Le 17 août dernier, Zara Alvarez, âgée de 39 ans et défenseure des droits humains, a été abattue par des inconnus à Bacolod City, sur l’île de Negros. Elle était assistante juridique de l’organisation Karapatan et responsable de la recherche et du plaidoyer du Negros Island Health Integrated Program. Zara avait travaillé dans la documentation de cas de violations des droits humains, dans la défense des paysans sans terre lors des dialogues avec l’armée et le gouvernement local et dans le renforcement des défenseurs. Zara a été également à l’avant-garde de la campagne anti-mines et d’autres projets destructeurs de l’environnement à Negros.
A côté de son engagement comme défenseure, Zara était aussi une mère, une fille, et une amie. Yesha Ramos, une de ses proches, ancienne directrice exécutive de PDG et veuve de Ben Ramos, aussi assassiné brutalement, lui a dédié cette lettre émouvante depuis l’exil…
Je connais Zara depuis longtemps maintenant. Elle était cette jeune petite activiste qui se démarquait toujours de la foule par sa voix forte dénonçant la situation oppressive des paysans et ses mots frappants réclamant la libération de l’esclavage de la pauvreté, une paix juste et durable, la terre pour ceux qui la cultivent, et une meilleure éducation pour les jeunes générations. Elle était très jeune à l’époque et pourtant très déterminée. Je n’ai jamais vu une telle ténacité. À l’époque, j’aurais souhaité avoir le même courage, la même force, la même valeur pour m’exprimer. Zara peut le faire avec spontanéité, sans pause, sans hésitation, sans réserve.
Lorsque nous avons toutes les deux vu nos photos sur une affiche, ensemble avec mon mari et de nombreux autres activistes exposées dans la rue et étiquetées comme terroristes, nous avons dit en plaisantant «pourquoi n’ont-ils pas choisi une meilleure photo de nous ? Nous y avons mis de l’humour malgré les peurs croissantes qui nous habitaient. Zara disait toujours : «nous serons toujours incompris par ces politiciens avides de pouvoir parce que nous disons la vérité». Ils nous perçoivent comme des ennemis parce que nous travaillons avec le peuple, nous sommes bien ancrés, nous faisons écho à la voix des marginaux».
Lorsque mon mari a été assassiné en 2018, les deux premières personnes que j’ai contactées ont été Clarizza Singson de Karapatan et Zara qui travaillait à l’époque pour le NIHIP. Ce sont mes deux camarades les plus fidèles sur lesquelles je peux compter. Elles ont été mes compagnes constantes lorsque nous devions partir en mission d’enquête, lorsque nous devions gérer des équipes pour rechercher le lieu où se trouvaient des paysans enlevés ou des défenseurs des droits humains, lorsque nous devions affronter des agents de l’État dans des dialogues, lorsque nous devions nous asseoir et comparer nos notes sur les violations des droits de humains documentées. Zara était là pour soutenir nos campagnes et le renforcement des alliances. Zara était mon acolyte lorsque nous devions organiser des programmes pour les agents de santé communautaires. Zara était toujours là, prête à donner son temps et son énergie.
Depuis 2018, nous avons vécu les moments les plus difficiles en tant que défenseures des droits humains à Negros. Un jour, Zara m’a dit qu’elle devait prendre fonction chez KARAPATAN-Negros. Nous avons eu une longue discussion. Elle était très frêle à l’époque, car elle venait de se remettre d’un malaise. Et pourtant, malgré son état de santé, elle a assumé la tâche. Elle m’a dit un jour : «Yesha, c’est tellement difficile pour moi de bien dormir. Chaque fois que j’entends mon téléphone sonner, je sais que quelqu’un a pu être tué, ou enlevé, ou arrêté et cela me donne cette sensation de froid. Mais je dois me lever, penser clairement, rassembler mes forces et bouger parce que chaque minute compte». Et puis nous comparions en riant la façon dont nos corps réagissaient à nos angoisses et épuisement- Zara perdant ses cheveux et moi perdant du poids.
