Sarojeni Rengam, Razan Zuayter, Sylvia Mallari – Alors que la maladie du coronavirus 2019 (COVID-19) continue de faire des ravages sur des milliers de vies à travers le monde, les responsables des réseaux Pesticides Action Network Asia Pacific (PANAP) et People’s Coalition on Food Sovereignty (PCFS), dont certains partenaires de l’ASTM sont membres, ont appelé les gouvernements à déployer tous les efforts pour assurer la sécurité alimentaire de la population, en particulier celle des personnes les plus vulnérables comme les populations rurales. Elles demandent également que les initiatives visant à surveiller et à tester d’éventuelles infections de coronavirus soient mises à la disposition des personnes des collectivités rurales et qu’un traitement soit fourni aux personnes en temps opportun. Elles notent que si le nouveau coronavirus pourrait avoir un impact sur tout le monde, les effets de la pandémie sont beaucoup plus amplifiés pour les pauvres. Enfin, elles mettent en garde contre l’utilisation de la crise actuelle de santé publique pour légitimer une plus grande répression étatique des droits fondamentaux du peuple.

Protéger la sécurité alimentaire contre les attaques spéculatives au milieu d’une pandémie

Les deux réseaux sont profondément préoccupés par le fait que la pandémie de COVID-19 crée des conditions propices à une flambée potentielle des prix des denrées alimentaires qui aggraverait la situation déjà diificile à laquelle sont confrontés un nombre croissant de pays et de peuples dans le monde. Il y a actuellement des spéculations accrues sur l’éventuel impact de l’épidémie de virus sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, la production et le commerce, y compris une récession possible. La peur pèse déjà sur les principaux marchés financiers tels que le Dow Jones, le NASDAQ et le S&P 500, avec des baisses quotidiennes et hebdomadaires équivalentes à celles observées lors de l’effondrement financier et économique mondial de 2008.

Les organisations craignent notamment que les spéculateurs pourraient couvrir leurs pertes en actions volatiles (des investissements risqués avec des profits plus élevés), comme par exemple dans les nouvelles technologies, par des produits alimentaires de base. Lors de la « Grande récession » il y a plus de dix ans, les prix des denrées alimentaires ont atteint des niveaux sans précédent. La spéculation massive peut déclencher des hausses spectaculaires des prix des denrées alimentaires. Suite aux fermetures d’usines ainsi qu’aux confinements et aux restrictions de voyage qui entravent la mobilité de la main-d’œuvre et des biens afin de tenter de freiner la propagation effrénée du nouveau coronavirus, l’offre et les prix des denrées alimentaires et des produits agricoles sont vulnérables à l’assaut des capitaux spéculatifs, avec des conséquences énormes pour les pauvres.

En Chine, on craint que la saison de plantation, qui doit commencer ce mois-ci, ne soit affectée par la crise COVID-19. Une saison de plantation manquée ou retardée pourrait signifier un déficit de production, une diminution de l’offre intérieure pour répondre à la demande et par la suite, une pression potentiellement plus forte sur les marchés alimentaires mondiaux. Actuellement, la Chine est le deuxième importateur mondial de denrées alimentaires, derrière les États-Unis, qui subissent eux aussi les conséquences de la propagation rapide du nouveau coronavirus. Il en va de même pour les autres principaux pays importateurs de denrées alimentaires dans le monde où le nombre de cas de COVID-19 est le plus élevé, comme l’Italie, l’Allemagne, la France et le Japon. Il n’est pas encore certain que la production et l’approvisionnement alimentaires soient réellement affectés, mais les spéculateurs, n’ont besoin que d’un soupçon d’incertitude pour s’attaquer à leur proie.

En outre, aux niveaux national et local, la situation d’anxiété est favorable aux commerçants profiteurs qui accumulent des denrées alimentaires et des produits de base pour faire monter artificiellement les prix. Cette situation est encore aggravée par l’achat de denrées alimentaires dans la panique par ceux qui en ont les moyens. Les consommateurs pauvres, y compris ceux qui produisent directement des aliments mais qui ont à peine de quoi acheter ne serait-ce que pour subvenir à leurs besoins alimentaires quotidiens, sont laissés à eux-mêmes pour souffrir d’une faim encore plus grande.

