Interview avec Cristina Palabay, secrétaire générale de l’organisation Karapatan aux Philippines –
Cristina Palabay, également connue sous le nom de Tinay, est une militante et une féministe engagée. Palabay est une militante politique depuis l’époque où elle était étudiante à l’Université des Philippines, d’abord en tant que secrétaire générale de l’Alliance nationale des conseils étudiants de l’Université des Philippines, puis présidente nationale de l’Union nationale des étudiants des Philippines. Elle a été fondatrice et, plus tard, secrétaire générale du Gabriela Women’s Party, un parti politique militant pour les droits des femmes. Palabay a contribué à la fondation de Tanggol Bayi, un réseau national et une association de femmes défenseures des droits humains aux Philippines pour faire avancer les droits des femmes. Palabay est également l’organisatrice de plusieurs plateformes de plaidoyer axées sur les droits des femmes, telles que l’APWLD (Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement). Elle est membre du conseil d’administration de Kapederasyon, une organisation de lesbiennes, de gays, de bisexuels et de transgenres aux Philippines, car elle est également une militante lesbienne.
Depuis 2010, elle est secrétaire générale de Karapatan, une alliance nationale d’organisations, de bureaux et d’individus œuvrant pour la promotion et la protection des droits humains aux Philippines. En tant que porte-parole et représentante de cette alliance, elle a participé à de nombreuses réactions rapides et missions d’enquête pour documenter et enquêter sur les violations des droits humains, mener des activités de plaidoyer et diriger des actions de masse. Elle a également fourni une assistance juridique aux victimes et déposé des dossiers et des plaintes auprès des tribunaux. Elle a mené des actions de lobbying en vue de la promulgation de diverses législations sur les droits humains, telles que le projet de loi sur la protection des défenseurs des droits humains. |
1 – Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être une femme défenseure des droits humains ?
Être un défenseur des droits humains et une femme signifie avoir une perspective intersectionnelle sur les causes profondes des problèmes sociaux et un cadre global pour transformer les situations qui portent atteinte aux droits humains et aux droits des femmes.
Pour moi, il s’agit aussi de devoir apprendre et réapprendre le courage, d’oser affronter, défier et perturber les récits féodaux sur les femmes, de prendre des risques pour sauver des vies, de renforcer la résilience pour continuer à lutter et de braver des chemins inexplorés pour oser construire une société meilleure.
2 – De votre point de vue, quelles sont les luttes (sociales, économiques, politiques, environnementales, institutionnelles, etc.) auxquelles sont confrontées les femmes défenseures des droits humains et qui sont spécifiques aux femmes ?
Les femmes continuent de faire face à de multiples fardeaux en raison de leur sexe et de leur genre. Nous continuons à être considérées et traitées comme des marchandises ou des biens, comme des citoyens de seconde classe et comme des dommages collatéraux. Pendant les crises, les femmes supportent le fardeau de la détresse économique en assumant des rôles multiples comme les soins et le travail domestiques ou en étant confrontées au chômage ou au sous-emploi, tandis que l’accès aux services de santé, y compris la santé reproductive, reste gravement sous-priorisé. De même, les femmes sont sous-représentées dans les structures de prise de décision, de politique et de gouvernance formelles ou informelles. Parfois, les femmes sont mal représentées car leurs intérêts et leurs droits ne sont pas défendus dans ces structures. Nous continuons à être confrontées à la discrimination et à l’inégalité, et nous sommes les victimes de la violence sexiste. Ces luttes sont spécifiques aux femmes défenseures des droits humains.
Je reçois tous les jours des menaces de mort et de viol par SMS sur mon téléphone portable et sur mes comptes en ligne. Je fais également l’objet de harcèlement judiciaire. Les menaces que j’ai reçues étaient accompagnées de menaces de violence à caractère sexuel, qui visent à déshumaniser une personne et à la décourager de travailler en tant que femme défenseure des droits humains.
3 – Quelle a été l’évolution dans votre pays pour les femmes défenseures des droits humains ?
Le mouvement des femmes et la défense des droits humains aux Philippines ont remporté d’énormes victoires en faisant avancer les législations qui criminalisent le viol, le harcèlement sexuel, la traite et d’autres formes de violence contre les femmes et les enfants. Nous disposons également d’une Magna Carta des femmes, qui consacre les droits des femmes, y compris le droit à la participation publique, ainsi que l’intégration de la dimension de genre dans les politiques de développement. Néanmoins, outre leur mauvaise application, ces lois et politiques restent incapables de s’attaquer aux causes profondes de l’oppression des femmes. Ces mesures sont donc plutôt considérées comme des gestes symboliques.
Les femmes défenseures des droits humains ne sont toujours pas reconnues en tant que telles et font l’objet de violences de la part de l’État, notamment d’assassinats, d’arrestations et de détentions arbitraires, de disparitions forcées, de dénigrement et de diffamation, de menaces de mort et de viol et d’autres formes de violence fondée sur le genre. Ce traitement est largement perçu comme ayant des liens avec le langage misogyne et la rhétorique et les politiques néfastes promues contre les défenseurs des droits humains par les personnes au pouvoir.
