Fabienne Rossler – Les défenseurs des droits humains (DDH) sont des individus ou des groupes, bénévoles ou professionnels, qui, par des moyens pacifiques, s’engagent en faveur de la promotion et la protection des droits humains de tout un chacun. Ce sont, e.a., des journalistes, avocats, militants de la société civile, des ONG ou des syndicats. Les DDH enquêtent sur des cas de violations de droits humains, apportent une aide aux victimes de ces violations et luttent contre l’impunité.
Au Luxembourg, on retrouve un certain nombre d’organisations actives dans le domaine des droits humains, d’autres s’engagent dans le domaine humanitaire et le développement durable.
Toutes ces organisations tombent sous le champ de la Déclaration des Nations Unies sur les DDH. Les institutions nationales de droits de l’Homme, comme la Commission consultative des Droits de l’Homme, qui sont indépendantes, ainsi que leur personnel, sont également reconnus comme DDH.
Ronaldo Galeano – C’est une personne qui, directement ou par l’intermédiaire d’une organisation, identifie les droits humains comme une plateforme solide pour une coexistence humaine pacifique et digne, reconnaît la Déclaration univer-selle des Droits de l’Homme comme fondement du développement des droits humains et promeut et défend ces droits pour elle-même et pour autrui.
Oumar Sow – Un-e défenseur-e des droits humains est une personne vivant avec un groupe de personnes dans un espace géographique bien déterminé auquel il appartient et régi par des règles, des lois, des coutumes et des normes sociales. Il ou elle émerge du lot en tant qu’activiste pour porter le combat contre l’injustice sociale dont sont victimes les populations au regard de leurs droits. C’est une personne engagée et déter-minée à lutter avec et pour les popula-tions dont les droits sont bafoués.
Quels sont ses combats, ses limites, ses dangers ?
RG – Les DDH luttent pour obtenir des conditions de vie plus équitables, ils ou elles sont généralement identifié-e-s par secteur, ce qui ne les empêche pas de promouvoir les droits humains en général. Par exemple, dans le cas des communautés autochtones, leurs priorités sont axées sur la récupération du territoire, le respect des éléments de la nature et la sécurité alimentaire. Dans d’autres cas, les défenseur-e-s se concentrent sur la recherche de la vérité et l’application de la justice ou sur l’élimination de la discrimination et de la violence contre les femmes, pour ne citer que quelques-uns des secteurs.
Au Guatemala, les défenseur-e-s des droits humains sont confronté-e-s à divers types de risques, en partie parce que l’idée fausse selon laquelle les droits humains « défendent les criminels » a été semée et entretenue, et les secteurs militaires ont même insufflé fortement l’idée que ces droits sont fondés sur des idéologies de gauche ou communistes et anti-chrétiens. Ce type de discours loin de la réalité est encouragé par les gouvernements, ex-militaires, et par les sociétés marchandes dédiées à l’expansion des monocultures d’huile de palme et de canne à sucre, ou à l’exploitation des minéraux, c’est-à-dire que les intérêts économiques et commerciaux cherchent à préva-loir sur les droits des peuples et des individus. Ils n’hésitent pas à utiliser toutes sortes de mécanismes pour entraver la défense des droits, allant du recours à des actions criminelles non fondées pour demander l’arrestation de DDH, à l’intimidation, au contrôle, aux écoutes illégales, aux menaces et aux meurtres.
OS – Ses combats sont le plus souvent orientés vers la défense des intérêts des minorités, des personnes vulnérables ou des communautés dont les droits dans tel ou tel domaine ne sont pas respectés et peuvent impacter gravement sur la bonne marche de la vie de ces catégo-ries d’individus. Ses limites se trouvent dans le fait qu’il ou elle ne dispose pas d’assez de moyens financiers et de soutiens moraux pour mener à bien sa mission qui consiste à peaufiner des stratégies risquées pour protéger les victimes. En outre, ses adversaires dans le champ d’exécution sont puissants, ce qui constitue notamment un frein pour l’exercice de son combat. Sa vie au quotidien est exposée à des dangers tels que la corruption, l’intimidation, l’incarcération voire même l’assassinat.
FR – Lors de l’adoption de la Déclaration en 1998 on aurait pu croire que le 21e siècle serait plus propice pour les droits de l’Homme. Or, malgré les grands progrès normatifs accomplis en matière de protection des droits de l’Homme, on a pu observer en Europe une forte réduction de l’espace civique et démo-cratique, des représailles croissantes à l’encontre des DDH, notamment ceux qui défendent les droits des migrants et des réfugiés, les personnes LGBTI et d’autres groupes vulnérables. On assiste à la mise en place d’un arsenal législatif, accompagnée de coupes budgétaires, qui limite considérablement les activités d’organisations de défense des droits humains, notamment en Europe de l’Est. Très souvent la menace terroriste et la sécurité nationale sont utilisées pour entraver le travail des défenseurs. Les femmes défenseures des droits humains sont fréquemment la cible de harcèlements, voire de violations de leurs droits, notamment celles qui mènent des actions liées au genre. Les attaques sur internet contre des DDH, surtout féminins, sont systématiques. Au Luxembourg, nous observons une attitude positive à l’égard de la promo-tion des droits humains et donc aussi par rapport à la protection des DDH. Ils ne se trouvent pas dans une situation de contrainte de la part du pouvoir poli-tique, leurs droits quant à la protection et promotion des droits fondamentaux étant respectés.
