Antoni Montserrat Moliner – Ces 50 dernières années, les activités humaines, avec en particulier l’utilisation des combustibles fossiles, ont rejeté des quantités suffisantes de dioxyde de carbone CO2 et d’autres gaz à effet de serre pour retenir davantage de chaleur dans les couches basses de l’atmosphère et avoir une incidence sur le climat mondial.
Au cours des 130 dernières années, la température a augmenté d’environ 0,85°C dans le monde. Ces 25 dernières années, le rythme s’est accéléré et on est à plus de 0,18°C de réchauffement par décennie[1]. Le changement climatique est en train de devenir le plus grand défi sanitaire du XXIe siècle. Aujourd’hui, près d’un tiers de la population mondiale fait face à des pics de chaleurs pendant au moins 20 jours par an. D’ici 2100, cette proportion pourrait grimper à 70 % de la population si rien n’est fait pour limiter le réchauffement climatique. Les vagues de chaleur exacerbent les insuffisances cardio-vasculaires, provoquent insolations, déshydratations et maladies rénales et même la mort[2].
Aujourd’hui, près de la moitié de la population mondiale ne bénéficie pas d’une couverture complète des services de santé essentiels. Selon l’OMS, 100 millions de personnes sombrent chaque année dans la pauvreté extrême à cause des dépenses de santé laissées à leur charge[3].
Pour renforcer l’accès aux soins de santé, l’Organisation des Nations Unies s’est fixé pour objectif de parvenir à une couverture universelle des soins de santé (CSU) dans le cadre de ses objectifs de développement durable d’ici 2030. Mais la santé et le bien-être sont également soumis à d’autres facteurs de risque, tels que les changements climatiques qui perturbent les avantages sanitaires et financiers que la CSU peut offrir. Les soins de santé universels pourraient jouer un rôle important dans la création d’une «résilience sanitaire» face aux changements climatiques.
Dans le monde, le nombre des catastrophes naturelles liées à la météorologie a plus que triplé depuis les années 1960. Chaque année, ces catastrophes ont provoqué plus de 60 000 décès, principalement dans les pays en développement. L’élévation du niveau des mers et le nombre croissant d’événements climatiques extrêmes détruiront des logements, des établissements médicaux et d’autres services essentiels. Plus de la moitié de la population mondiale vit à moins de 60 km de la mer. Les populations seront contraintes de se déplacer, ce qui renforcera divers risques sanitaires, allant des troubles de la santé mentale aux maladies transmissibles.
Les urbains sont particulièrement vulnérables à cause des «effets d’ilots de chaleur urbaine» conduisant à des températures plus élevées dans les centres urbains plutôt que dans les campagnes environnantes. Les plus âgés, les enfants, les personnes atteintes de maladies chroniques, qui travaillent à l’extérieur, qui habitent dans logements précaires et manquent d’accès aux infrastructures et services de base, sont plus sujets aux maladies liées à la chaleur voire à la mort.
Dans un contexte d’urbanisation croissante, la question des vagues de chaleur en milieu urbain devient essentielle en santé publique. Joy Shumake-Guillemot, médecin et coprésidente du Réseau mondial d’information sur la chaleur et la santé (GHHIN)[4] au bureau santé et climat de l’OMS, précise que ces vagues sont définies sur la base de la climatologie de la région. Mondialement, il est observé que chaque événement de ce type est de plus en plus chaud et dure plus longtemps : les villes se réchauffent de plus en plus vite. L’humidité amplifie l’influence des hautes températures (de nombreux centres urbains sont situés dans des régions tropicales ou subtropicales et sur les côtes) ; la végétation a été remplacée par du ciment, du métal, du verre, de l’asphalte, autant d’éléments qui collectent la chaleur au lieu de la disperser. Dès lors, les villes génèrent elles-mêmes de la chaleur (trafic, voitures, moteurs) qui ne se dissipe pas, d’autant plus en cas de brouillards, de pollutions localisés qui provoquent et accentuent des mini-effets de serre[5].
Le changement climatique a déjà provoqué un accroissement du nombre de vagues de chaleur. En 2017, 157 millions de personnes supplémentaires ont été exposées à des événements caniculaires comparé à l’année 2000, selon la dernière édition du Rapport 2017 du «Compte à rebours santé et changement climatique» du Lancet[6], revue médicale britannique de référence.
Ainsi, les populations vulnérables, notamment les adultes de plus de 65 ans, sont exposées au stress thermique, ce qui augmente leur risque de développer des maladies cardio-vasculaires et rénales. Plus largement, les aléas climatiques touchent actuellement 27 attributs de la santé humaine (mortalité, morbidité, blessures, malnutrition ou encore espérance de vie), selon une large recension parue dans Nature Climate Change en novembre 2018[7].
