Etant donné que les défenseurs des droits humains (DDH) agissent la plupart du temps en groupe, avec leurs communautés et à travers des réseaux, leur protection ne devrait pas se limiter à des mesures de protection individuelle. Nous devons aller au-delà de la dimension individuelle des DDH et proposer des politiques qui créent un environnement favorable au droit de défendre les droits humains.
Les défenseurs des droits humains (DDH) ne travaillent généralement pas seuls, mais en groupes, en association avec d’autres, dans des mouvements sociaux, en construisant des réseaux collectifs et en se soutenant mutuellement. Le fait d’axer les mécanismes de protection sur la protection individuelle limite l’impact des mesures à un nombre très restreint de défenseurs, tout en ignorant la dimension collective du travail de défense des droits humains, ce qui peut même miner les processus et la dynamique collectifs des groupes et communautés qui travaillent ensemble pour les causes des droits humains. En même temps, nous voulons souligner que la protection, qu’elle soit individuelle ou collective, sera toujours relationnelle, car la protection d’un défenseur dépendra des actions d’autres personnes. Par conséquent, les mesures de protection individuelle doivent également tenir compte de l’environnement dans lequel le défenseur travaille, de ses proches, de ses collègues, etc.
Qu’entendons-nous par protection collective des défenseurs des droits humains ?
Nous entendons par protection collective un ensemble de stratégies, de mesures et d’actions visant à protéger à la fois un acteur collectif (une organisation, une communauté, un groupe) et les individus qui en font partie, et qui sont ou peuvent être en danger en raison de leurs activités de défense des droits humains. Ainsi, la protection collective va au-delà de la protection des chefs de communauté ou de groupe qui peuvent être, en principe, la cible principale des attaques. Elle va également au-delà de l’octroi de mesures de sécurité individuelles à chaque membre d’un groupe ou d’une communauté. La protection collective implique un changement d’état d’esprit lorsque l’objectif est d’apporter une réponse de protection plus globale et durable. C’est-à-dire, favoriser un environnement favorable au droit de défendre les droits humains.La protection collective des DDH va de pair avec le renforcement des mouvements sociaux et du tissu social. En même temps, la protection collective est profondément liée aux spécificités du contexte local, des groupes ou communautés et de leurs capacités internes de résistance.
Les groupes et les communautés peuvent-ils être identifiés comme des défenseurs des droits humains ?
La « Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus » (souvent abrégée en Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains) n’a pas établi de définition spécifique de qui est ou peut être un défenseur des droits humains (DDH). Cependant, tant dans son titre que dans son préambule, qui fait référence aux « individus, groupes et associations contribuant à l’élimination effective de toutes les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples et des individus », la Déclaration reconnaît explicitement la dimension collective de la défense des droits humains. Cette définition large établit la norme internationale selon laquelle les défenseurs des droits humains peuvent être des individus mais aussi des groupes ou des associations, ce qui englobe également les communautés et les réseaux. Cependant, dans la pratique, le paradigme dominant de la protection des défenseurs des droits humains s’est clairement concentré sur la protection des individus. La plupart des programmes de protection, tant au niveau international que national, sont basés sur un ensemble de mesures destinées à assurer la sécurité d’une personne donnée qui peut être en danger du fait de son travail dans la défense des droits humains. Le manque d’accent mis sur les groupes, les communautés ou les réseaux conduit à des récits de protection qui minimisent, voire négligent, la dimension collective de l’action en faveur des droits humains, ignorant ainsi l’existence de risques de nature collective qui ne peuvent être traités par des mesures individuelles.
Afin d’assurer que les besoins spécifiques de protection des groupes et des communautés soient également pris en compte, les programmes de protection doivent s’orienter vers un changement de discours où le but de la protection n’est pas d’assurer la sécurité des défenseurs en danger (approche individuelle), mais de garantir le droit de chacun à défendre les droits humains (une approche collective).
Pourquoi est-il important de promouvoir une approche collective dans la protection des DDH?
Les causes profondes et les luttes des défenseurs des droits humains sont de nature collective, car ils revendiquent normalement des droits qui sont pertinents pour les groupes, les communautés et, en fin de compte, pour la société entière. En outre, les défenseurs des droits humains travaillent rarement en tant qu’individus mais évoluent en tant que membres de groupes, c’est-à-dire de communautés, d’organisations de base, d’ONG, ou de mouvements sociaux moins structurés et informels.
Ce travail collectif entraîne des risques collectifs, c’est-à-dire que chaque fois qu’un DDH est attaqué, c’est toute sa communauté ou son groupe qui est affecté. Les menaces et les attaques ont un impact collectif même lorsque la cible n’est qu’une seule personne. C’est pourquoi la protection est mieux assurée par le travail collectif et relationnel effectué par les DDH. Un tissu social plus fort permet aux défenseurs des droits humains de mieux défendre leurs droits, améliorant leur capacité à réagir aux attaques et aux menaces grâce aux réseaux de solidarité et de protection.
Problèmes dérivés de l’individualisation prédominante des défenseurs des droits humains dans les récits actuels
La protection individuelle des défenseurs des droits humains se concentre sur la fourniture de mesures aux personnes individuelles qui sont en danger en raison de leur travail dans le domaine des droits humains. Les mesures telles que les subventions d’urgence, les programmes de réinstallation, les alertes et les indemnités d’urgence sont fondées sur des évaluations individuelles des risques et ont pour principal objectif d’assurer la sécurité (et la visibilité dans le cas des indemnités) des défenseurs individuels. Très souvent, les défenseurs auxquels ces mesures de protection individuelle sont accordées sont les dirigeants de mouvements, de communautés ou de groupes ciblés par des acteurs étatiques ou non étatiques dans le but d’arrêter ou d’entraver leur travail de défense des droits humains. Cependant, les actions de ces défenseurs sont souvent partagées avec d’autres membres de leur communauté, des membres de leur famille, des collègues ou d’autres alliés du réseau. Un modèle de protection individuelle ne tient pas compte de cette dimension collective de la défense des droits humains, qui peut entraîner un certain nombre de problèmes.
