Présentation sommaire de la situation
Petit pays d’Afrique de l’Ouest, avec près de 7,5 millions d’habitants répartis sur 56.600 km², le Togo est une des plus vieilles dictatures d’Afrique. Depuis le coup d’état de 1967, c’est la même famille qui dirige le pays. L’actuel président, Faure Gnassingbé, a hérité du pouvoir en 2005 à la mort de son père, à la faveur d’un coup d’état : le soir de l’annonce de la mort du père président, des officiers sont apparus à la télévision togolaise pour annoncer que l’armée confiait le pouvoir à son fils Faure Gnassingbé, à l’encontre des dispositions constitutionnelles. L’intervention de la communauté internationale, l’organisation d’une élection présidentielle en avril 2005, n’y changeront rien. Les contestations populaires seront réprimées dans le sang (plus de 500 morts selon un rapport officiel des Nations Unies) et le président Faure Gnassingbé conservera l’héritage du pouvoir. A la faveur de violences policières et/ou militaires, du recours à des milices, d’instrumentalisation de la justice, d’impunité, de corruption et dans un contexte de faiblesse des institutions avec les pouvoirs législatif et judiciaire inféodés à l’exécutif, le président Faure Gnassingbé se maintient obstinément au pouvoir.
En août 2017, un nouveau cycle de contestations populaires voit le jour. Les manifestations pacifiques sont réprimées dans le sang. Parmi les victimes, il y a des enfants (Agrignan Rachad tué en septembre 2017, Joseph Zoumekey tué en octobre 2017, Moufidou Idrissou tué en décembre 2018, Nawa Ino Tchakondo tué en décembre 2018, etc.). Au Togo, les responsables des tueries ne sont presque jamais arrêtés et la plupart des enquêtes demeurent sans suite. Les manifestations de 2017-2018 conduisirent aussi à de nombreuses arrestations.
Tableau global des arrestations, détentions arbitraires et disparitions en détention depuis 2018 au Togo[1], d’après un mémorandum[2] publié par le Comité pour la libération de tous les prisonniers politiques du Togo, malgré le déni[3] de l’existence de prisonniers politiques au Togo par le ministre des Droits de l’Homme, M. Christian TRIMUA en décembre 2020.
111 personnes arrêtées et détenues – 76 personnes arrêtées et détenues dans l’affaire « Tiger Revolution » dont : . 5 personnes décédées en détention dans l’affaire « GOMA Aziz et codétenus » . 4 personnes actuellement malades et détenues au Cabanon du CHU Sylvanus Olympio ; . 67 personnes encore en détention ; – 16 personnes arrêtées et détenues dans l’affaire « GOMA Aziz et codétenus » ; – 8 personnes arrêtées, gardées à vue ou détenues pour cause de manifestation ; – 2 personnes jugées, condamnées et détenues pour délit d’opinion ; – 1 personne arrêtée et gardée à vue pour délit de presse ; – 5 personnes arrêtées, gardées à vue ou détenues pour cause de grève et d’organisation; – 3 personnes arrêtées et détenues pour « complot contre la sûreté de l’Etat » dont le propre demi-frère du chef de l’Etat, Kpatcha Gnassingbé. Nb : En dépit des jugements rendus en leur faveur par la Cour de justice de la CEDEAO en 2013, qui a demandé qu’ils soient rétablis dans leurs droits, et en dépit du Rapport du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, qui a demandé leur libération sans condition, ces trois détenus sont toujours maintenus en détention depuis 2009. |
Sur ces 111 personnes arrêtées, gardées à vue ou détenues, 7 au total ont été libérées.
A l’international, il y a quelques réactions pour dénoncer ces violations de plus en plus criantes des libertés fondamentales :
- le rapport de CIVICUS publié en octobre 2020 classe l’espace civique du Togo en « obstrué[4]» et plusieurs violations de l’espace civique sont répertoriées dont les détentions arbitraires de défenseurs des droits humains,
- le 1er décembre 2020, Amnesty International dénonce « les arrestations arbitraires d’opposants qui s’inscrivent dans une répression croissante des voix dissidentes par les autorités togolaises depuis la réélection du président Faure Gnassingbé pour un 4e mandat »,
- le 5 décembre 2020, Médiapart publie un article intitulé « Au Togo les libertés publiques sont réprimées », etc.
