Pour une démocratie vivante !

La gestion de l’« affaire Caritas », mais aussi l’attitude générale du gouvernement vis-à-vis des ONG, ont fait réagir celles-ci. Le 7 octobre 2024, une trentaine d’associations environnementales et de solidarité internationale engagées pour la justice sociale et les droits humains publiaient une lettre ouverte. Dans la foulée, le 10 octobre, la Chambre des députés adoptait à l’unanimité la résolution déposée par Déi Lénk relative à l’importance d’un secteur des ONG diversifié et indépendant, au service de l’intérêt général, contre-pouvoir d’une démocratie vivante. Cette affaire a en fin de compte conduit à une réflexion et une réaffirmation du rôle des ONG au sein de la société.

Rassemblement et conférence de presse du collectif d’organisations de la société civile, affirmant leur rôle de contre-pouvoir dans une démocratie vivante, le 7 octobre, Place Clairefontaine.
(source : ASTM ; Christine Nehrenhausen)

Sans que personne ne sache jusqu’ici ce qui s’est réellement passé, selon de récentes informations publiées dans la presse, l’enquête sur les fraudes concernant la Fondation Caritas pourrait aboutir à la mise au jour d’une machination criminelle dont l’organisation dépasserait les frontières du Grand-Duché. L’ « affaire Caritas » a également mis en exergue les failles du contrôle du secteur bancaire en termes de contractualisation de crédits et de virement de sommes atteignant plusieurs centaines de milliers d’euros. Pourtant, dès le début des constatations de fraudes, tandis que les premiers dépôts de plaintes venaient d’être enregistrés et que l’enquête – qui s’annonce complexe et longue – allait débuter, la communication du gouvernement n’a eu de cesse de pointer la responsabilité de la Fondation et de remettre en question ses modes de gouvernance et de manière plus générale, ceux de tout un secteur. Des erreurs majeures ont certes été commises au sein de la Fondation Caritas, mais comment expliquer des déclarations publiques si promptement à charge et jetant le discrédit sur le secteur des ONG alors que toute la lumière est loin d’être faite sur cette affaire ?

Le rôle des ONG

Historiquement, les ONG ont joué un rôle précurseur dans de nombreux domaines en conduisant des projets novateurs qui ont orienté des cadres légaux et des dispositifs opérationnels. Vouloir concentrer le devenir d’une société entre les mains du pouvoir institutionnalisé et économique implique de faire fi des savoir-faire, engagements et convictions qui constituent l’histoire. Ce patrimoine citoyen et l’expertise des ONG méritent plus de considération ; ils sont indispensables pour penser et créer une société plus égalitaire, écologique et juste.

Les ONG ne se limitant plus aux seuls rôles d’opérateur ou d’activiste critique, nombre d’entre elles pèsent sur l’agenda national et international et contribuent à y inscrire leurs sujets : dette des pays pauvres, la faim, ajustement structurel des prix agricoles, accaparement des terres, changement climatique, paradis fiscaux, minorités sexuelles, religieuses ou nationales, accès à l’éducation et à la santé pour tous, accueil des réfugiés ou des migrants, etc.

Quant aux ONG de développement, elles sont passées d’un rôle caritatif à celui d’accompagnement d’acteurs de changement, de l’aide au développement à la coopération pour le développement. L’approche centrée sur des besoins à satisfaire a laissé la place à une démarche privilégiant les capacités à développer, tout comme l’approche projet, qui privilégiait les résultats à atteindre, a été remplacée par une approche programme, plus soucieuse des processus démocratiques à mettre en œuvre.

