Cette zone verte, où la nature s’est revitalisée après l’arrêt des activités de la sablière et où diverses espèces animales, dont certaines sur la liste « à protéger » se sont installées – comme le triton et l’hirondelle de rivage – risque la destruction. Cette forêt est d’ailleurs très prisée des riverains pour les promenades et les espèces rares ou protégées ; elle a également été classée Zone de grand intérêt biologique par la Région wallonne.
L’action a suscité l’intérêt et la curiosité des habitants du chef-lieu belge qui se sont joints au débat. Les riverain·e·s apportent du matériel, de la nourriture et des couvertures pour se solidariser avec l’occupation du terrain. S’y retrouvent des élus arlonais, des maraîchers, des étudiants, ou des éducateurs spécialisés venant d’Arlon, de la province, ou d’un peu plus loin, et même de Lorraine, pour mettre en place la cuisine, des étagères, une tonne à eau, un dortoir ou encore des toilettes sèches. En quelques semaines, l’espace de la zad est devenu un lieu de rencontres même pour les voisins.
La forêt appartient à Idelux, une intercommunale, chargée du «développement économique et de la gestion de l’environnement». Elle l’a rachetée à la commune pour 3.5 millions d’euros il y a deux ans. Idelux n’est donc pas du tout enchanté de voir les activistes occuper le terrain. Dans un communiqué elle déclare : « L’occupation illégale du site de Schoppach, les dégradations de biens et de bâtiments sont des actes stériles et néfastes qui ne servent en rien la cause que certains entendent défendre avec tant d’ardeur. » Pour justifier un futur délogement des occupant*e*s, Idelux se cache derrière le DNF (Département de la Nature et des Forêts) pour agiter le drapeau de la sécurité : Les épicéas scolytés (il s’agit d’une espèce d’arbres) seraient dangereux pour les occupants du site et risqueraient de leur tomber sur la tête. (On se croirait dans une authentique BD d’Astérix !)
Les occupants quant à eux annoncent dans un communiqué à l’agence Belga qu’ils resteront sur place « tant que le projet de zoning d’Idelux ne sera pas abandonné » et clament que « les luttes contre toute forme d’exploitation de la nature ou des humains n’ont pas de frontière. Ni à Arlon, ni ailleurs, stop au bétonnage du vivant ! » Ils prônent l’arrêt de l’artificialisation massive des sols et l’accaparement des territoires à des fins privées. Ils prétendent ainsi sauvegarder l’environnement et le droit des habitants à décider de leur avenir.
Les ZAD s’inscrivent dans la lignée des formes de résistances territoriales en phase avec les préoccupations contemporaines et comme une réaction à la contradiction entre la protection de l’environnement et l’objectif de l’aménager. Apparu en France au début des années 2010, le terme a été popularisé lors de l’opposition citoyenne au projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des- Landes (France). Le mouvement des ZAD entend agir en défense de l’environnement, du droit des populations locales à décider de l’avenir de leurs territoires et du rejet d’une conception de l’économie productiviste. |
Même si la police a évacué une partie du matériel mis en place par des riverains, le jour après, deux fois plus de matériel leur a été offert. La situation est donc tendue et la commune et Idelux jouent la carte du dialogue. Plus de 80 riverain- e-s sont venus à la réunion d’information et on voyait bien „l’effet ZAD“, c’est-à- dire à quel point l’occupation a déjà servi pour sensibiliser / réveiller les citoyen- n-es qui n’ont pas hésité à questionner le projet proposé.
Dans le journal en ligne « Le SOIR », Vincent Magnus, bourgmestre d’Arlon, estime que « nous avons tous un droit sur la sablière, Ville, Idelux et DNF. En effet, si la Ville a vendu les 30 has à Idelux, elle a signé un bail emphytéotique avec le DNF pour la partie « réserve naturelle » (5,7 ha) à créer, côté autoroute. « Les zadistes se trompent de combat. C’est une opposition de principe contre le capitalisme ! Ils veulent lutter pour une meilleure biodiversité, c’est bien cela qu’on veut sur le site. Et on l’a voulu depuis le début. Or, il faut un milieu ouvert pour favoriser la biodiversité. »
Et de poursuivre : « Comme le dit le scientifique Jean-Paul Jacob, faire cohabiter les PME et la biodiversité est compatible. Nous n’avons plus de place à Arlon pour accueillir des entreprises artisanales, et c’est bien là le problème. La question de fond est : que voulons- nous faire de notre territoire ? »
C’est là la question que les zadistes mettent au centre de leur action. Ils déclarent qu’il s’agit d’une question urgente qui dépasse les réponses technologiques et qui touche aux mécanismes de participation et de dialogue social, aux modes de consommation, et qui questionne le modèle économique actuel.
Michaël Lucas, habitant d’Arlon, très perspicace, a répondu au bourgmestre dans une lettre ouverte, en pointant certains enjeux de ce combat :
« Comme la majorité d’entre nous, vous êtes sur la grosse machine du productivisme et du consumérisme. Vous voyez qu’elle n’avance pas dans le bon sens et pensez, sincèrement, pouvoir la dévier de son cap.
