En décembre 2023 l’ASTM avait publié une prise de position au sujet de la Palestine. Interpellée par ses partenaires actifs en Cisjordanie, l’ASTM a réitéré, à l’instar d’autres organisations de la société civile, les appels pour un arrêt immédiat des bombardements et des attaques militaires contre la population civile de la bande de Gaza et a appelé avec la même urgence à l’arrêt des exactions en Cisjordanie. La prise de position faisait aussi état de l’importance de préparer une longue et difficile reconstruction en collaboration avec les nombreuses organisations de la société civile en Palestine. Il serait donc également important que le Luxembourg réactive et adapte la ligne de crédit prévue par le gouvernement précédent pour les projets d’aide d’urgence et de reconstruction, épuisée au moment de la publication de la prise de position. Entretemps des moyens dans ce sens semblent à nouveau être disponibles et l’ASTM est en train d’identifier des interventions de ses partenaires pour lesquelles la Direction de la Coopération au développement et de l’Aide humanitaire pourrait accorder son appui. |
Luxembourg, le 21/12/2023 – Avec ses partenaires directement concernés, l’Action Solidarité Tiers Monde (ASTM) vit un drame qui est ressenti comme un déni complet des actions de solidarité menées depuis quelques décennies. En Palestine, où à la suite des crimes horribles et injustifiables perpétrés le 7 octobre par les bras armés du Hamas, l’ensemble de la population civile se voit captive au milieu d’un conflit armé.
Déjà à la mi-novembre des expert.e.s des Nations unies dans un communiqué commun avaient averti que les graves violations commises par Israël à l’encontre des Palestinien.ne.s, en particulier à Gaza, indiquaient qu’un génocide est en cours. L’absence de mise en œuvre urgente d’un cessez-le-feu risquerait « de faire basculer la situation dans un génocide mené avec les moyens et les méthodes de guerre du XXIe siècle ».
Ils ont exhorté les États membres des Nations unies et le système des Nations unies dans son ensemble à prendre des mesures immédiates, car « la communauté internationale a l’obligation de prévenir les crimes d’atrocité, y compris le génocide, et devrait immédiatement envisager toutes les mesures diplomatiques, politiques et économiques à cette fin ».
En plus de deux mois de guerre, Gaza est devenue un charnier sous les yeux du monde entier. L’enclave, l’une des régions les plus densément peuplées du monde, est devenue en grande partie un champ de ruines dorénavant inhabitable. Selon différentes sources quelque 20.000 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s et des dizaines de milliers d’entre eux blessé.e.s, les moyens de subsistance de deux millions de personnes anéantis.
Alors qu’officiellement l’armée israélienne vise les tunnels du Hamas, les attaques et bombardements détruisent en réalité l’ensemble des infrastructures publiques (administrations, hôpitaux, hospices, crèches, universités, voies de communication…) ainsi que la mémoire culturelle des habitants de Gaza (archives, des bibliothèques, des mosquées, églises…) en n’épargnant pas les logements civils, les camps, les magasins, et les sites de production agricole et industrielle.
Depuis le début des bombardements quasi ininterrompus, les habitant.e.s de Gaza vivent dans la peur de la mort. Après une brève fenêtre d’espoir, le cessez-le-feu convenu par Israël et le Hamas a pris fin le 30 novembre. Le même jour, des centaines de milliers de personnes dans le sud de la bande de Gaza ont reçu un nouvel ordre d’évacuation forcée de l’armée israélienne. Des colonnes entières de personnes désespérées se sont mises en route en direction des zones déjà surpeuplées près de la frontière égyptienne. Environ de 2 millions de personnes sont ainsi devenues des déplacées internes, dépourvues de tout. L’extension des combats vers le sud de la bande a ainsi réduit à néant tout espoir d’abris pour la population civile de Gaza.
Escalade de la guerre à Gaza – mais aussi de la violence en Cisjordanie
En Cisjordanie la population subit depuis le début de la guerre une violence sans précédent de la part des colons et des militaires israéliens. Dans le sillage de l’action brutale à Gaza, les forces israéliennes ont tué des centaines de Palestinien.ne.s en Cisjordanie, elles ont arrêté des milliers et chassé des communautés villageoises entières, bien que le Hamas ne soit pas au pouvoir dans ces régions. Ce n’est donc pas seulement l’avenir de Gaza qui est en cause, mais l’avenir des Palestinien.ne.s dans leur ensemble, leur dignité, leurs droits humains, leur droit à une terre habitable et leur droit à l’autodétermination.
