Anne Müller –

Au départ était l’association Action pour la Formation de Cadres (AFC), entretemps rebaptisée Action Solidarité Tiers Monde (ASTM), constituée en 1969 autour d’un groupe de jeunes étudiant·e·s pour promouvoir une meilleure compréhension des problèmes des pays en voie de développement et stimuler l’aide active en leur faveur, notamment par le soutien de projets de solidarité réalisés auprès des communautés bénéficiaires directement concernées en Afrique, Asie et Amérique latine. En parallèle, la conscience de la nécessité de sensibiliser la population luxembourgeoise aux mécanismes de domination caractérisant les relations Nord-Sud était également bien ancrée dans l’esprit des fondateur·trice·s de l’asbl. La revue Brennpunkt Drëtt Welt voit ainsi le jour en 1973 et l’association enrichit petit à petit sa documentation, qu’il s’agisse d’ouvrages spécialisés ou de fiches thématiques rédigées par les bénévoles.

C’est alors, au début des années 1980, que germe l’idée de partager avec le grand public ces riches sources d’information patiemment constituées. La bibliothèque CITIM a ouvert ses portes en octobre 1982, grâce à un soutien financier des « Communautés européennes ». Avec cette nouvelle activité et l’apport de fonds publics venant compléter les dons privés, l’ASTM entame lentement sa professionnalisation.

Aujourd’hui, grâce notamment à un financement public à 100% (Direction de la coopération au développement du Ministère des Affaires étrangères et européennes – MAEE), le Centre de documentation est devenu, avec ses plus de 10.000 titres (livres, magazines, DVD, en français, anglais et allemand), un lieu de référence reconnu et intégré au réseau national des bibliothèques, ouvert à tous les publics, adultes, jeunes et enfants. Ses salles sont utilisées par de multiples associations, ONG de développement, associations locales et groupements informels ; des activités sociales, culturelles et littéraires s’y tiennent régulièrement.

Ces dernières années, des difficultés spécifiques sont cependant venues perturber le fonctionnement du CITIM : son déménagement « forcé » de locaux relativement spacieux et ayant pignon sur rue, vers un immeuble plus étriqué et moins bien localisé et, bien entendu, les conséquences de la pandémie (fermeture, limitation de l’accès à la bibliothèque et aux salles, organisation du travail rendue compliquée, accélération du phénomène de lecture digitale, etc.).

Une bibliothèque digitale 

La numérisation est sur toutes les lèvres et la pandémie a souligné davantage l’importance des offres numériques lorsque l’accès physique n’est pas possible, même si elles ne peuvent pas remplacer, à long terme, l’échange et le contact direct. L’omniprésence d’informations digitales et leur accès facile et rapide donnent l’impression que la mise en place d’une offre de bibliothèque numérique serait relativement simple. Toutefois, les défis sont considérables, en particulier pour les petites bibliothèques spécialisées comme le CITIM : les ouvrages électroniques ne sont pas simplement achetés sous forme de copies numériques, mais doivent être négociés avec les grands fournisseurs ou les éditeurs eux-mêmes, ce qui nécessite non seulement un investissement en temps plus important, mais également un engagement financier annuel élevé, ce qui peut s’avérer difficile pour certaines institutions de petite taille. Au Luxembourg, un consortium de 10 bibliothèques publiques s’est déjà constitué pour répondre à ces défis. La Bibliothèque nationale du Luxembourg offre également un soutien technique aux bibliothèques en les conseillant et en les aidant dans le processus de négociation. L’avenir montrera dans quelle mesure il sera possible de trouver une offre dont le rapport coût/bénéfice est justifié.

Une bibliothèque vivante 

Dans un monde numérisé en constante évolution, où la plupart des informations sont accessibles à tout moment et de partout, une bibliothèque dont l’offre se limite à la consultation et à l’emprunt de livres et de revues n’est plus adaptée. C’est pourquoi, depuis toujours, le CITIM ne se considère pas seulement comme une bibliothèque, mais aussi et surtout comme un centre d’information, de documentation et de recherche : un lieu physique de rencontre humaine où s’ouvrent des fenêtres sur un monde plus solidaire, que ce soit au niveau local, régional ou international. L’objectif est également d’être ancré dans notre quartier. Ainsi, le CITIM s’inspire de bibliothèques alternatives qui vont à la rencontre des habitants et leur donnent la possibilité d’élargir leurs horizons et d’appliquer directement leurs connaissances, le tout dans une atmosphère détendue. Le centre d’information propose également différentes salles gratuites pour des réunions ou des événements associatifs.

Depuis que le CITIM a été contraint de quitter ses locaux de l’avenue de la Liberté, très fréquentée, de nouveaux défis se sont présentés. En raison de l’espace limité dans les nouveaux locaux, le CITIM n’est plus en mesure de proposer certaines de ses offres ou seulement de manière limitée, pourtant indispensables à sa mission. En outre, en raison de la situation moins centrale des nouveaux locaux, la bibliothèque est moins accessible au passage. La situation actuelle des prix de l’immobilier ne permet plus, pour une association comme la nôtre, d’établir son centre d’information dans un espace spacieux et situé de manière centrale et accessible. Sans soutien public spécifique, des bibliothèques comme le CITIM seront de plus en plus marginalisées, poussées vers des lieux à l’écart et donc incapables de remplir leur mission d’institution publique.

Défis futurs d’une bibliothèque publique 

Si le Centre d’Information Tiers Monde est aujourd’hui subventionné à 100% par le ministère des Affaires étrangères et européennes, il faut savoir que l’enveloppe qui lui est réservée est plafonnée. Or, les développements nécessaires décrits ci-dessus nécessitent des financements supplémentaires spécifiques qui sont bien du ressort de la loi sur les bibliothèques, car elles touchent à la société de la connaissance visée par cette loi. Les plus de 10.000 titres en gestion ont tous un rapport, proche ou éloigné, avec les relations Nord-Sud. Pour autant, le CITIM n’est pas un centre réservé aux chercheur·euse·s et aux spécialistes. Son offre comporte des romans, des revues de vulgarisation, des bandes dessinées et une large palette de dossiers et outils pédagogiques. En ce sens, la bibliothèque est un lieu qui est ouvert sur son quartier, sur les écoles, ainsi que sur les communautés locales. De par sa spécialisation, elle a une vocation nationale et internationale. Mais elle peut aussi, c’est à tout le moins notre souhait, contribuer à la vie sociale de la ville, dans une perspective d’ouverture sur les cultures et de sensibilisation aux questions de justice sociale et climatique.

Cette vision ambitieuse du CITIM de demain, bibliothèque 2.0 vivante suppose un dispositif législatif, réglementaire et financier adapté. En vue de la réforme de la loi du 24 juin 2010 sur les bibliothèques publiques, le ministère de la Culture a initié une consultation publique dont l’objectif est défini comme suit : « récolter les expériences vécues, les limites constatées et les obstacles rencontrés dans la gestion est l’utilisation des bibliothèques ainsi que les pistes et idées d’amélioration relatives à un projet de loi adapté. Seront également pris en considération les retours que les bibliothèques reçoivent régulièrement de leurs lecteurs/lectrices ». Le CITIM salue l’ouverture du ministère de la Culture quant aux désidératas du secteur des bibliothèques associatives et l’encourage à proposer une réforme de la loi de 2010 qui tienne compte de ses besoins et défis, afin que des institutions publiques comme le CITIM puissent continuer à être un lieu vivant de rencontres, de formation et d’échanges, essentiel à notre société.