Au fil des années, Palabay n’a cessé de défendre les droits humains et les libertés fondamentales. Elle a courageusement publié des communiqués de presse, pris la parole dans des forums publics, mobilisé pour des manifestations, fait pression sur les organismes régionaux et internationaux de défense des droits humains pour dénoncer les violations des droits humains commises par le gouvernement.
En raison de son travail, Palabay est constamment confrontée à des situations dangereuses, allant du red-tagging aux menaces de mort et de viol en ligne, et ceci presque quotidiennement. Palabay a fait l’objet d’un harcèlement judiciaire de la part du conseiller à la sécurité nationale du gouvernement. Elle a fait l’objet d’un mandat d’arrêt après avoir dénoncé les violations des droits humains commises par le gouvernement de Duterte lors du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève en mars 2020. Après être rentrée saine et sauve aux Philippines, Palabay a payé une caution. Au cours des quatre dernières années, 13 défenseurs des droits humains de Karapatan ont été tués. Aucune de ces affaires n’a été poursuivie et encore moins résolue. Zara Alvarez, une amie chère à Palabay, a été tuée en août 2020. Ce qui dérange le plus Palabay, ce ne sont pas les menaces de mort et de viol, la surveillance et le harcèlement judiciaire, mais les meurtres de personnes aimables. Palabay pleure toujours la mort d’Alvarez. Pour faire face à ces risques, elle met en place des protocoles de sécurité, comme emprunter constamment des itinéraires et des moyens de transport différents, ou encore travailler et dormir dans des endroits différents. En outre, Karapatan signale les violations aux entreprises de médias sociaux et organise des formations sur la sécurité numérique à l’intention des défenseurs des droits de l’homme. Enfin, et surtout, ils organisent des séances de soutien psychosocial. |
4 – Quels sont les obstacles pour obtenir de la solidarité en vue d’une justice de genre envers les femmes défenseures des droits humains ?
Les structures patriarcales profondément enracinées restent le principal obstacle à la solidarité pour une justice entre les femmes et hommes défenseurs des droits de l’homme. Ce que les femmes défenseures des droits humains réclament, c’est une solidarité qui encourage à analyser et à traiter de manière exhaustive les causes profondes de l’oppression des femmes en transformant les conditions concrètes qui mènent à ces violations contre les femmes défenseures des droits humains.
5 – Selon vous, existe-t-il un lien entre la justice environnementale, la justice sociale et la lutte pour une justice spécifique aux femmes ?
La lutte des femmes pour la justice est inextricablement liée à la lutte pour la justice environnementale et sociale, car les causes profondes de la dégradation de l’environnement, de la pauvreté et de l’inégalité font partie des causes profondes de l’oppression des femmes.
6 – Quel conseil donneriez-vous à la prochaine génération de femmes défenseures des droits de l’homme ?
À la prochaine génération de femmes défenseures des droits humains: Votre avenir est entre vos mains. Vous avez le pouvoir de définir un monde meilleur en luttant pour la justice de genre, la justice sociale et environnementale. Je vous enjoins de mener cette lutte difficile, périlleuse mais belle et éclairante pour la dignité et la liberté.
Malgré les risques qu’elle encourt, Mme Palabay poursuit sans relâche son activisme. Elle aspire à une société juste et humaine aux Philippines et partout ailleurs. Même s’il s’agit d’un grand rêve, elle ne cessera d’y aspirer et d’y travailler. Elle espère que, même si elle ne le voit pas de son vivant, son travail et sa façon de faire contribueront à la société des générations futures. |
Informations complémentaires sur les associations et sur Tinay Palabay :
- Cristina Palabay sur twitter, https://twitter.com/tinaypalabay
- Cristina Palabay sur Instagram, https://www.instagram.com/tinaypalabay/
- Cristina Palabay vidéo courte, Septembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=ZFvL6jFUQw8
- Cristina Palabay vidéo courte, Janvier 2021, https://www.youtube.com/watch?v=_vhaOL09M7Y
- Site internet de Tanggol Bayi (le nom se traduit approximativement par « femme qui défend »), https://tanggolbayi.wordpress.com/
- Site internet de Karapatan, https://www.karapatan.org/
- Site internet du APWLD, Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement, https://apwld.org/
- Profile de Cristina Palabay chez Frontline Defenders, https://www.frontlinedefenders.org/en/profile/cristina-tinay-palabay
- #UrgentAlert PHILLIPINES / Solidarité avec Cristina Palabay, criminalisée pour avoir défendu les droits de l’homme, Mars 2020, http://im-defensoras.org/2020/03/urgentalert-phillipines-solidarity-with-cristina-palabay-criminalized-for-defending-human-rights/
- Cristina Palabay: « Je reçois des menaces de mort et de viol tous les jours », Janvier 2021. https://www.qurium.org/fighters/cristina-palabay-i-experience-death-and-rape-threats-on-a-daily-basis/
- Publication avec Cristina Palabay comme éditrice, Speak and Be heard: APWLD Guide to Women’s Tribunals https://apwld.org/wp-content/uploads/2016/09/2016_Guide_to_womens_tribunal.pdf