si on se réfère à la définition donnée par les Nations Unis, alors on parle «…des droits inaliénables de tous les êtres humains, sans distinction aucune…» les fondements se trouvant dans la Charte de 1948, entretemps le socle des droits humains a été élargi pour y inclure des normes spécifiques concernant les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les minorités, les groupes les plus vulnérables, etc…
Les droits fondamentaux étant de nature civile, culturelle, politique, économique et sociale ; et donc ici nous nous retrouvons de fait dans ce qui constitue pour ainsi dire le travail quotidien des syndicats. Quand nous revendiquons des meilleures conditions de travail, quand nous nous engageons pour une amélioration des systèmes de protection sociale, quand nous manifestons pour plus de justice sociale et fiscale ici et partout ailleurs, quand nous revendiquons une globalisation à visage humain et durable, quand nous déclarons notre solidarité avec des travailleurs en lutte partout dans le monde ; nous sommes alors en droite ligne de la défense des droits des humains.
Dans ce contexte, quelles sont les actions menées par l’OGBL au Luxembourg et à l’étranger ?
Comme signalé il y a déjà notre travail quotidien dans les entreprises et les secteurs, où nous intervenons aux côtés de nos délégués pour défendre les droits des salariés et pour améliorer leurs conditions de travail. A côté de cela il existe tout une série d’organes et d’institutions nationales dans lesquelles nous sommes partie-prenante et qui interviennent directement sur les différents terrains (sécurité sociale, emploi, droit du travail, etc…).
Nous sommes également affiliés à diverses fédérations syndicales européennes et mondiales et de par ce fait indirectement impliquées dans des dossiers internationaux et actions de défense des droits humains.
En 2000 nous avons créé une ONG (ONG OGBL Solidarité syndicale) dont l’objet principal est de proposer des projets de développement économique, social, technique et culturel en faveur des pays en voie de développement. Notre volonté étant d’apporter une contribution concrète – même si elle est modeste – pour avancer ensemble vers un monde plus équitable et juste.
Notre premier grand projet intitulé Ghana Luxembourg Social Trust, consistait à promouvoir l’institutionnalisation et l’extension d’un système de protection sociale au Ghana et en particulier l’adhésion des femmes enceintes et de leur famille à la sécurité sociale. Ce projet qui portait sur plus de 9 ans a été réalisé en étroite coopération avec l’OIT et vu son succès, le projet a été repris par l’Unicef afin d’être appliqué dans d’autres régions du Ghana.
Actuellement nous avons des projets au Cap Vert (création d’un Centre de formation économique et social permettant de consolider le syndicalisme et donc le statut des salariés au Cap Vert) ; en Bolivie (un projet en commun avec d’autres acteurs luxembourgeois appelé «Trabajo digno» qui permet de former et d’assister des salariés et demandeurs d’emploi dans la défense de leurs droits sociaux) ; un projet est en préparation au Burkina Faso avec l’objectif final de mise en place d’une mutuelle santé ; nos réflexions portent également sur d’autres projets dans d’autres pays.
La liberté syndicale est un droit qui figure dans plusieurs instru-ments internationaux mais le combat semble loin d’être gagné. Quel est l’état des lieux? Quels sont les enjeux actuels?
D’après plusieurs études, la liberté syndicale est de plus en plus menacée dans de nombreux pays. Cette menace prend évidemment des formes horribles et extrêmes dans certains pays (Turquie, Brésil, Chine, Indonésie) où des syndicalistes se font assassiner parfois en plein rue, enfermer en prison, sont exposés à d’innombrables menaces à leur intégrité physique ou à celles des membres de leur famille, etc… et dans d’autres endroits du monde où ces menaces sont plus subtiles.
Ainsi la CIS (Confédération Internationale des Syndicats) publie depuis 2014 un indice annuel des droits syndicaux dans le monde, et force est de constater que sous l’influence débridée des multinationales et de l’ultralibéralisme les travailleuses et travailleurs dans le monde sont de plus en plus exposés à une réduction des droits démocratiques et confrontés à une croissance galopante des inégalités.
Une autre difficulté rencontrée dans divers pays réside dans le fait que le pouvoir en place crée des syndicats proches du régime ou des syndicats purement corporatistes avec l’intention claire et nette d’affaiblir les syndicats combatifs et indépendants.
Et au Luxembourg ?