Les ONG au Luxembourg constituent un partenaire crédible, vecteur d’équilibre et garant d’un esprit critique. Elles sont particulièrement attentives à faire entendre les voix des sans voix, les voix de celles et ceux qui se situent en dehors des représentations dominantes de la société, aux marges d’une économie mondiale de marché devenue synonyme de destructions environnementales, d’inégalités, d’exclusions et de dérégulations. Les ONG sont des partenaires forces de proposition dans le débat public, elles veillent à la préservation des valeurs fondamentales de justice, de sobriété, de solidarité et d’inclusion sociale, conditions sine qua non pour élaborer et mettre en œuvre des politiques à la hauteur des défis et des besoins de la population dans sa globalité.

Le secteur des ONG remis en question

Le « scandale » de la Caritas a conduit à ce que les activités sociales nationales de la Fondation se retrouvent dans une nouvelle entité, HUT (Hëllef um Terrain), qui se voit comme prestataire de services « neutre ». Nous sommes passés ainsi d’une Fondation qui s’orientait selon la doctrine sociale de l’Église et des valeurs portées par la société civile à un service provider. Les activités de coopération au développement et de plaidoyer politique semblent vouées à la disparition. Cette « affaire » entraîne la fragilisation de tout un secteur, sans que le gouvernement – ou l’Église catholique – n’aient jugé bon d’intervenir. Et il est à craindre que tout cela n’impacte gravement la collecte de fonds des différentes ONGD, en compromettant la confiance que l’opinion publique – et les donateurs – leur accordent.

Le savoir-faire du secteur des ONG en matière d’innovation sociale et écologique, ainsi que l’éthique qui prédomine dans leur gestion financière, sont questionnés à la faveur d’acteurs économiques dont le rôle et les modalités d’action seraient considérés comme plus vertueux. Ce parti pris se reflète dans la tendance générale à ne pas contester la rationalité instrumentale et, sans ambiguïté, dans la nature des membres du comité désignés par l’État pour transférer la gestion des affaires sociales de la Fondation : aucun acteur du secteur social n’a été convié. Réduire la voix des ONG dans le dialogue politique et en faire de simples prestataires de services serait d’autant plus préoccupant que le rôle de contre-pouvoir de ces dernières s’étiolerait alors qu’elles comptent parmi les garde-fous essentiels à une démocratie.

Les ONG, partenaires de l’État dans le dialogue

Les interventions des ONG sont financées principalement par des subventions et des dons privés. L’engagement de milliers de personnes travaillant de façon bénévole et/ou salariée pour conduire au quotidien une multitude d’activités au profit de l’intérêt général, dans les secteurs sociaux, environnementaux, économiques, culturels et de la solidarité internationale, mérite le soutien non seulement financier, mais également politique de la part de l’État. Il doit créer les conditions permettant à toutes d’exercer leurs missions, tant en termes de services rendus que d’expression politique.

Les défis qui se posent à travers les multiples crises qui traversent nos sociétés en mutation (crise écologique, de l’accueil des personnes en situation de migration ou encore de la lutte contre la pauvreté) sont gigantesques. Le politique s’emparant insuffisamment du répertoire d’actions nécessaires et possibles, ou y renonçant, les ONG se sont saisies de cette cause. Or, nous serons en mesure de relever ces défis sous réserve que soient assurés un large débat public et des espaces de dialogue réguliers entre l’État et les ONG, garantissant la prise en compte de la diversité des opinions et des arguments.

La légitimité des ONG peut aussi être associée à leur transparence et au fonctionnement démocratique de leur organisation interne. Une bonne gouvernance interne peut en effet renforcer aux yeux de l’opinion publique la légitimité de leur revendication à contribuer à l’amélioration de la gouvernance mondiale.

L’initiative du 7 octobre a conduit les ONG signataires à réaffirmer leur unité dans leur travail de veille politique et de plaidoyer sociétal pour contribuer au pluralisme politique et à la vie démocratique du Luxembourg. Cette alliance a vocation à s’élargir à tous les secteurs et acteurs de la société civile soucieux de préserver des espaces civiques et citoyens ouverts et divers, en vue d’opérer une transition pour une société plus solidaire et plus résiliente.

Lien vers lettre ouverte et associations signataires.

 

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