En novembre 1993, un groupe de citoyens a collectivement engagé la poursuite contre Texaco, pour tous les dommages causés dans notre Amazonie. Nous avons initié cette action aux Etats-Unis, sous la forme d’un recours collectif. Chevron a demandé que l’affaire soit portée devant les tribunaux en Equateur et après 9 ans de bataille, la compagnie pétrolière a eu gain de cause et l’affaire a été transférée en Equateur, comme Chevron le demandait.
En 2003, déjà en Equateur, nous avons entamé une action en justice appelée « Acción Popular ». En 2011, après avoir apporté la preuve du crime de Chevron, après avoir démontré les dommages à la nature, à la vie, à la culture des peuples, après avoir accumulé plus de 215 000 pages de preuves solides contre Chevron, le juge de Sucumbíos a déclaré Chevron coupable et a condamné la Compagnie pétrolière à payer 9,5 milliards de dollars pour réparer le dommage causé en Amazonie. Cette sentence a fait l’objet d’un appel de la part de Chevron et en janvier 2012, la Cour d’appel de Sucumbíos a ratifiée la sentence. Chevron a fait appel devant la Cour nationale de justice et en novembre 2013, les juges de cette cour ont également ratifié la sentence contre Chevron. En dernier ressort, Chevron a fait appel devant la Cour constitutionnelle, faisant valoir que ses droits auraient été violés au cours de la procédure. Les 9 juges de la Cour constitutionnelle ont analysé l’affaire et n’ont pas trouvé un seul fait qui pouvait justifier l’annulation de la sentence. Le 10 juillet 2018, la sentence contre Chevron a été ratifiée. C’était le dernier recours existant. Les plaignants, regroupés au sein de l’UDAPT, ont gagné définitivement l’affaire devant les tribunaux équatoriens, tribunal que Chevron a elle-même préféré. Les juges des différentes décisions judiciaires expliquaient comment Chevron a détruit l’Amazonie, comment elle a démoli la vie de plus de 2 000 personnes qui sont mortes des suites de cancers liés aux dommages causés par la compagnie pétrolière. Le plus grand cas de lutte pour les droits humains en Équateur a donné de l’espoir aux peuples du monde qui luttent contre les crimes et l’impunité des grandes entreprises.
Mais parallèlement à l’affaire judiciaire, Chevron a mené plusieurs actions contre les plaignant-e-s et contre l’État équatorien. D’une part, des campagnes de communication visant à discréditer l’Etat, du lobbying pour l’affecter économiquement. D’autre part, la compagnie a entamé une série d’actions en justice contre les dirigeants qui défendent et combattent aux côtés des peuples qui ont subi des dommages liées aux opérations de Chevron. Dans notre cas, les actions ont été et sont : actions judiciaires, diffamation, pression économique, menaces, persécution, espionnage, etc..
Enfin, Chevron a aussi demandé trois arbitrages internationaux. La principale accusation de Chevron était que la compagnie pétrolière n’a pu se défendre adéquatement, qu’il y a eu fraude, que les plaignant-e-s ont corrompu un juge en lui versant 500 000 $, c’est-à-dire qu’il y aurait eu déni de justice et fraude.
Le bureau du procureur général de l’Equateur a démontré que ce n’était pas le cas , il a même réussi à faire venir les membres du tribunal d’arbitrage dans la zone affectée. Même le témoin principal de Chevron concernant la fraude alléguée a avoué avoir menti parce que Chevron le payait. Toutefois, le 7 septembre 2018, une sentence arbitrale prononcée en faveur de Chevron et contre l’État équatorien a été rendue publique. Ce qui démontre que le problème n’est pas la qualité technique de la défense, mais le système d’arbitrage lui-même qui vient en aide aux multinationales lorsqu’un système judiciaire les charge, sans prendre en compte la violation des droits humains par que la compagnie multinationale. Et peu importe la légalité ou non des sentences et des agissements de la multinationale, ce qui importe, c’est comment la sauver de la justice.
