Le 17 avril 2019, Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la sécurité, a présenté une communication conjointe de la Commission européenne et du Service d’action extérieure intitulée «Union européenne, Amérique latine et Caraïbes : unir nos forces pour un avenir commun».
L’objectif de cette communication conjointe, parvenue dix ans après le dernier grand document stratégique de l’UE pour la région, est de proposer une orientation stratégique pour l’action extérieure de l’Union européenne avec l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC).
La communication indique : «Pour les cinq prochaines années, l’UE vise à parvenir à un engagement politique plus stratégique, en poursuivant un programme de commerce et d’investissement responsable et en tirant le meilleur parti de sa coopération avec les pays de la région. Ces éléments représentent un nouvel équilibre dans les relations de l’UE avec l’Amérique latine et les Caraïbes, fondé sur un partenariat équitable».
Le Conseil de l’Union européenne a donné le feu vert pour mettre en œuvre la communication. Il s’agit d’un signal important car l’année prochaine, l’UE définira ses priorités pour 2021-2027 en matière de coopération au développement avec l’Amérique latine.
Relations actuelles de l’UE avec l’Amérique latine
Relations commerciales
L’Union européenne a conclu des accords de libre-échange avec 26 des 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes. En 2016, les négociations ont repris en vue de conclure un accord d’association UE-Mercosur et entrent actuellement dans leur phase finale. Les négociations sont sur le point de s’achever entre l’UE et le Mexique afin de conclure un accord modernisé qui remplacera l’accord existant.
Commencées en l’an 2000, les négociations d’un accord de libre – échange entre l’UE et Mercosur (l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay) ont été suspendues en 2004. Elles ont repris en mai 2013, sans pour autant donner naissance à un accord satisfaisant toutes les parties. L’arrivée au pouvoir de Donald J. Trump a accéléré le processus de négociations et vu la Commission européenne insister sur l’obtention d’un accord avant la fin de l’année 2018. Le nœud de la discorde entre les partis réside dans l’exportation de bœuf et d’éthanol, refusée jusqu’en 2017 par la Commission européenne. Afin de débloquer les négociations, la Commission a pourtant accepté l’entrée sur son marché des produits controversés.
Ralenties par les élections présidentielles de 2019 au Brésil, les négociations patinent et voient naître un sentiment de défiance parmi certains États-membres, craignant des impacts négatifs sur les productions agricoles européennes.
Récemment, 340 organisations de la société civile ont appelé l’Union européenne à mettre immédiatement un terme aux négociations pour un accord de libre-échange avec le Mercosur en raison de la détérioration des droits humains et de la situation écologique au Brésil.
Comme l’indiquent des sources de l’Union européenne, au cours des dix dernières années, la part totale de l’UE dans le commerce de l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC) est restée stable (14,4%). Le commerce total de marchandises a plus que doublé au cours de la dernière décennie, atteignant 221,6 milliards en 2017, et l’UE est le troisième partenaire commercial de l’ALC. L’UE est le principal investisseur dans la région. Le volume des investissements directs étrangers (IDE) de l’UE en Amérique latine et dans les Caraïbes s’est élevé à 825,7 milliards d’euros en 2016, soit plus que les investissements conjoints de l’UE en Chine, Inde et Russie. Ces investissements couvrent les secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Le volume des IDE des pays de l’ALC dans l’UE a également fortement augmenté, passant de 128,5 milliards d’euros en 2009 à 250,3 milliards d’euros en 2016 ; le Brésil reste le principal investisseur.
Coopération au développement : Priorités actuelles de l’UE en Amérique latine
L’UE reste le principal fournisseur d’aide publique au développement (APD) dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Dans le Plan européen pour l’Amérique latine 2014-2020, la coopération avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes se concentre principalement sur les aspects suivants: agenda pour la prospérité, agenda pour les citoyens, agenda pour la paix et les institutions, agenda pour la Planète.
Néanmoins, il est important de souligner que depuis la dernière stratégie, le programme de développement avec l’Amérique latine est devenu moins prioritaire. En témoigne par exemple la réorientation des politiques de l’UE qui a conduit à une diminution de l’aide à l’Amérique latine entre 2014 et 2020, de 16 % à 13 % par rapport à la période précédente (2007-2013). La politique de coopération au développement de l’UE accorde un rôle de plus en plus important au secteur privé, au détriment de l’État et de la société civile. L’introduction de nouveaux mécanismes qui combinent les dons et les prêts (blending) tels que LAIF (Facilité d’investissement pour l’Amérique latine), s’inscrit dans cette tendance. Enfin, malgré des niveaux élevés de pauvreté et d’inégalité, l’UE a retiré ou est sur le point de retirer sa coopération bilatérale au développement avec plusieurs pays d’Amérique latine.
