Interview avec Michèle Schilt, directrice adjointe du Zentrum fir politesch. Bildung réalisée par Antoniya Argirova
Le Zentrum fir politesch Bildung est une fondation qui a pour but de promouvoir la citoyenneté à travers une meilleure compréhension de la démocratie et des défis sociétaux actuels.
L’exposition Den Demokratie Labo peut être visitée jusqu’au 9 mai 2021 à l’Abbaye de Neumünster. Ensuite, elle sera accueillie par les communes de Differdange, Echternach et Vianden. |
Le Zentrum fir politesch Bildung (ZpB) vient de lancer l’exposition Den Demokratie Labo. Pourriez-vous nous dire en quelques mots de quoi s’agit-il?
A travers cette exposition, nous voulons faire réfléchir, surprendre, irriter et pousser le public à se poser plein de questions afin qu’il se rende compte que la démocratie est partout, que c’est un système qui n’est pas destiné seulement à « ceux là-haut », mais qu’elle a un lien avec soi-même. Elle vise en particulier les jeunes à partir de 12-14 ans mais au final, c’est pour tout le monde. Il ne faut pas de préparation pour arriver ici. On peut venir en famille, entre copains, entre collègues de travail pour en discuter parce que l’échange, c’est le plus important. Ce qui compte c’est la réflexion sur ses propres opinions et surtout la confrontation avec l’opinion d’une autre personne.
Qu’est ce qui vous a motivés à lancer ce projet ?
C’est un projet qui date de longtemps et qui a été inspiré par une exposition similaire appelée « La fabrique de la démocratie » que nous avons vue à Bruxelles. Nous nous sommes dit : c’est génial de pouvoir toucher la démocratie, de l’avoir entre ses mains. Ce qui nous a convaincus, c’était vraiment cette autre approche très différente de la méthode scolaire ou académique classique. Le visiteur pose des questions, manipule des choses et se confronte à soi-même et aux autres.
L’exposition s’adresse également aux communes. Quel est le rôle des communes dans la promotion de la démocratie d’après vous ?
Nous pensons que la commune est essentielle parce que c’est la plus petite entité démocratique. Les gens ne s’en rendent souvent pas compte. Si on veut faire participer la population – Luxembourgeois ou résidents, enfants ou adultes – la commune, c’est vraiment le terrain pour le faire. Mais pour pouvoir participer, il faut d’abord connaître les possibilités pour le faire. Il y en a beaucoup mais les gens ne les voient pas toujours.
Avec ce projet, nous ne voulons pas seulement que les communes accueillent l’exposition mais qu’elles deviennent partenaires en développant une stratégie autour d’elle pour entrer en discussion avec les habitants. Pour nous, c’est le moyen d’entrer en contact avec les communes et aussi de leur faire comprendre le rôle qu’elles ont à jouer au niveau de la participation de la population. Souvent, beaucoup de communes sont gérées « en bon père de famille » et les réflexes participatifs ne sont pas toujours là, tout simplement parce qu’on ne sait pas comment faire. Cette exposition se veut en quelque sorte un kick off pour renforcer la participation citoyenne au niveau des communes.
Actuellement, vous travaillez essentiellement avec des acteurs éducatifs et des jeunes. D’après votre expérience, est-ce qu’il y a un intérêt de la part des jeunes de participer à des initiatives citoyennes ou politiques ?
Oui, absolument. Les jeunes peuvent se mobiliser pour quelque chose qui leur tient à cœur très fortement et de façon beaucoup plus idéologique que les adultes.
Par contre, ils n’ont pas envie de le faire avec les moyens de participation classiques comme par exemple s’engager au niveau de la section jeunesse d’un parti politique. L’engagement de longue durée les intéresse moins, ils sont plus susceptibles de s’engager de façon ponctuelle en signant une pétition ou en participant à une démonstration.
En fait, ce que nous constatons c’est qu’il faut fédérer les jeunes autour d’un sujet plutôt qu’autour d’un organisme. Et ils n’ont pas envie d’attendre trop longtemps, ils ont besoin de voir l’impact de leur engagement. Donc, il faut réfléchir à une stratégie sur comment on fait participer les jeunes de façon ponctuelle sur un sujet.
Les jeunes s’intéressent-ils aux enjeux globaux ?
Je pense que les jeunes sont très sensibles à tout genre d’inégalité. Leur engagement dépend de l’approche qu’on choisit pour les sensibiliser.
Souvent dans les écoles, on observe une approche plutôt caritative. Comprendre les enjeux globaux et faire le lien avec sa propre consommation est beaucoup plus compliqué. Mais en même temps, si on explique à un enfant de 6 ans que le T-shirt qu’il porte est fabriqué par un autre enfant, il comprend que ce n’est pas juste.