Dans la sentence arbitrale, les arbitres imposent entre autres à l’Equateur
- Que le Gouvernement équatorien annule la sentence que les plaignant-e-s ont légalement obtenue contre Chevron.
- Que l’État équatorien empêche les plaignant-e-s du Lago Agrio de chercher à faire exécuter la sentence en dehors de l’Équateur.
En outre, le groupe d’arbitres stipule que l’Équateur doit réparer les dommages causés à Chevron et doit s’acquitter d’une sanction pécuniaire pour réparer le préjudice subi. Ces dispositions sont totalement hors la loi. Le tribunal ordonne à l’État équatorien de violer sa propre Constitution républicaine et les droits humains et constitutionnels les plus fondamentaux de plus de 30 000 indigènes et paysans. En bref, il s’agit d’une sentence illégale et hors la loi qui compromet gravement la sécurité juridique de l’Équateur.
Pour UDAPT, la chose la plus sérieuse, outre la sentence arbitrale, est la position du gouvernement équatorien qui, sans aucune riposte, a exprimé sa volonté d’accepter la sentence arbitrale. En d’autres termes, le Gouvernement équatorien est prêt à violer le cadre juridique équatorien et à rejoindre Chevron pour mettre un terme à la bataille de l’UDAPT, qui se mène depuis 25 ans.
Comme nous pouvons le constater, notre lutte est une lutte pour les droits humains et environnementaux de plus de 30 000 personnes de 6 peuples indigènes et de paysans. Nous nous sommes battus pour que l’Amazonie équatorienne soit remise à l’état antérieur. Pour que Chevron paye pour son crime. Nous avons mené ce combat avec brio et nous avons gagné devant les tribunaux équatoriens. L’action d’homologation de la sentence est encore en suspens et se déroule hors de l’Equateur. L’un des États où l’homologation est demandée est le Canada.
Mais au Canada aussi, nous nous heurtons à des obstacles. Dans le cas qui nous concerne, la question la plus essentielle est la division des actifs de Chevron. Pour la compagnie pétrolière, les actifs qui existent au Canada appartiennent à Chevron Canada, qui théoriquement est une compagnie autonome et indépendante de Chevron Corporation. Lors du procès nous avons démontré qu’il s’agit d’une fiction et que Chevron Canada est assujettie, sur les plans économique, juridique et opérationnel, à Chevron Corporation. Nous avons montré que cette répartition des richesses n’existe pas, qu’il s’agit d’une seule entité. Cependant, les juges canadiens, en deuxième instance, ont accepté l’argument de Chevron. En plus, pour avoir le droit d’aller en appel auprès de la Cour suprême du Canada nous devons payer la somme de 350.000 dollars canadiens. Notez que notre lutte est pour le bien commun, c’est pour la vie, c’est pour l’Amazonie. Ce n’est pas un combat pour enrichir des particuliers. De plus, les peuples indigènes n’ont pas d’argent et malgré cela, la justice canadienne nous somme de payer pour pouvoir continuer à rêver de justice.
Comme on peut le constater, nous sommes en présence d’un système invisible et abstrait qui permet aux sociétés multinationales d’échapper à la justice, à obtenir l’impunité, à attaquer leurs victimes et à les transformer en délinquants. Nous ne voulons pas ce système de justice, mais c’est celui qui existe et que nous devons changer.
UDAPT continuera à se battre pour l’accès à la justice. Si l’État équatorien décide d’entraver notre accès à la justice, de nous persécuter et nous emprisonner pour nous neutraliser, nous prendrons le risque de continuer à lutter pour l’accès à la justice et la réparation. Nous ne pouvons pas laisser notre Amazonie, nos communautés indigènes et paysannes continuer à être victimes de la criminalité des entreprises, maintenant avec la complicité de l’État.