Le Service Central de Renseignements et de l’Investigation Criminelle (S.C.R.I.C.) – dont la mission est complètement dévoyée aujourd’hui – et le système judiciaire participent à cette vague répressive. En dépit du soutien international à la modernisation de la justice (environ 18 millions d’euros de la part de l’UE), les stéréotypes demeurent. De l’aveu même des autorités de ce secteur, « le principal problème du secteur est le manque de confiance entre la justice et le citoyen. Ce manque de confiance est dû aux difficultés d’accès du système de justice, son manque d’efficacité dans le traitement des dossiers, les problèmes de corruption qui minent le secteur et l’impunité dont bénéficient certains juges et justiciables (justice à deux vitesses) » (Programme d’Appui au Secteur de la Justice (PASJ) Garde des Sceaux, Ministère de la Justice (gouv.tg). (2019)
Le laisser-faire de la Communauté internationale
La diplomatie internationale semble se satisfaire de cette situation de déni démocratique au Togo. La complicité supposée ou avérée des partenaires financiers et politiques, particulièrement de l’Union européenne, participe au maintien du régime au pouvoir. La complicité est entendue de deux façons ; elle est soit active, soit passive. En dépit des sommes importantes investies dans le processus de modernisation de la justice au Togo, l’instance européenne n’arrive pas à exiger plus de respect des droits humains. Pourtant, les cas de tortures sont réels : lors de la 67e session ordinaire du Comité des Nations Unies contre la torture en juillet 2019, M. Sébastien Touzé, Expert au Comité des Nations Unies contre la torture déclare : « Il y a eu 16 plaintes en 2018 pour torture devant la justice » prenant ainsi à contrepied le Ministre togolais des Droits de l’Homme qui avait affirmé que « depuis 2015, il n’y avait pas eu de plainte pour torture au Togo ». Le 7 août 2019, le Comité contre la torture des Nations Unies interpelle le Togo par rapport aux « allégations de torture et de mauvais traitements en détention… notamment contre des personnes arrêtées suite à leur participation à des manifestations, ou à leur soutien aux revendications de l’opposition ».
Ainsi, la coopération internationale, notamment l’Union Européenne, par son silence, se rend complice de ce qui prévaut actuellement au Togo et ce, à plus d’un titre.
Pour mémoire …
– 1993-2006 : Suspension de la coopération UE-Togo en 1993 pour déficit démocratique, incapacité du Togo à mettre en œuvre des réformes politiques et institutionnelles. Des sanctions ont été prises contre Lomé sur la base de l’article 96 de l’Accord de Cotonou.
– 14 avril 2004 à Bruxelles : Le Togo souscrit à 22 engagements (devant concourir à l’instauration d’un Etat de droit) vis-à-vis de l’UE pour une reprise de la coopération.
– Février 2005 : Mort du président Gnassingbé Eyadema et, en violation des dispositions constitutionnelles, l’armée confie le pouvoir à son fils Faure Gnassingbé, député à l’époque. S’en suivirent des pressions intérieures et internationales tous azimuts.
– Avril 2005 : Elections présidentielles avec plus de 500 morts selon un rapport de l’ONU[5] ; plus de 1000 morts d’après d’autres sources notamment la Ligue togolaise des Droits de l’Homme. S’installa une grave crise politique avec des manifestations interminables et des pressions de partout.
– 20 août 2006 : Signature d’un accord politique global (APG) entre tous les acteurs politiques à Ouagadougou ; les réformes politiques et institutionnelles devaient se faire avant toutes les élections suivantes.
– 2007 : Reprise de la Coopération UE-Togo car le « Le Togo a fait preuve d’une volonté de renouer avec les principes de la démocratie et de l’État de droit »[6], selon le représentant de l’Union européenne au Togo, Filiberto Sériani Sébrégnondi. Or, « La tenue des élections législatives de l’année 2007 virent le retour au recours à la répression policière et militaire comme unique réponse aux revendications sociales et politiques »[7].
– Août 2006 – novembre 2018 : Pas d’évolution notoire ; rien que du surplace, du dilatoire ; le pouvoir a cherché continuellement à gagner du temps sans procéder à la moindre réforme.
– 2010 et 2015 : Deux élections présidentielles sans les réformes avec des résultats contestés partout mais sans que l’opposition arrive à faire prospérer la vérité des urnes car empêchée par les forces de l’ordre et de sécurité et la Cour constitutionnelle, toutes aux ordres du pouvoir.