C’est vraiment important de faire le lien avec soi-même. Et c’est sur cela qu’il faut sensibiliser les enseignants qui travaillent avec ces jeunes car il faut une participation à la fois au niveau local et global. Par contre, pour devenir un acteur qui s’engage pour des enjeux globaux, il faut d’abord être acteur dans son propre monde. Si dans mon école, dans ma maison et dans ma maison de jeunesse, je n’ai rien à dire, comment saurai-je m’engager à une échelle internationale ? Le slogan du ZpB, c’est apprendre et vivre la démocratie. Donc, d’un côté, il y a bien sûr un aspect cognitif, mais de l’autre, c’est vraiment de l’art de faire. Il faut apprendre à revendiquer et ressentir à l’intérieur de soi qu’on a la capacité de provoquer un changement ou d’avoir un impact. Mais si on n’a jamais discuté avec sa famille, ses camarades de classe, sa maîtresse, comment discuter avec un politicien? Donc, pour nous, c’est vraiment un processus qu’il faut vivre au quotidien.
Nous sommes actuellement dans la troisième vague de la pandémie. Quelle est votre analyse de l’impact de la pandémie sur la démocratie?
La pandémie a bien évidemment un impact sur la démocratie. D’un côté, il y a beaucoup de droits qui sont mis en « stand by » et il faut que nous soyons très vigilants à ne pas perdre nos réflexes démocratiques. Au Luxembourg, nous avons la chance que les députés partagent cet avis. Mais nous avons tous un devoir de vigilance là-dessus. Nous n’avons pas le droit de nous rassembler ou d’une façon limitée. Nous n’avons pas le droit d’aller où nous voulons. Nous sommes isolés. Tous ces éléments ont un impact sur la démocratie. Quand on ne peut pas voir les autres, c’est plus difficile de se fédérer.
Puis, une autre conséquence de la pandémie c’est que cette crise domine toute l’actualité politique. Nous avons tendance à oublier les autres problèmes: la prochaine crise est juste à côté, il y aura une crise économique, qui engendra probablement une crise sociale. Et puis, il y a bien sûr toute la problématique du défi climatique qui est mise un peu à l’écart.
Une des conséquences de cette pandémie fut l’augmentation de la digitalisation de notre société. La digitalisation est-elle une opportunité ou une menace pour notre société ?
C’est les deux. Les questions qui se posent autour de la digitalisation sont des questions tout à fait analogiques. Combien de liberté est-ce que je veux? Combien de droits est-ce que je suis prêt à sacrifier pour avoir plus de commodité? Il existe aujourd’hui des algorithmes couplés avec l’intelligence artificielle qui peuvent surveiller et analyser nos activités sur l’internet. Dans ce contexte, la question de la vie privée est fondamentale. Pourquoi c’est important de protéger la vie privée ? Parce qu’il faut un espace où chacun peut forger sa propre opinion. Si nous ne disposons plus de cet espace privé pour réfléchir, il n’y aura plus de diversité d’opinions, il n’y aura plus de confrontation d’idées, et donc il n’y aura plus de démocratie. C’est ça le plus dangereux. Si on veut parler de menace, c’est l’utilisation de l’algorithme pour influencer nos pensées.
Et d’un autre côté, la digitalisation c’est aussi une opportunité. Comment aurions-nous pu fonctionner l’année dernière sans le télétravail? Du point de vue médical, nous pouvons grâce à la digitalisation, consulter un médecin à distance. Ce sont des atouts. De toute façon, nous ne voulons pas jouer le moralisateur. Ayons juste conscience que si nous téléchargeons une application qui ne coûte rien, elle nous coûte nos données personnelles.
Isolées chez elles, de plus en plus de personnes se tournent vers les réseaux sociaux pour rester en contact et échanger avec les autres. Les réseaux sociaux facilitent-ils véritablement l’échange ?
Je pense que la discussion via les réseaux sociaux est très difficile. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de vrais échanges, mais si on veut vraiment discuter, il faut déjà montrer son visage. Puis, pour pouvoir discuter, il faut aussi avoir la volonté d’écouter l’autre. Et sur les réseaux sociaux, en général, ce n’est pas le cas. Sur les réseaux sociaux, on a tendance à camper sur son opinion et vouloir persuader l’autre. C’est pour cela par exemple que nous n’utilisons pas le terme débat. Le débat, c’est pour convaincre l’autre. Moi, je préfère utiliser le terme « discussion » parce que la discussion c’est autour d’un sujet. Dans ce cas, c’est le sujet qui est au centre et pas les positions.