PANAP et PCFS appellent ainsi les gouvernements et les régulateurs à s’attaquer de manière proactive à la possibilité très réelle d’une flambée des prix des denrées alimentaires due à la spéculation et à la thésaurisation pure et simple, alors que nous sommes confrontés à cette grave crise de santé publique. Il est nécessaire d’inverser les politiques néolibérales en matière d’alimentation et d’agriculture qui ont considérablement affaibli, voire totalement éliminé, le pouvoir souverain de l’État d’assurer la sécurité alimentaire de la population, notamment en ce qui concerne les politiques de régulation en matière de commerce et de prix, ainsi que le soutien à la production pour les producteurs alimentaires directs, en particulier les petits agriculteurs. En cette période de pandémie mondiale, les gouvernements doivent disposer des pouvoirs nécessaires et efficaces pour protéger la sécurité alimentaire de la population contre les attaques spéculatives mondiales et les pratiques illicites des commerçants et des cartels locaux.

Protéger les populations rurales contre l’infection par le coronavirus

En attendant, l’accès des populations rurales à la surveillance et au diagnostic des nouvelles infections avec le coronavirus devrait également être assuré par les fonctionnaires et les autorités sanitaires. À l’heure actuelle, cette surveillance et ces tests semblent se concentrer principalement dans les centres urbains. Mais à mesure que l’épidémie atteint des proportions pandémiques et que la transmission interhumaine locale se répand, le système de santé publique devrait être renforcé pour permettre la surveillance de la propagation de la COVID-19 dans les zones rurales et fournir un traitement en temps utile.

Les populations rurales – les plus pauvres des pauvres – sont plus vulnérables car elles n’ont pas accès aux services sociaux et à la protection de base, y compris pour les soins de santé et l’intervention médicale. La plupart d’entre elles n’ont pas de sources de revenu stables et fiables. Alors que de nombreux gouvernements réduisent les budgets publics pour la santé et ferment des hôpitaux publics en favorisant la privatisation néolibérale des services de santé, les populations rurales se retrouvent particulièrement sans défense contre les flambées de maladies. En fait, même avant et sans le COVID-19, de nombreuses personnes dans les zones rurales meurent déjà de maladies évitables et curables. C’est la réalité, même dans les plus grands pays industriels comme les États-Unis; et évidemment bien pire dans les économies arriérées.

Protéger les droits des personnes en tout temps

Enfin PANAP et PCFS rappellent qu ‘il faut tenir dûment compte et respecter à tout moment les droits économiques, sociaux, culturels, politiques et civils des populations lors de la conception et de la mise en œuvre des diverses mesures visant à contenir la propagation du nouveau coronavirus. Elles mettent en garde contre les efforts des régimes autoritaires qui utilisent le COVID-19 pour légitimer et introduire des actions et des politiques plus répressives à l’encontre de la population.

Au lieu du déploiement gratuit et massif de forces policières et militaires pour soi-disant imposer la paix et l’ordre, les organisations appellent les gouvernements à déployer davantage d’agents de santé, notamment en mobilisant des agents de santé communautaires et des bénévoles, pour lutter contre la COVID-19 par la surveillance, le diagnostic et le traitement. Pour ce faire, il faut que l’État consacre davantage de ressources au secteur de la santé publique et fasse respecter le droit des populations à la santé.

Les secteurs vulnérables de la société, notamment les salariés ordinaires, les agriculteurs et les travailleurs agricoles, dont les revenus et les moyens de subsistance sont affectés par la pandémie, devraient recevoir une aide gouvernementale suffisante et fiable qui les aiderait à réaliser leur droit à une vie décente même en pleine crise.

La nouvelle pandémie de coronavirus met en évidence le rôle central que le secteur public doit jouer pour garantir la protection des droits des personnes. Malheureusement, ce mandat a été érodé de manière systématique par le néolibéralisme. Ainsi, alors que les responsables de PANAP et PCFS affirment l’urgence de protéger le droit des populations à l’alimentation, à la santé, aux moyens de subsistance, etc. dans le contexte de la crise, elles réitèrent l’appel selon lequel les réformes néolibérales qui ont longtemps miné le secteur public doivent être immédiatement inversées.

 

Le texte original en anglais est disponible ici:https://panap.net/2020/03/on-the-covid-19-crisis-and-the-peoples-right-to-food-health-livelihood/

English text available here:https://panap.net/2020/03/on-the-covid-19-crisis-and-the-peoples-right-to-food-health-livelihood/

PAN Asia Pacific (PANAP) est un réseau régional basé à Penang, en Malaisie. Il compte plus de 100 organisations partenaires dans toute la région. Parmi ses activités de plaidoyer figurent la promotion de la souveraineté alimentaire et l’affirmation des droits des populations à la terre et aux moyens de subsistance.

La Coalition populaire pour la souveraineté alimentaire (PCFS) est un réseau mondial de divers groupes de base de petits producteurs alimentaires, en particulier des organisations de paysans et des ONG qui les soutiennent, qui travaillent à l’élaboration d’une Convention populaire sur la souveraineté alimentaire.