– Entre août 2017 et janvier 2018 : Sur l’initiative du Parti National Panafricain (PNP), entre-temps rejoint par 13 autres partis politiques et des organisations de la société civile (OSC), de gigantesques manifestations populaires pacifiques ont atteint les principales villes togolaises. Ces marches, largement soutenues par toutes les diasporas togolaises (Afrique, Europe, Amérique), visaient à obtenir le retour à la Constitution de 1992 et le droit de vote pour les Togolais de la Diaspora. Une répression féroce desdites manifestations a causé plus de 100 morts (Cf. rapport des OSC Regroupement des Jeunes Africains pour la Démocratie et le Développement– REJADD et Réseau Africain pour les Initiatives des Droits de l’Homme et de la Solidarité-RAIDHS, Janvier 2018[8]).
– Décembre 2018 : Elections législatives boycottées par l’opposition dans son ensemble car lassée de la mauvaise foi du pouvoir. Le Togo se retrouve, depuis lors, avec une Assemblée nationale monocolore qui a rapidement procédé à des réformes constitutionnelles et institutionnelles toutes en faveur du président en place → compteur des mandats remis à zéro = le président peut encore prétendre à deux nouveaux mandats de 5 ans à partir de 2020.
Ensuite …
Un saccage en règle des droits et libertés fondamentaux ; retour progressif à l’ère d’avant 1990
La liberté d’expression/Liberté de presse
Elles sont en péril. Les supposés délits de presse et d’opinion sont traités au Service Central de Recherches et d’Investigations Criminelles (SCRIC). La Haute Autorité de l’Audiovisuel et la Communication (HAAC) suspend à tour de bras des organes de presse et la justice condamne à des peines de prison fermes ou au retrait définitif des récépissés.
Déjà en mars 2017, Amnesty International (AI) déclarait, devant la Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies, lors de l’adoption des conclusions de l’Examen périodique universel (EPU) sur le Togo : « Les autorités togolaises continuent de restreindre arbitrairement la liberté d’expression, ce qui génère un climat d’autocensure et dissuade la société civile de dénoncer les violences et l’absence d’obligation de rendre des comptes[9] ».
Toujours dans la même déclaration, on peut lire : « Le 6 février, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a retiré les fréquences d’une station de radio et d’une chaîne de télévision, CityFM et La Chaîne du futur (LCF), parce qu’elles n’auraient pas respecté les règles relatives à leur autorisation d’émettre. Aux termes des statuts de la HAAC, les décisions de ce type ne sont pas susceptibles d’appel. Le retrait des fréquences est une mesure disproportionnée, qui devrait être réservée aux infractions les plus graves et ordonnée par un tribunal indépendant et non par un organe administratif[10] ».
Enfin, AI remarque que les recommandations acceptées par le Togo sont toujours d’ordre général et considère que « ces engagements apparaissent comme une coquille vide lorsque l’on songe au fait que le Togo rejette les recommandations plus spécifiques et mesurables qui concernent la création d’un environnement favorable aux défenseurs des droits humains et aux journalistes, moyennant notamment une révision des lois qui servent à réprimer la dissidence[11] ».
Actions contre les syndicats et la société civile
La société civile constitue aujourd’hui pour le régime le secteur à circonscrire, après les nombreux déboires des partis politiques d’opposition. Une tentative de modification de la loi sur les organisations de la société civile (OSC) avait achoppé il y a quelques années, après de vives protestations adressées à l’UE par des OSC. Un projet de loi circule de nouveau et a certainement pour vocation de museler davantage les activités de la société civile.
Entretemps, des responsables d’organisations militantes comme NUBUEKE, REJADD et EN AUCUN CAS ont connu les affres de la Prison civile de Lomé où ils sont restés en détention plusieurs mois durant, parfois sans jugement, sur des accusations d’atteinte à la sécurité intérieure ou groupement de malfaiteurs et sans que la moindre preuve ne vienne étayer lesdites allégations.
Le 4 septembre 2020, des jeunes membres d’une OSC qui s’étaient retrouvés pour visualiser ensemble un film sur la vie du leader noir américain Martin Luther King, ont été arrêtés et conduits au poste de police.