Les zadistes, eux, n’y croient pas. Ils voient que la machine avance de manière folle et aveugle, mue par sa propre logique incontrôlable : chaque gisement de pétrole doit être vidé jusqu’à la dernière goute, chaque mare doit être asséchée, chaque source d’enrichissement doit être exploitée et accaparée. La machine ne se préoccupe pas des dégâts qu’elle occasionne : inégalités abyssales, exploitation humaine, conflits armés, épuisement des ressources naturelles, pollutions, destruction de la biodiversité, dérèglement climatique. Prédatrice, elle avance inexorablement, portée par les multinationales et les PME, les consommateurs et les politiques.
Par leur occupation, ils nous incitent à penser un autre développement économique que celui auquel nous avons pris l’habitude de nous référer, celui dont la plus-value ne se mesure que sous forme comptable. Il ne s’agit pas pour nous de faire la révolution, guidés par une quelconque idéologie, mais bien d’œuvrer concrètement à la sortie du capitalisme. La ZAD nous pose cette question : “que faisons-nous, ici et maintenant, pour nous débarrasser de ce productivisme absurde ?”.
Il finit par la phrase suivante de Jean Ziegler : «Le capitalisme ne peut être humanisé cessons donc de lui dérouler le tapis rouge. »
En lisant l’histoire de la ZAD de Schoppach, on se rappelle la lutte qui a été menée en Allemagne dans la forêt de Hambach, contre une extension de l’exploitation de gisements de lignite, projet de la RWE, alors que se pointe à l’horizon et voulue par la politique, la sortie de l’énergie du charbon. Les habitant·e·s des maisons dans les arbres ont été délogé·e·s manu militari, mais ils/elles ont obtenu gain de cause, la forêt ne sera pas rasée ! Ou encore, on peut penser à la résistance à Notre-Dame-des-Landes, en France, où une occupation du terrain a fait échec à la construction d’un aéroport.
Et pendant une quinzaine de jours, la construction d’une maison dans les arbres de la forêt de Vollhöfen à Hambourg s’est mise en place pour éviter le défrichement prévu pour permettre une extension du port de Hambourg. Le 24 octobre suivait un délogement par la police. Les occupations de terres foisonnent en Allemagne, même si toutes ne sont pas si spectaculaires que celle de Hambach.
Ces actions ont des points en commun : La préoccupation principale des activistes est la conservation de la nature, la lutte contre le changement climatique qui nécessite des mesures d’urgence immédiates sans tergiversations de politiciens de toutes les couleurs.
« Depuis quelques mois, quantité d’études et de rapports nous rendent compte de l’état dramatique de notre planète, la Wallonie n’y échappe pas, et particulièrement de la disparition alarmante en ce qui concerne la population d’oiseaux, insectes et autres organismes pollinisateurs essentiels à notre environnement et donc à notre propre vie. Ces chutes brutales de la population animale ne nous obligent- elles pas à prendre en compte l’empreinte humaine sur notre environnement et à agir avec cohérence ? » (Argumentation des « zadistes » d’Arlon)
Par ailleurs ils/elles estiment que la lutte contre le changement climatique est aussi une lutte contre le système économique néolibéral actuel.
« Avec la forme de résistance choisie, nous voulons nous opposer ensemble à l’administration portuaire et donner un signal clair contre la destruction et l’exploitation de la nature et de l’être humain. Nous luttons pour un monde solidaire, sans domination ou les intérêts économiques ne priment pas sur nos intérêts à nous tous et ceux de la nature.» (Les activistes de Hambourg Vollhöfen)
L’action est radicale, déterminée et sans compromis ! Les activistes sont déterminé·e·s à rester jusqu’à l’abandon du projet. Pour les soutenir et pour augmenter la pression sur les décideur·e·s politiques, le soutien des riverain·e·s leur est précieux. Ce sont les électeurs et électrices qu’aucun·e élu·e ne peut se permettre de vexer.
La vue des zadistes est aussi internationale et internationaliste. Les acteurs qui sont responsables de la dégradation de la nature sont les mêmes partout dans le monde. Des multinationales qui ne rechignent pas devant la corruption et la violence pour mettre en pratique leurs politiques de maximisation de profit.
« La conservation de la forêt de Hambach doit être vue dans un contexte global : L’énergie produite par l’exploitation à ciel ouvert à Hambach est utilisée e.a. par l’industrie de l’armement, ce qui signifie un soutien actif aux guerres. Chaque guerre détruit des vies et contraint des personnes à fuir. Mais ce ne sont pas seulement les armes qui tuent, par la destruction de l’environnement les êtres humains perdent leur fondement de vie. La production d’énergie par le charbon en Rhénanie contribue elle aussi au changement climatique généré par les humains, un fait qui est à la base de ce que de plus en plus de personnes doivent quitter leur pays d’origine. » (Activistes du « Hambacher Forst »)
En même temps, il y a dénigration de l’action des activistes, et souvent, leur délogement du territoire se poursuit par des procès en masse. Michaël Lucas a encore répondu au bourgmestre d’Arlon: « Oui, l’action est illégale et vous êtes le garant de la légalité. Rappelons toutefois que de nombreux progrès sociaux et démocratiques ont été acquis à la suite de mobilisations hors cadre légal. Ne sommes-nous d’ailleurs pas les héritiers de plusieurs révolutions?» A la sablière de Schoppach p.ex., un incident de délogement d’un journaliste du site est mis en avant pour crier au musèlement de la presse et pour justifier une éventuelle intervention de la police. Mais en général, aucun incident « violent » n’a eu lieu et le journaliste en question n’a pas été blessé.