Depuis l’année dernière, nous étions toujours ensemble pour parler dans des forums, raconter nos douloureuses histoires de lutte. Nous étions ensemble en train de verser des larmes de colère en voyant de plus en plus de défenseurs des droits humains tués et arrêtés. Nous avons rencontré des journalistes, organisé des missions d’enquête, pris des chemins différents pour nous assurer que nous ne serions pas suivis par des tueurs cagoulés. Il n’y pas si long temps, en août 2019, nous avons terminé une mission de secours. C’était une aide aux prisonniers politiques, mais nous avions l’intention de continuer à travailler, nous avions fait un pacte que nous continuerions à aider les paysans et les défenseurs des droits humains injustement incarcérés ou tués. Bien qu’épuisée, Zara souriait encore parce qu’elle croyait que nous pouvions et que nous pourrions toujours parcourir les longues routes sinueuses et épineuses pour atteindre notre rêve de libération et de changement social.
Elle était cette camarade compréhensive qui m’a écoutée quand j’ai dû prendre la décision difficile de prendre de la distance. Elle m’a courageusement fait remarquer mes défauts mais m’a donné le sentiment que j’étais toujours à ma place. Ses mots exacts pour moi: « Réfléchis bien. Quelles que soient les décisions prises, je sais que ce sera difficile, mais tu peux l’endurer. Ne te détache pas des masses parce que tu ne seras jamais déçue. Je comprends vraiment ta situation maintenant ». Elle m’a rassurée chaleureusement.
Zara, tu nous as été arrachée brutalement. Tu as été tuée par balle, de la même façon qu’ils ont assassiné mon mari. Quand j’ai entendu la nouvelle, j’ai gelé, le cadavre de Ben à l’hôpital portant 3 coups de feu m’est revenu en mémoire. Quand j’ai vu une photo de ton cadavre allongé dans la rue, elle m’a renvoyé à une photo du sang de Ben étalé dans la rue. Les escadrons de la mort de l’État ont pris de bons protecteurs, de bons défenseurs. Tu as été si courageuse Zara. Tu menais infatigablement une lutte juste pour le peuple.
Je sais que nous sommes devenus un obstacle pour ce gouvernement fasciste. Trop de sang a été versé dans tous les coins de L’Ile de Negros. Le sang des fermiers qui nous nourrissent. Le sang des ouvriers qui se tuent à la tache. Le sang des mères qui ont perdu leurs enfants. Des enfants qui ont perdu leurs parents. Des femmes veuves. Mon cœur saigne. Nous sommes des défenseurs des droits humains qui travaillent pour la paix, nous sommes des personnes dignes, avec des rêves pour nos familles, avec l’espoir d’un avenir qui nous libérera de toute forme d’exploitation.
Toi, comme tant d’autres milliers de paysans et d’activistes, es devenue victime de ces meurtres impitoyables. Mais nous continuerons le combat. Nous continuerons parce qu’à chaque vie perdue, de nouveaux défenseurs et activistes émergeront et lutteront pour la justice. L’action collective est tout ce dont nous avons besoin face à la colère et à la peur, à l’intimidation et au meurtre. La vie que tu as offerte au peuple ne sera pas sacrifiée en vain. Nos larmes ne seront pas versées parce que nous nous accrocherons aux principes que nous avons promis de protéger. Nous n’y parviendrons peut-être pas dans cette vie, mais nous y essaierons pour les générations à venir.
Pour Kai, la fille bien-aimée de Zara, reste forte. Je sais combien il est douloureux de perdre une personne aimée parce que j’ai moi aussi perdu mon cher mari. N’aie pas peur. Nous sommes avec toi. Les gens autour de toi maintenant te protègent. Peu importe où nous nous trouverons, nous continuerons à lever le poing et à nous battre pour la justice.
Un salut rouge pour toi Zara, et pour les milliers de personnes qui ont sacrifié leur vie. »
JUSTICE POUR ZARA ALVAREZ ! JUSTICE POUR BEN RAMOS ! JUSTICE POUR LES VICTIMES DES ASSASSINATS EXTRAJUDICIAIRES !