Comment devient-on DDH ?
FR – Comme le dit l’article premier de la Déclaration « Chacun a le droit, indi-viduellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international. » Un DDH se définit surtout par ses actions, qui visent à améliorer la situation des droits humains pour certaines personnes ou groupes de personnes. Il suffit de s’engager, par exemple, au sein d’une organisation de défense des droits de l’Homme. Aucune qualification n’est requise.
RG – Le point de départ est l’auto-identification avec les droits humains et l’auto-reconnaissance en tant que défenseur ; cependant, ce sont les actions qui définissent un défenseur ; la cohérence entre le discours et la pratique quotidienne, ainsi que l’engagement à la promotion de la dignité et à l’élimination des inégalités et des injustices.
OS – Un DDH requiert certaines notions et/ou qualités ; il faut : être une personne exemplaire reconnue par les populations pour son sérieux, capable de distinguer les causes justes des causes injustes, avoir de la volonté, du courage, de l’abnégation, de l’endurance, une capa-cité d’analyse des situations, le sens de l’écoute, du dialogue, de la négociation tout en privilégiant l’intérêt général au détriment de l’intérêt particulier et être actif …
Pourquoi et comment faut-il protéger les DDH ?
OS – Ils doivent être protégés parce qu’ils sont exposés à des dangers énormes par rapport au combat qu’ils mènent. Les dossiers des communautés qu’ils défendent sont hypersensibles et renfer-ment des enjeux socio-économiques et politiques d’une importance capitale et stratégique ; ce qui fait qu’ils subis-sent des menaces de toute sorte ainsi que leurs proches et familles afin qu’ils abandonnent le combat pour le respect des droits des populations. Concernant leur protection, il faut mettre en place des mécanismes qui commencent à se développer dans les pays avec les organisations de la société civile leur permettant de mener leur combat de façon convenable. Il faudrait également l’implication de davantage d’entités sous-régionales, régionales dans tous les continents ainsi que de l’ONU par le biais de son Conseil des droits de l’Homme pour garantir la sécurité des DDH et de leur famille. Utiliser les réseaux sociaux, les médias en ligne et les médias tradi-tionnels (télés, radios, journaux) pour communiquer sur la situation des DDH leur permettrait notamment de mutua-liser leur force au-delà de leur frontière pour faire face aux menaces et éventu-ellement aux persécutions. Commettre et/ou mettre en place un pool d’avocats qui va se charger de les défendre s’ils sont exposés à des persécutions ou à des poursuites judiciaires dues à des plaintes. Travailler en synergie avec les organisations non gouvernementales spécialisées dans la défense des droits de l’homme pour une meilleure prise en charge de leurs intérêts et la vulgarisa-tion des bonnes pratiques issues de leur combat pour qu’elles soient connues par toutes et tous.
RG – Bien que la responsabilité prin-cipale de la promotion et de la défense des droits humains incombe aux États, les DDH assument un rôle qui contribue grandement à cette tâche, et dans les cas où les États contreviennent à cette responsabilité ou ne la respectent pas, le travail des DDH devient plus impor-tant parce que ce sont eux qui exigent que l’État s’exécute et prennent des initiatives exemplaires dans la société, luttent contre le caractère arbitraire, font connaître les droits et garanties juridiques qui existent pour exiger leur plein exercice. Les DDH doivent d’abord se protéger en reconnaissant à tous les niveaux de l’État l’importance du travail qu’ils accomplissent, ce qui renforcera le respect de leur travail dans la société. Cela passe aussi par un cadre normatif qui garantit pleinement l’exercice du droit de défendre les droits ; la mise en œuvre de mesures de protection en cas de risque et une enquête pénale adéquate des faits contre eux ; la certitude de la sanction peut en soi être une mesure de protection car elle est un élément fonda-mental pour dissuader les agresseurs des défenseur-e-s des droits humains.
FR – Les DDH jouent un rôle prépondé-rant dans la protection et la promotion des droits humains et prennent, pour ce faire, des risques considérables. Il va de soi qu’ils doivent être protégés efficacement par la loi. L’obligation de protéger celles et ceux qui défendent les droits humains incombe en premier lieu aux Etats. Le mandat du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme permet également de protéger les défenseurs. Les institutions nationales de droits de l’Homme ont elles aussi la possibilité de soutenir le travail des défenseurs.