Comme le témoigne Abdelfattah Abusrour, directeur du Alrowwad Cultural Centre, un des partenaires de l’ASTM à Bethlehem : « Nous vivons un cauchemar incessant. Pour nous, la Nakba a été un événement profondément douloureux, mais cette récente agression a dépassé la dévastation de 1948. Il est décourageant de constater que la communauté internationale, avec ses lois internationales, ses principes humanitaires et les résolutions des Nations unies, n’a pas été en mesure de protéger notre peuple. » Il continue : « Nos partenaires du projet ASTM ont également été directement touchés par l’agression. Par exemple, le bâtiment de la Society of Women Graduates a été endommagé et le directeur, contraint de fuir vers le sud de Gaza, n’est plus joignable en raison de l’interruption continue de l’internet et des connexions. »
Le bâtiment d’Alrowwad lui-même a été perquisitionné plus d’une fois, explique le directeur : « Nos caméras de sécurité et certains de nos équipements ont été détruits, des soldats israéliens ont tiré sur les fenêtres. Malgré tout cela et la situation politique, nous continuons à organiser nos activités culturelles pour les femmes et les enfants du mieux que nous pouvons. Mais de nombreux programmes ont été adaptés en programmes d’urgence fournissant de la nourriture et des médicaments pour répondre aux besoins de la population locale. »
Au nord de la Cisjordanie, les attaques et les raids sont extrêmement intensifs, en particulier à Jénine, Naplouse, Tulkarem et Qaliqila. Au cours de ces raids, des centaines de Palestiniens ont été tuées et des milliers ont été arrêtés. « Le 17 décembre au matin nous avons appris qu’un volontaire de Tulkarem du centre Al-Awdeh, une des 40 organisations formées par Alrowwad dans le cadre de notre projet de droits humains et avec laquelle nous avons organisé des initiatives conjointes, avait été tué par un tireur d’élite israélien en même temps que plusieurs jeunes Palestiniens. En outre, un certain nombre d’arrestations ont eu lieu contre les volontaires et le personnel de nos partenaires », témoigne Abdelfattah Abusrour.
Abbas Milhem, directeur de l’Union des paysans palestiniens (PFU), une autre organisation partenaire de l’ASTM, nous a informés à son tour de la situation alarmante de ses membres à Gaza : « Tragiquement, des vies sont perdues en raison de la pénurie de nourriture et de médicaments. Le paysage agricole de Gaza a été complètement dévasté. En même temps, un conflit parallèle se déroule en Cisjordanie, mené par les colons avec le soutien de l’armée et du gouvernement israélien. Il est inquiétant de constater que plus de la moitié des oliveraies palestiniennes ont été bloquées pendant la saison des récoltes en raison des violences commises par les colons. En outre, plus de 1.000 familles d’agriculteurs de la vallée du Jourdain et du sud de l’Hébron ont été expulsées de leurs terres. Un décompte décourageant révèle que les colons ont commis environ 500 attaques contre des paysans depuis le début de ce conflit. Ces agressions ont entraîné la perte tragique de vies humaines, des blessures physiques, des arbres déracinés, des installations agricoles endommagées et l’interdiction d’accès aux terres agricoles. »
À Jénine, dans le camp de réfugiés se trouve le Freedom Theatre fondé en 2006 par l’activiste de droits humains israélienne Arna Mer Khamis, et repris à sa mort par son fils Juliano Mer Khamis, assassiné en 2011. Le Freedom Theater est un mouvement de résistance culturelle misant sur les arts comme puissant outil de libération, de justice, d’égalité et de liberté. C’est un symbole vivant de la culture palestinienne. Mais depuis plusieurs mois il est la cible d’attaques répétées de la part de l’armée israélienne, cela fait partie de ce qu’il faut dénoncer comme nettoyage ethnique d’Israël afin de conquérir de la terre en chassant les Palestiniens et en étouffant tous leurs moyens d’expression.
C’est ainsi que le mercredi 13 décembre, le Freedom Theatre a été la cible d’un assaut de l’armée israélienne qui a fait irruption dans le bâtiment hébergeant les bureaux du théâtre, en partie pillés et détruits dans la suite. Les soldats israéliens ont alors ouvert le feu sur des passants dans la rue depuis les fenêtres. Puis ils ont arrêté et embarqué le directeur général, Mustafa Sheta, le directeur artistique, Ahmed Tobasi, ainsi qu’un comédien en formation, Jamal Abu Joas. Dans l’après-midi du 14 décembre, le Freedom Theatre a déclaré que le directeur artistique Ahmed Tobasi avait été libéré, mais il n’y a aucune nouvelle des deux autres détenus.