Droits humains
Le 13 mai 2019, le Conseil a adopté le rapport annuel de l’UE sur les droits humains et la démocratie dans le monde. Le rapport met en lumière certaines des principales activités que l’Union européenne a entreprises avec l’Amérique latine: liberté d’expression et d’association; égalité des sexes et autonomisation des femmes et des filles; non-discrimination, en particulier à l’égard des minorités et des peuples autochtones; droits économiques, sociaux et culturels, notamment l’accès à la terre et à l’eau, l’assainissement et le logement; impartialité du système judiciaire et efficacité du système judiciaire; abolition de la peine capitale et de la torture.
Brève analyse de la communication de la Commission
Comme indiqué dans la communication elle-même, pour les cinq prochaines années, l’UE vise à parvenir à un engagement politique plus stratégique, avec un programme de commerce et d’investissement responsable et un plus gros impact de sa coopération avec les pays de la région. L’UE vise à atteindre cet objectif par la coopération dans quatre domaines: prospérité, démocratie, résilience et gouvernance mondiale efficace.
-Partenariat pour la prospérité – en facilitant le commerce et l’investissement durables aux niveaux interrégional et intra-régional et en s’efforçant de compléter le réseau d’accords sur le commerce et l’investissement, ainsi qu’en assurant leur ratification rapide et leur mise en œuvre intégrale, y compris les dispositions sociales, environnementales et celles relatives au travail ;
-Partenariat pour la démocratie – en renforçant le régime international des droits humains, y compris l’égalité des sexes; en autonomisant la société civile; en consolidant l’État de droit; et en garantissant des élections crédibles et des institutions publiques efficaces;
-Partenariats pour la résilience – en améliorant la résilience aux changements climatiques, l’environnement et la biodiversité; en luttant contre les inégalités par une fiscalité et une protection sociale équitables; en luttant contre le crime organisé; et en approfondissant le dialogue et la coopération sur la migration et la mobilité, en particulier pour prévenir la migration irrégulière et la traite des êtres humains;
-Partenariats pour une gouvernance mondiale efficace – en renforçant le système multilatéral, notamment en matière de gouvernance climatique et environnementale; en approfondissant la coopération en matière de paix et de sécurité; et en mettant en œuvre l’Agenda 2030.
Le message principal de la communication est qu’il y a eu des changements, et c’est pourquoi il est nécessaire de viser une «Association bi-régionale modernisée», qui exige une approche différente qui nous aidera à relever de nouveaux défis.
Toutefois, bien que la communication mentionne quatre domaines de coopération, le cœur de la relation reste centré sur le commerce et l’investissement où les intérêts de l’UE et de son secteur privé sont cruciaux.
En fait, il semble y avoir une hiérarchie dans les quatre catégories, la principale étant la catégorie de la prospérité avec son orientation économique, puisqu’elle est présentée et développée de manière plus détaillée. Le commerce et l’investissement sont considérés comme le créateur le plus efficace de richesses et de lutte contre les inégalités. Par conséquent, l’objectif est de promouvoir des modèles de croissance tirés par les exportations grâce à des accords de libre-échange et à l’investissement.
Cette orientation économique est également démontrée par le fait que des problèmes complexes sont présentés d’un point de vue économique sans une approche fondée sur les droits humains. Par exemple, pour la question de l’inégalité, une approche limitée est proposée dans le cadre de la coopération en matière de gouvernance fiscale.
D’autre part, il est positif qu’en tant que deuxième domaine de coopération, l’UE établisse la nécessité d’intensifier la coopération pour renforcer la démocratie et en particulier « d’accorder la priorité à l’amélioration du respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques […], au renforcement du régime international des droits de l’homme, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes ; (…] ]l’autonomisation de la société civile[…] ; le renforcement de l’État de droit ; et à l’établissement d’institutions publiques efficaces ». Il s’agit là d’un indicateur qui montre que, bien que de nombreux pays d’Amérique latine soient des pays à revenu intermédiaire ou des pays sortant du sous-développement, la faiblesse démocratique et la fragilité de l’État de droit constituent l’une des principales priorités de l’UE en ALC.
