« Si vous voulez comprendre pourquoi, par milliers, des jeunes venus du Soudan, d’Ethiopie, d’Afrique centrale, de Guinée, sont prêts à mourir pour pouvoir tenter leur chance en Europe, si vous voulez saisir les causes profondes de cet exode, lisez un livre qui, à première vue, parle d’autre chose, ‘’Pour la dignité paysanne’’ . Son auteur, Deogratias Niyonkuru n’est ni philosophe, ni démographe, ni professeur d’université. Mais le terrain africain, il connaît… »
Dans son ouvrage, M. Niyonkuru, agronome burundais, tire notamment les leçons de quarante années d’investissement dans des projets menés en Afrique. Son bilan n’est pas tendre pour les politiques dites de coopération. «Tu sais bien Deo… (…) Ce que nous disions dans la salle, c’est pour te faire plaisir et t’aider à monter des projets qui plaisent aux Blancs, mais cela ne changera rien à notre vie… Nous, on n’acceptera jamais que nos femmes passent leurs semaines à tournoyer dans des formations sans intérêt. Nous, on ne deviendra pas esclaves des arbres à arroser matin et soir quand nos bêtes et nous-mêmes manquons d’eau. » Voilà résumée la pensée des leaders paysans avec lesquels Deogratias Niyonkuru travaille depuis des décennies. Terrible ! Mais révélateur de l’état d’esprit de paysans qui ont bien compris ce que les « Blancs » attendent et qui ont perdu confiance. Humiliation, dépendance, tout sauf dignité. Et ce sont des leaders paysans.
D’où un impératif de base et incontournable : partir des réalités vécues par les paysan-ne-s pauvres, prendre en compte leurs traditions, les écouter longuement et attentivement. Pour qu’ils retrouvent confiance en eux et dans les interlocuteurs qui «devraient les accompagner pour mettre en place des systèmes autonomes de production… et à s’organiser pour participer à la définition des politiques agricoles ». Soit reprendre du pouvoir. Des chantiers, encore des chantiers.
L’auteur a consacré une année entière à mettre de l’ordre dans toutes ses expérimentations, observations, notes de travail et confidences. Cela donne un livre de plus de 500 pages, d’une lecture aisée, pour découvrir l’extrême complexité du sujet. En se basant sur des situations très concrètes, il propose une véritable révolution dans les pratiques dominantes.
Une « voie africaine »
« Chaque année, quand ma femme et moi décidons d’ouvrir un nouveau champ, nous déterminons le projet auquel nous allons prioritairement affecter les revenus de ce champ : cimenter notre maison, envoyer un enfant à l’université, nous acheter une machine à coudre… », témoigne un paysan. Un bout de dignité retrouvée au terme d’une formation humaine avant tout.
Développement ? La majorité des projets financés par des gouvernements ou des ONG des pays riches ont pour ligne de force et modèle le type de développement qu’a connu l’Occident et qu’il s’agirait de rattraper. Or, avec ce livre, Deogratias pulvérise l’idée selon laquelle l’Afrique devrait « rattraper » les autres alors qu’en réalité, elle doit se forger des repères et des objectifs qui correspondent à ses valeurs, définir une voie qui lui soit propre. Pour lui, « développer signifie donc libérer ou plutôt accompagner l’homme à se libérer des forces qui l’écrasent ». Et plus loin : « Libérer le paysan de la paupérisation, libérer du fatalisme, fruit de l’oppression qui enlève toute capacité d’entreprendre, libérer des politiques insidieuses de développement, libérer des pesanteurs de sa culture et de sa religion, mais aussi de l’érosion de sa culture, libérer de l’exploitation par les forces du marché bien mieux aguerries que lui, libérer enfin de politiques qui font fi de ses droits ».
Même combat, toutes proportions gardées, les petits paysans et producteurs de chez nous sont aussi victimes de systèmes qui les écrasent. Que ce soit la Politique agricole commune, les prix du lait, les stratégies des multinationales (Lactalis, Nestlé), la politique des intermédiaires et des grands groupes de distribution. Les mêmes qui pillent le Sud ! Alors, comment être davantage solidaires des paysans pauvres du Nord et du Sud ? À travers nos modes de consommation (équitable, circuits courts, à la ferme, boycott de multinationales, etc.), bien sûr. Mais aussi en exigeant une révolution copernicienne dans les politiques dites de coopération du Luxembourg et de l’Europe. Quel programme !
Livre disponible au CITIM.