Des mesures concrètes de nos gouvernements sont nécessaires
L’action israélienne consistant à punir collectivement et sans ménagement la population palestinienne est contraire au droit international. Elle n’offre par ailleurs aucune perspective pacifique – même pour les Israéliens. Gideon Levy, rédacteur du journal israélien Haaretz, l’écrivait ces jours-ci :« Une attaque effrénée et terriblement cruelle contre Gaza suscite la haine contre Israël à des niveaux jamais atteints auparavant, à Gaza, en Cisjordanie, dans la diaspora palestinienne, dans le monde arabe et partout dans le monde où les gens voient ce que les Israéliens ne voient pas et ne veulent pas voir. Et ce qui est encore plus terrible, c’est que cette haine sera justifiée. »
La question se pose : où cette guerre va-t-elle aboutir si personne ne met un terme aux agissements du gouvernement israélien ? La destruction massive et la catastrophe humanitaire comportent un risque réel de dépeuplement de Gaza. Si la vie palestinienne à Gaza doit rester possible, si l’on veut éviter un exode massif vers l’Égypte, si la population palestinienne ne doit pas être décimée par les bombes, la faim, la soif et les maladies, alors les logiques de la guerre et de la violence doivent cesser immédiatement.
Il faut que la communauté internationale donne des signaux clairs pour que les personnes bloquées à Gaza mais aussi les Palestinien.ne.s en Cisjordanie puissent reprendre espoir.
Le nouveau gouvernement luxembourgeois s’est allié, ces derniers jours, à des initiatives internationales qui certes vont dans le bon sens, mais qui devraient se concrétiser par des positionnements clairs et contraignants à tous les niveaux où des négociations et une prise d’influence sur les agissements du gouvernement israélien sont possibles.
Le 15 décembre le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Xavier Bettel, a participé à une rencontre informelle à Oslo où ses homologues du Benelux, des pays scandinaves ainsi que plusieurs membres de l’Organisation de la coopération islamique et de la Ligue arabe ont analysé la situation pour souligner, selon un communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères, « l’importance d’un cessez-le-feu humanitaire, ainsi que l’urgence de relancer le processus visant à établir une paix juste et durable ».
Le même jour, la Suède a publié une déclaration commune de l’Union européenne et d’une quinzaine de pays individuels, dont le Luxembourg, sur la violence des colons en Cisjordanie qui demandent à Israël « de prendre des mesures immédiates et concrètes pour lutter contre la violence record des colons en Cisjordanie occupée ». Ils expriment « leur vive inquiétude face au nombre record d’attaques perpétrées par des colons extrémistes contre des Palestiniens en Cisjordanie ».
Les signataires condamnent fermement les actes de violence commis par des colons extrémistes, qui terrorisent les communautés palestiniennes. Ils réitèrent leur position selon laquelle les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée sont illégales au regard du droit international et rappellent à Israël ses obligations en vertu de ce même droit, en particulier l’article 49 de la quatrième convention de Genève. Israël, en tant que puissance occupante, doit protéger la population civile palestinienne en Cisjordanie. Les responsables de ces violences doivent être traduits en justice. « Le manquement d’Israël à protéger les Palestiniens et à poursuivre les colons extrémistes a conduit à un environnement d’impunité presque totale dans lequel la violence des colons a atteint des niveaux sans précédent. Cette situation compromet la sécurité en Cisjordanie et dans la région et menace les perspectives d’une paix durable », concluent les 15 États signataires et l’Union européenne.
Le Luxembourg doit prévoir les moyens à la hauteur pour garantir une protection effective de la population civile et pour entamer la reconstruction
Ces déclarations confirment ce que les ONGD actives en Cisjordanie, dont l’ASTM, avaient pu constater depuis plus de deux mois. Maintenant tout doit être mis en œuvre pour que des mesures concrètes soient mises en place pour assurer la protection effective et immédiate des communautés palestiniennes. Les paroles sont importantes, mais elles doivent maintenant se traduire par des actes.
Dans le même ordre d’idées, l’ASTM demande au gouvernement luxembourgeois de rouvrir la ligne spéciale destinée à soutenir des projets d’urgence et de reconstruction tant pour le Gaza que pour la Cisjordanie. Les appels des partenaires des ONGD sur place sont sans équivoque : Face à ces réalités meurtrières, il faut faire renaître l’espoir d’une solution pacifique dans un conflit que nos gouvernements avaient pensé trop longtemps pouvoir ignorer.