Au Luxembourg nous sommes heureusement loin de ces tendances anti-démocratiques. Il faut néanmoins rester vigilants et garder en vue que divers pays européens ont récemment fortement diminués certains droits fondamentaux de négociation collective (par exemple l’Italie, le Portugal, l’Espagne sans parler de la Grèce). Que dire alors de la France et de la fameuse loi « El Khomri » réformant le code du travail et permettant au gouvernement en place d’adopter des changements de loi par simple ordonnance.Personnellement, ce qui me dérange et m’étonne toujours au Luxembourg c’est le fait que le code du travail parle toujours d’une délégation du personnel et non pas d’une délégation syndicale. Comme si le fait de ne pas l’énoncer ferait oublier le fait syndical ; alors qu’une délégation du personnel sans soutien syndical et toute l’expertise qui va avec n’a quasiment aucun moyen d’aboutir à des résultats concrets.Je pense qu’un des plus grands enjeux au Luxembourg consistera à lever les divergences entre syndicats et aller vers la création d’un syndicat unique qui pourra agir d’une seule voix dans l’intérêt de la défense des salariés.
Quelles sont les tendances mondiales au niveau des droits des travailleurs ?
La CIS soulève trois tendances principales dans son rapport de 2018 :
1.Un espace démocratique de plus en plus exigu notamment par la montée en puissance de régimes répressifs (Turquie, Bélarus, Egypte, Algérie), la poursuite de conflits armés (Burundi, Somalie, Libye, Palestine, Yemen, etc…) et le fait que divers pays ne parviennent plus à garantir des droits fondamentaux, comme le droit de s’organiser, de dénoncer ou de manifester (Brésil, Argentine, Espagne où deux syndicalistes ont été poursuivis en vertu d’une loi datant de l’ère de Franco…).
2.L’influence débridée des entreprises qui prennent de plus en plus de poids dans l’adoption de lois régressives du travail (ainsi la chambre du commerce américaine, l’Association européenne des entreprises, l’association des investisseurs étranger, le FMI ont mené des actions de pression dans ce sens en Moldavie, au Monténégro, en Roumanie, Grèce, Portugal, Libéria, etc…)
3.Un pouvoir législatif et des gouvernements régressifs en terme de droit du travail ; on parle ici notamment du Brésil, de la Chine, de l’Indonésie.
Actuellement, le nombre de défenseurs des droits humains assassinés ne cesse d’augmenter chaque année. Qu’en est-il des défenseurs des droits syndicaux?
Toujours selon le rapport de la CIS des membres de syndicat ont été tués dans 10 pays en 2018 : Brésil, Chine, Colombie, Guatemala, Guinée, Mexique, Niger, Nigéria, Tanzanie et Turquie (dernier assassinat en date du 14 novembre du président du syndicat de l’industrie du Caoutchouc et des produits chimiques).
Le nombre de pays où des travailleurs ont été exposés à des meurtres, des violences physiques, des menaces de mort et des intimidations a considérablement augmenté, passant de 59 en 2017 à 65 en 2018. Rien qu’en Colombie 19 membres syndicaux ont été assassinés cette année.
Malgré des efforts collectifs pour améliorer les salaires et les conditions de travail, les travailleuses et les travailleurs sont de plus en plus victimes de la répression, d’actes d’intimidation et de discrimination. Aux Philippines, en Inde et au Bangladesh, la main-d’oeuvre lutte toujours pour faire valoir son droit fondamental de s’associer librement et fait face à une violente opposition de la part des employeurs.
Le nombre de pays ayant arbitrairement arrêté et détenu des travailleurs est passé de 44 en 2017 à 59 en 2018. Quatre-vingt-sept pour cent des pays ont violé le droit de grève. À l’échelle mondiale, des changements néfastes s’opèrent au niveau des conditions de travail. Soixante-cinq pour cent des pays privent les travailleurs du droit de créer des syndicats et d’y adhérer, soit une hausse de 60 % en 2018.
À l’échelle mondiale, de plus en plus de travailleurs sont exclus de toute protection établie par les législations du travail, comme les 2,5 milliards de personnes qui travaillent dans l’économie informelle, les millions de travailleurs migrants, les personnes qui ont un travail précaire et celles qui travaillent pour des plateformes commerciales.
Les travailleurs et leurs syndicats sont les défenseurs des droits et des libertés, ils s’engagent pour renforcer le pouvoir d’achat, pour mettre un terme aux violations et à la cupidité des entreprises et en cela ils sont des défenseurs des droits humains. Il est grand temps de changer les règles au niveau mondial, pour une société plus équitable et juste.