Propositions de la société civile
Les organisations européennes de la société civile, regroupées dans un espace informel suivent la communication depuis ses débuts. Elles ont participé à une consultation en février 2018 à Bruxelles et des consultations virtuelles ont également eu lieu au Nicaragua, au Honduras, au Guatemala et en El Salvador.
Les principales contributions de la société civile ont été rassemblées dans une seule note politique sur les relations UE-ALC. Les priorités suivantes ont été identifiées par la société civile comme la pierre angulaire des futures relations UE-ALC:
– Promouvoir un environnement favorable aux organisations de la société civile (OSC) et soutien de l’UE pour les défenseurs des droits humains et la société civile dans leur travail de défense des droits humains et de l’environnement pour lutter contre la stigmatisation et la criminalisation;
– Garantir des mesures qui favorisent des changements écologiques réels contribuant à la «décarbonisation» de l’économie. De même, les effets néfastes de l’expansion des biocarburants ont été prouvés. Contribuer à l’élaboration de politiques environnementales, à la réglementation et au contrôle de l’environnement et contrecarrer le processus actuel de flexibilisation et de déréglementation en cours;
– Protéger les petites communautés les plus discriminées et promouvoir un modèle d’entreprise respectant une approche fondée sur les droits humains;
– Donner la priorité à la lutte contre les causes des inégalités et promouvoir des politiques génératrices de travail décent et permettant l’accès à la protection sociale et à la justice;
– Contribuer de manière significative aux «Socles de protection sociale pour tous» de l’Organisation internationale du travail (OIT), un instrument international qui œuvre pour le développement de ces systèmes dans le monde entier;
– Soutenir la lutte contre la violence à l’égard des femmes par le dialogue politique et les programmes de coopération.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Sur la base de cette communication, la Commission européenne doit préparer ses priorités pour la coopération avec l’Amérique latine 2021-2027 dans le cadre de la nouvelle «stratégie de coopération UE-ALC». Toutefois, il est également important de garder à l’esprit qu’au niveau européen, il existe d’autres processus qui influenceront également l’avenir des relations avec l’Amérique latine.
Réduction de l’aide publique au développement: Selon le Conseil de l’Union européenne, en 2018, l’aide publique au développement (APD) de l’UE s’élevait à 75,7 milliards d’euros, soit 0,47% du revenu national brut (RNB) de l’Union. Une baisse de 731 millions est enregistrée par rapport à 2017, année au cours de laquelle l’APD représentait 0,50 % du RNB de l’UE. Dans ce contexte, le Conseil est de plus en plus préoccupé par l’évolution négative de l’APD collective de l’UE, qui diminue pour la deuxième année consécutive, et regrette l’accroissement de l’écart en termes de réalisation de l’objectif collectif de 0,7% du RNB.
Les négociations sur le cadre financier pluriannuel de l’UE: L’importance de la budgétisation à long terme de l’Union européenne n’est éclipsée que par sa complexité. L’UE détermine ses dépenses budgétaires pour au moins cinq ans. La période actuelle du CFP 2014-2020 touche à sa fin – c’est pourquoi les institutions européennes sont occupées à négocier le prochain CFP qui déterminera le budget de l’UE de 2021 à 2027. A la date de publication de cet article, le Conseil des ministres n’aura pas adopté de décision.
Le Brexit montre clairement qu’en termes endogènes, l’UE subit des transformations d’une grande complexité qui non seulement affecteront sa survie en tant que « bloc », mais donneront lieu à l’émergence de nationalisme, d’autoritarisme, de xénophobie et à la remise en cause de la structure institutionnelle même de l’UE.
Comme le stipule l’agenda 2030, l’UE ne doit laisser personne derrière elle et doit respecter, protéger et promouvoir les droits humains et les libertés fondamentales pour tous, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques, l’origine nationale ou sociale, la situation économique, le handicap, etc. Cela doit se faire dans le respect des limites de la planète, en promouvant les énergies vertes et en protégeant les ressources naturelles.
Pour ce faire, l’UE a un allié naturel au sein des organisations de la société civile qui travaillent en étroite collaboration avec les acteurs nationaux et régionaux pour une mise en œuvre plus durable et inclusive de l’Agenda 2030. En tant que société civile, nous continuerons d’exiger que l’UE promeuve des relations avec l’Amérique latine qui contribuent aux objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités et au développement de sociétés plus inclusives, durables et justes.