En Allemagne cependant, des centaines de personnes sont poursuivies pour l’occupation et dégradation de la forêt de Hambach.
Les mouvements de défense de la terre dans les pays en voie de développement, souvent par des représentant-e-s des peuples indigènes ont le même objectif et notre nouveau partenaire «Accion Ecologica » en Equateur, milite |
A Notre Dame des Landes, deux femmes (e.a.) ont été mises en examen pour dépôt d’ordures après avoir déposé devant la préfecture de Nantes des centaines de douilles de grenades lacrymogènes tirées dans le bocage qu’elles avaient rassemblées sur le site occupé, après le passage de la police. Relaxées en première instance, le parquet a fait appel, mais le jugement a été confirmé. « Une fois de plus, la démonstration est faite de l’acharnement stérile du parquet nantais », a indiqué Me Pierre Huriet, avocat des deux femmes.
L’action des activités activistes fait également le lien avec la lutte pour un monde plus juste, plus démocratique, plus égalitaire. Le mouvement international contre le changement climatique est coresponsable du passage à l’action de jeunes militant-e-s, comme par exemple ceux d’« Extinction Rebellion » qui au niveau international utilisent les moyens de la désobéissance civile pacifique pour lutter contre le changement climatique. XR d’Arlon a d’ailleurs rendu attentifs les citoyen-ne-s de la ville en créant des graffitis bien visibles dans l’espace public. Ils/elles veulent interpeller les politicien- n-es, favoriser l’activité à la base par la création de réunions de citoyen-n- es amené-e-s à se prononcer sur la question. Ne pas laisser les décisions aux seul-e-s politicien-ne-s, mais impliquer concrètement les concerné- e-s à formuler leurs revendications et à les réaliser. Loin de se contenter d’actions purement défensives, les occupants des ZAD tentent également de scénariser et de matérialiser le futur. Ils expérimentent des modes de vie et d’organisation sociale alternatifs, fondés sur l’habitat participatif, la permaculture et la démocratie directe. Ainsi, à Notre Dame des Landes, les occupant-e-s ont récemment signé des baux pour légaliser l’agriculture biologique qu’ils/elles pratiquent depuis deux ans déjà sur le site qui était destiné à l’aéroport. Pour ce faire, ils/elles ont aussi dû faire face à des fermes agricoles « traditionnelles » qui utilisent des pesticides. Préserver la biodiversité, sauver le climat, décarboner la production agricole, offrir du travail à profusion : à Notre-Dame-des-Landes, d’immenses défis sont saisis à bras le corps.
D’autres mouvements à la base influencent aussi le militantisme écologique. Devenu « fan » des gilets jaunes, Murdoch raconte : « Quand on agit, on se sent vivre. J’ai vécu ça en me sédentarisant ici sur la zad. Revoir ça fleurir chez les gilets jaunes, cela m’a vraiment ému. En plus, ils ne sont pas contraints par le cadre militant, cela leur donne une grande liberté, et beaucoup d’imagination.
La lutte des activistes écologistes d’aujourd’hui rejoint aussi celle de l’ASTM, qui a identifié le problème du changement climatique depuis plus de 25 ans. En 1995, le «Klimabündnis Letzebuerg» a été créé sous initiative de l’ASTM et du Mouvement écologique. S’y retrouvent 40 communes qui ont comme objectif la réduction des émissions de gaz de serre de 10% tous les cinq ans. Comme notre style de vie a des conséquences directes sur les peuples et des lieux menacés spécialement, le « Klimabündnis » veut lier l’action locale et la responsabilité globale. Le réseau favorise le partenariat avec les peuples indigènes, mène des campagnes pour augmenter la prise de conscience et développe des instruments pour la planification pour la protection climatique.
Pour l’instant, les activistes à Schoppach en appellent d’ailleurs à la solidarité des habitant-e-s et demandent leur soutien. La discussion avec Idelux, quoique cordiale, ne les a pas convaincu- e-s de quitter le site. Occupé-e-s à s’organiser et à s’équiper pour affronter les rigueurs de l’hiver, les militant-e-s écologistes lancent « un appel à des chantiers collectifs chaque week-end et à constituer des comités locaux de soutien en Belgique et ailleurs.» Le 29 novembre lors de la grève pour le climat, les activistes d’Arlon ont répondu présentEs.
Ensemble, nous allons refaire le monde !
Sources:
1 Républicain lorrain du 28 octobre 2019 2 https://hambacherforst.org/
3 https://www.facebook.com/ groups/204313240385214/
Au moment de la rédaction de cet article, la ZAD venait de recevoir un avis d‘expulsion dont la date exacte était encore inconnue.