Quelle expérience concrète voulez-vous partager ?
FR – De façon générale nous observons que la cause des droits humains prend de plus en plus de place dans les débats au Luxembourg, mais il est vrai que beau-coup reste à faire. Le fait que le Luxem-bourg soit candidat au Conseil des droits de l’homme pour 2022-2024 montre toutefois l’engagement du gouverne-ment luxembourgeois en matière de droits de l’Homme. Dans ce contexte, on peut saluer la volonté exprimée par le Ministre des Affaires étrangères, lors de la visite à Luxembourg en juin 2018, de Michel Forst, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défen-seurs des droits de l’Homme, d’appuyer concrètement les DDH dans le monde, notamment à travers la participation à des mécanismes de protection comme le projet Shelter Cities et par des efforts de renforcement des capacités et de mise en réseau de la société civile qui lutte pour défendre les droits humains.
RG – L’utilisation de mécanismes de protection régionaux est devenue une bonne pratique au Guatemala. En 2011, des expulsions violentes ont été signalées dans la vallée du Polochic, dans les départements d’Alta Verapaz et d’Izabal, contre les communautés autochtones mayas q ́eqchi ́s, qui sont restées sans protection et sans aucune garantie de leurs droits. Ces expulsions ont créé une situation humanitaire grave et des mesures de précaution ont été demandées à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH). La même année, la CIDH a demandé à l’État guatémaltèque de garantir la sécurité, la vie, la nourri-ture et un abri pour les familles expul-sées. Malgré ce qui précède, et face au non-respect des mesures par l’État, les communautés expulsées accompagnées par le Comité d’unité paysanne (CUC) et d’autres communautés à travers le pays ont effectué la marche des indigènes et paysans en 2012. Cette marche qui a commencé dans la vallée du Polochic a mis en lumière ce cas et d’autres liés aux communautés autochtones dans d’autres régions. Face à cette mobilisa-tion, l’État du Guatemala s’est engagé à fournir des terres aux familles expulsées, dont le nombre s’élève à 769. Cet engage-ment a été pris dans le cadre du respect des mesures de précaution et actuelle-ment, même si c’est à un rythme lent, la terre a été remise à 355 familles. C’est ainsi que les défenseur-e-s du territoire ont réussi à se réinstaller sur leurs terres ancestrales et que les droits humains peuvent se traduire par des conditions de vie dignes et l’accès à des possibilités de développement communautaire.
OS – L’expérience que nous voulons partager, c’est l’accaparement des terres dont sont victimes les communautés avec l’avènement de la crise alimentaire mondiale de 2008 qui a provoqué une inflation des prix et la forte mobilisation de la société civile auprès des collectifs mis en place par les victimes. L’histoire de la localité de MBAAN, de FAANAY et de SANGALKAM au Sénégal a été un moment riche d’enseignements pour les défenseurs des droits humains qui se sont mobilisés comme un seul homme pour s’opposer au bradage du foncier agricole à des multinationales au détriment des paysans qui n’ont pas d’autres sources de revenus en dehors des produits issus des exploitations familiales. Ces événements malheureux avaient occasionné la mort d’hommes à FAANAY et SANGALKAM poussant alors les autorités à l’époque, à mettre un terme à l’affectation des terres aux multinationales. Mais, jusqu’à présent, les DDH ne baissent pas la garde pour la protection des intérêts des ayants droits face au phénomène de spoliation des terres qui continue à se développer à des degrés différents. Pour ces différentes luttes, des DDH ont perdu leur emploi du fait des pressions venues du sommet à l’endroit de leurs employeurs. Ils ont également subi des menaces qui ne les ont pas poussés à faiblir et abandonner le combat pour rétablir la justice. Les organisations de la société civile ont aussi pour mieux assister les DDH, mis en place des cadres et plateformes dans lesquels, il existe des mécanismes de veille et d’alerte nationaux, sous régio-naux, régionaux et internationaux pour mieux accompagner les défenseurs des droits humains et renforcer leur combat en mettant l’accent sur la formation, la sensibilisation, le plaidoyer et la dénon-ciation des différentes attaques dont ils font objet.
Devenir ou être un DDH n’est pas toujours un choix de carrière, mais trop souvent une nécessité qui surgit dans des contextes de violations des droits humains où il s’avère tout simplement humain de s’exprimer et de défendre les droits spoliés. Dans le cadre de la protec-tion des DDH, des ONG de développe-ment et DH actives au Luxembourg ont constitué un groupe de travail informel. Vous pouvez suivre leurs actualités sur leurs sites respectifs. Vous pouvez égale-ment signer la pétition contre la crimina-lisation de la solidarité en Europe : http://www.weareawelcomingeurope.eu/fr/ ainsi que la pétition d’Amnesty pour la protection des DDH par le Luxembourg : https://www.amnesty.lu/aux-cotes-des-defenseur-e-s/#.W_Lgt-hKjcs.