Pour une autre politique commerciale de l’Europe

L’opposition massive au CETA dans toute l’Europe a montré que nous avons besoin d’une réorientation fondamentale de la politique commerciale de l’Europe. Qui doit devenir acceptable par tous les citoyens et poser la base pour un commerce mondial plus juste. Qui ne reflète pas les intérêts des entreprises multinationales, comme cela a été le cas du CETA, mais qui est au service des êtres humains, de la collectivité et du développement durable.

L’UE doit, en premier lieu, changer de politique commerciale à l’égard des pays en développement, mettre fin à sa politique d’exportation de produits alimentaires à des prix de dumping et favoriser la création d’emplois dans ces pays par une nouvelle régulation de leurs marchés assurant une protection des petits producteurs.

Inspirés par Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie, plus de cent professeurs d’université européens, canadiens et américains ont publié, fin 2016, la déclaration de Namur avec des propositions d’amélioration des accords commerciaux à conclure à l’avenir avec des pays tiers.

Ils proposent en particulier

– Que de nouveaux accords contribuent à un développement durable, à la réduction de la pauvreté et des inégalités et à la lutte contre le changement climatique; à cet effet, des analyses contradictoires et publiques sur les nouveaux accords sont à présenter avant la rédaction d’un mandat de négociations ;
– Que toute proposition de la Commission pour un nouveau mandat de négociations soit soumise d’abord aux Parlements en incluant au maximum la société civile à un tel exercice ;
– Que les parties soient obligées de ratifier et de respecter les traités les plus importants en matière de droits de l’homme et de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ainsi que l’accord de Paris sur le changement climatique. Sont de même à mettre en œuvre les recommandations du projet BEPS – Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices
– A cet effet, des données claires sont à fournir pour l’imposition et contre le changement climatique, par exemple des taux d’imposition minima sur les bénéfices des entreprises et des objectifs vérifiables pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre ;
-Que les services publics et les services d’un intérêt général soient exclus ;

L’Accord CETA comprend, sur plus de 1500 pages, des dispositions qui influencent fortement notre société, notre hiérarchie des valeurs. Il est tout simplement impossible de discuter, sur une base démocratique, une opération de réforme de cette envergure et de l’approuver d’un coup au nom de tous les citoyens de l’UE. Le CETA n’a jamais été discuté de manière transparente! La Commission européenne doit veiller à l’avenir à soumettre tant aux parlements qu’à la société civile, des textes clairs, compréhensibles et lisibles.

 

Un commerce mondial éthique

Le 7 mars dernier, la Chambre des salariés avait organisé une conférence sur le commerce mondial éthique avec Christian Felber, professeur d’université et co-fondateur d’ATTAC Autriche. Il a présenté une alternative au libre-échange et au protectionnisme. Christian Felber s’est fait connaître par son engagement pour une économie du bien-être, la « Gemeinwohlökonomie» dont les valeurs fondamentales sont la dignité humaine, la solidarité, la durabilité écologique, la justice sociale et la participation démocratique et non pas la maximisation du profit et la concurrence.

 

© Photo: Antoine Motte dit Falisse

 

Près de 2300 entreprises ainsi que de nombreuses villes et communes appuient d’ores et déjà cette approche tout comme 200 universités. Quelque 500 entreprises dont l’entreprise Oekopolis au Luxembourg, ont décidé d’adopter une nouvelle matrice pour que leur bilan intègre ces valeurs.

Christian Felber a commencé sa présentation en expliquant son concept de « Gemeinwohlökonomie » et les valeurs qui en constituent la base. Le commerce n’est pas un but en soi-même mais un moyen pour la promotion de celles-ci. On y retrouve trois des idées reprises par la déclaration de Namur : le respect obligatoire des droits humains et des normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Le système proposé par Christian Felber se mettra également au service d’une répartition équitable des richesses, de la cohésion sociale et de la diversité culturelle.

Ce système est à construire au sein des Nations Unies et non pas à l’extérieur comme c’est le cas de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a été créée par les accords de Marrakech entrés en vigueur en 1995. Des droits de douane frapperaient les exportations des Etats qui décideraient de ne pas se joindre à une telle organisation.

Des règles différentes s’appliqueront aux pays industrialisés et aux pays en développement. Contrairement aux objectifs de l’UE et de l’OMC, le démantèlement des barrières commerciales n’est pas un objectif. Ce sera plutôt le contraire. Le commerce des pays en développement sera régi par le principe de la non-réciprocité. Ces pays pourront utiliser toute une gamme d’instruments qui ont permis aux pays industrialisés de monter sur l’échelle du développement: tarifs douaniers, subventions, régulation de leurs marchés. Les tarifs douaniers seraient conçus de manière à encourager ces pays à exporter non pas des matières premières mais des produits élaborés dans la chaîne de valeur et dont la création serait facilitée. La substitution aux importations sera ainsi promue dans ces pays.

L’organisation proposée devrait permettre à chaque pays de produire autant que possible sur le plan local et national.

Comme déjà préconisé par Keynes il y a 75 ans, les balances commerciales sont à équilibrer. Tout excédent et tout déficit commercial doit être sanctionné.

Christian Felber invite les citoyens à participer à la mise en place d’un tel système commercial mondial alternatif et éthique. Il souhaite que se multiplient à cet effet les réunions de citoyens en premier lieu au niveau local et communal. Une assemblée démocratique devrait finalement arriver à faire des propositions sur ce système commercial et obtenir l’inscription d’un tel mandat dans le traité de l’UE.

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