Impunité (des éléments des forces de défense et de sécurité, miliciens…)
Au Togo, lorsque les forces de défense et de sécurité sont mises en cause, les enquêtes aboutissent rarement. Cette culture de l’impunité avait été dénoncée en 2005 par la mission de l’ONU chargée d’établir les faits suite aux tragiques événements qui ont suivi l’élection présidentielle du 24 avril. Dans son rapport[12], cette mission écrivait : « Les mécanismes opératoires de la culture de la violence sont d’une part le silence sur la réalité des actes et les pratiques de terreur, de répression et d’autre part l’impunité totale pour leurs responsables, commanditaires et exécutants. La restauration et la promotion des droits de l’Homme au Togo passe par l’éradication de ces mécanismes. »
Le 24 octobre 2017, le département d’Etat américain déclarait : « Nous sommes particulièrement préoccupés par les informations faisant état d’un recours excessif à la force par les forces de sécurité et signalons que des milices parrainées par le gouvernement utilisent la force et la menace de la force pour perturber les manifestations et intimider les civils ». Pourtant, la justice togolaise n’a jamais été ou ne s’est saisie en dépit des nombreux témoignages et preuves irréfutables.
Durant la période du premier couvre-feu consécutif à l’apparition de la COVID 19 au Togo, les exactions furent particulièrement meurtrières. Cinq personnes ont été tuées, vraisemblablement du fait d’éléments des forces de sécurité. La plupart de ces crimes perpétrés par des éléments des forces de sécurité sont demeurés impunis.
Dans son rapport de 2019 sur le Togo, AI écrit : « En juillet, le Comité contre la torture [ONU] a examiné la situation du Togo et s’est dit préoccupé par les allégations de torture, en particulier lors de gardes à vue dans les locaux de la police et de la gendarmerie, ainsi que dans les cellules du Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC). Le Comité a indiqué que les conditions de détention dans la majorité des établissements pénitentiaires s’apparentaient à des mauvais traitements, et a évoqué la surpopulation (taux d’occupation de 182 %) et la détention provisoire prolongée (62 % des personnes détenues étaient en attente de jugement). »[13]
Au total, peut-on lire dans le mémorandum du Comité pour la libération de tous les prisonniers politiques du Togo, on assiste à l’accélération des attaques frontales contre les libertés et droits suivants : droit à la vie, liberté d’opinion, liberté civile et politique, liberté d’association, liberté de presse, liberté syndicale, droit de manifestation, droit de grève et droit à une justice équitable.
Où se manifeste-elle alors « la volonté de renouer avec les principes de la démocratie et de l’État de droit » des autorités togolaises ayant motivé l’Union européenne à arrêter ses sanctions contre les dirigeants togolais et à reprendre pleinement et entièrement sa coopération avec les autorités togolaises ? Jusqu’à quand l’Union européenne continuera-t-elle de sous-traiter les affaires politiques des ex-colonies de la France à cette dernière alors même que celle-ci peine manifestement à se défaire du système néocolonial dite la « Françafrique » ? Pourquoi la Commission de l’UE valide-t-elle systématiquement, suivant aveuglément les avis de la France, les élections irrégulières au Togo depuis les années 1990, alors même que les missions d’observation du Parlement de la même UE les ont toujours contestées ? La Commission arrivera-t-elle un jour à entendre la voix des peuples, représentés par le Parlement, sur ces problématiques ?
* Sena Afeto (ASTM) et le Prof. David Dosseh (porte-parole du Front Togo Debout)
References:
[1] https://blogs.mediapart.fr/francois-fabregat/blog/180221/togo-prisonniers-politiques-morts-en-detention-ou-detenus-au-togo-depuis-2018
[2] https://blogs.mediapart.fr/francois-fabregat/blog/170221/togo-comite-pour-la-liberation-de-tous-les-prisonniers-politiques-du-togo
[3] https://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Justice/Il-n-y-a-aucun-detenu-politique-au-Togo
[4] https://www.civicus.org/index.php/fr/component/tags/tag/togo
[5] https://www.anctogo.com/medias/images/contenu/Rapport-ONU-Togo.pdf; p. 42
[6] http://www.ufctogo.com/+L-UE-notifie-au-Togo-la-reprise-de+.html
[7] http://www.27avril.com/rapports/rapport-pr%C3%A9liminaire-2017-REJADD-RAIDHS.pdf
[8] http://www.27avril.com/rapports/rapport-pr%C3%A9liminaire-2017-REJADD-RAIDHS.pdf
[9] https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/proteger-les-droits-aux-libertes-d-association-d-expression-et-de-reunion
[10] Idem
[11] Idem
[12] https://www.anctogo.com/medias/images/contenu/Rapport-ONU-Togo.pdf
[13] https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/togo/report-togo/