Premièrement, lorsque l’accent est mis uniquement sur les défenseurs des droits humains individuels, la défense des droits humains est diluée car l’accent est mis sur la personne, et pas tant sur la cause qu’ils défendent. Il semble que nous reconnaissons le courage d’individus exceptionnels et courageux, et non les actions ou les droits qu’ils défendent avec d’autres personnes. Il en résulte un manque de reconnaissance des efforts collectifs des groupes et des communautés qui font face à des menaces visant à entraver précisément cet effort collectif.
Deuxièmement, les mesures de sécurité individuelles ne tiennent pas compte du fait que les menaces peuvent également affecter les membres de la famille, l’organisation et/ou la communauté des défenseurs des droits humains, laissant une partie considérable de la communauté des défenseurs sans protection. De plus, le fait de se concentrer sur l’histoire personnelle de l’individu au lieu de donner de la visibilité aux causes profondes de ces luttes peut perturber la communauté elle-même, en éloignant de facto l’individu de la communauté.Enfin, une approche basée sur l’individu peut également avoir un impact contre-productif pour les DDH individuels, en ce sens qu’elle peut contribuer à augmenter les risques pour les individus eux-mêmes, car l’amélioration de leur profil peut en faire une cible plus valable à éliminer. En outre, des mesures de sécurité telles que la mise à disposition de gardes du corps ou de véhicules blindés peuvent également interférer avec le travail du DDH bénéficiaire.
Malgré ces problèmes, la protection collective ne peut se substituer entièrement à la protection des individus qui en font partie, car il y a toujours une dimension individuelle du risque qui doit être prise en compte. Ainsi, les mesures individuelles et collectives devraient être les deux faces d’une même médaille afin que la protection s’étende à toutes les personnes impliquées dans la défense des droits humains, et pas seulement à un nombre limité de défenseurs.
La protection collective est profondément liée au renforcement du tissu social du groupe ou de la communauté, à l’augmentation de leur visibilité et de leur espace de travail, et au développement de leurs capacités à défendre leurs droits en tant que groupe.
Éléments clés des stratégies de protection collective
La protection collective exige de travailler sur des stratégies de protection dont le but ultime est d’assurer un environnement favorable à une communauté ou à un groupe de défenseurs pour qu’ils puissent défendre leurs droits en toute sécurité. Une stratégie de protection collective devrait viser à améliorer la capacité du groupe ou de la communauté à répondre au risque et à faire face aux menaces (accroître leur résilience en tant que groupe), tout en veillant à ce que le groupe ou la communauté soit en mesure de défendre leurs droits sans crainte des menaces ou des attaques (accroître leur espace de travail collectif).
Mesures visant à renforcer le groupe ou la communauté
La protection collective est profondément liée au renforcement du tissu social du groupe ou de la communauté, à l’augmentation de leur visibilité et de leur espace de travail, et au développement de leurs capacités à défendre leurs droits en tant que groupe. Voici quelques exemples d’éléments de protection collective : accroître la capacité de la communauté à atteindre les réseaux locaux, nationaux et internationaux en tant qu’outil de protection ; renforcer la présence organisationnelle et institutionnelle de la communauté ou du groupe et développer des canaux de communication et de dialogue avec les autorités locales et nationales ayant le devoir de protéger ; fournir des espaces et infrastructures sûrs qui garantissent que le groupe ou la communauté peut se réunir et s’organiser en sécurité ; protéger la communauté ou ses biens comme les cultures, écoles, bâtiments communautaires ; ressources pour le soin psychosocial et formation au bien-être et au soin mutuel dans le groupe ; et entraîner des communautés et groupes pour signaler des menaces et attaques sans risques supplémentaires.
Mesures visant à accroître leur espace de travail collectif
La protection des défenseurs des droits humains ne consiste pas seulement à renforcer leurs capacités ou le tissu social d’un groupe. Les actions politiques qui aident à légitimer les défenseurs des droits humains collectivement sont indispensables pour décourager les attaques. Ainsi, la protection collective exige une action politique décisive visant à obtenir la reconnaissance publique des groupes et des communautés de défenseurs des droits humains, à légitimer leur travail et à augmenter les coûts des attaques pour le groupe. Pour ce faire, les autorités de l’État devraient notamment prendre les mesures suivantes : diffusion de déclarations de tolérance zéro à l’égard des attaques ; reconnaissance et mise en exergue du droit des groupes et communautés à la liberté d’expression, d’association et de réunion ; identification et visibilité publique des cas emblématiques de groupes et communautés qui s’organisent pour défendre leurs droits ; engagement à mettre fin à l’impunité comme élément clé pour dissuader les auteurs de violations ; suivi périodique de la situation des communautés et groupes à risque ; contacts et visites périodiques des autorités nationales et locales aux groupes, communautés et risques.
Conclusion
La protection des défenseurs des droits humains ne devrait pas seulement viser à assurer la sécurité des défenseurs individuels. L’objectif ultime de la protection devrait être de garantir un environnement sûr et propice au droit de défendre les droits humains. Pour y parvenir, nous devons repenser et élargir les mécanismes et les politiques actuels et inclure des mesures qui contribuent à accroître la résilience des groupes et des communautés, tout en augmentant leur espace de travail collectif pour défendre collectivement les droits sans craindre les menaces ou les attaques