Parmi ces attributs observés : les décès qui apparaissent associés avec des multiples dommages physiologiques comme l’hyperthermie pendant les canicules (un total de 780 événements ayant entrainé un excès de mortalité ont été reportés entre 1980 et 2014), les inondations, les famines. La perte de la couverture terrestre naturelle a nui à la protection côtière, ce qui a probablement contribué à l’augmentation de la mortalité pendant les tempêtes et les inondations et les changements dans les précipitations et la chimie des océans ont causé des morts humaines par une transmission accrue de maladies pathogènes
En augmentant la pertinence de l’habitat des agents pathogènes et des vecteurs, les changements de réchauffement et de précipitations ont contribué aux épidémies de paludisme, de diarrhée, de dengue, de salmonellose, de choléra, de leptospirose, de fièvre de la langue bleue et de campylobactériose. De même, le réchauffement a facilité l’expansion de l’aire de répartition des vecteurs impliqués dans les flambées de peste transmises par les rongeurs, le virus du Nil occidental par les oiseaux, la schistosomiase par les escargots et l’encéphalite par les tiques. La fragmentation des forêts a augmenté la densité des tiques près des gens déclenchant des flambées de la maladie de Lyme et de l’encéphalite, les incendies ont conduit les chauves-souris fruitières plus près des villes provoquant des flambées de virus Hendra et Nipah, et la fonte des glaces dues au réchauffement a forcé des campagnols à trouver un abri dans les maisons augmentant les infections de hantavirus. Les risques climatiques altèrent également la santé mentale: des dépressions et des stress post-traumatiques ont été recensés après des tempêtes aux Etats-Unis, comme l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005.
Malgré une menace qui se dessine de plus en plus nettement, les systèmes de santé ne sont pas suffisamment adaptés. Dans plus de la moitié des 478 villes ayant participé à l’étude publiée dans The Lancet[8], on s’attendait à ce que le changement climatique compromette sérieusement les infrastructures de santé, soit directement, en raison d’inondations ou de tempêtes qui les rendraient inopérantes, soit indirectement, en augmentant le nombre de patients à traiter. Pourtant, seulement 22 % des hôpitaux et 20 % des centres de soins ont mis en place des plans pour répondre à ce défi, selon l’enquête. Par ailleurs, le secteur de la santé représente moins de 5 % des dépenses consacrées aux mesures d’adaptation au réchauffement.
« Les enfants sont particulièrement vulnérables aux risques sanitaires liés aux changements climatiques. Leur corps et leur système immunitaire sont encore en train de se développer, ce qui les rend plus vulnérables aux maladies et aux polluants« , fait valoir le Dr Watts, de l’Institut pour la santé mondiale de l’université de Londres[9]. Selon le rapport de The Lancet, les nouveau-nés et les enfants en bas âge seront les premiers à souffrir des effets du réchauffement climatique, notamment en raison de l’explosion des maladies infectieuses et ce, quel que soit l’endroit du globe où ils viendront au monde. Outre la malnutrition, les enfants sont également menacés par la prolifération de la bactérie vibrio, responsable du choléra et de la plupart des maladies diarrhéiques. La dégradation de la qualité de l’air aura également un impact direct sur la santé des enfants dont les poumons sont en formation. On risque alors de voir exploser les cas d’asthme mais aussi le nombre de crises cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux.
Tous les pays du pourtour méditerranéen sont déjà concernés, note Giovanni Rezza, directeur du département maladies infectieuses à l’Institut supérieur de la santé à Rome[10]. L’événement récent le plus préoccupant est l’épidémie de chikungunya qui a frappé l’Italie à l’été 2017, avec “plus de 400 cas”, et “une défaillance dans le diagnostic précoce”, puisque la maladie n’a été identifiée par les pouvoirs publics qu’au bout de plusieurs semaines, favorisant l’infection de nouvelles personnes, souligne le chercheur. Cette tâche de repérage précoce est d’autant plus dure en Italie que le moustique tigre, qui transmet la dengue et le chikungunya, est désormais endémique dans une grande partie du pays. D’où la nécessité de renforcer la vigilance là où le phénomène est encore limité, comme la France avec la Côté d’Azur, où plusieurs cas autochtones de dengue ont été signalés depuis 2014.
Chikungunya en Italie, dengue sur la Côte d’Azur… Et un jour au Luxembourg? L’Europe et le Luxembourg doivent se préparer à des épidémies jusqu’ici réservées aux régions tropicales, préviennent des chercheurs, même si le rythme et l’ampleur de cette expansion restent difficiles à prévoir. Au Luxembourg moustique tigre, moustique japonais, tique géante, de nouvelles espèces d’insecte apparaissent et peuvent potentiellement transmettre virus et bactéries. Le Luxembourg s’arme pour assurer une veille sanitaire efficace et se prémunir d’une épidémie[11]. La liste des maladies infectieuses et agents pathogènes à déclaration obligatoire par les médecins a été mise à jour par le Ministère de la Santé début 2019 en tenant compte de certains des risques annoncés[12].
“Heureusement”, l’Italie, l’Espagne, le sud de la France, la côte croate et la Grèce sont pour le moment “une zone tropicale seulement à temps partiel”: les hivers sont suffisamment froids pour que la transmission s’interrompe. Mais à mesure que les périodes de haute température s’allongent, cette “fenêtre” pendant laquelle ces maladies peuvent se transmettre va devenir plus large, favorisant des épidémies de plus grande importance, avertit Giovanni Rezza, tout en soulignant qu’il s’agit de “changement à moyen et non à court terme”.
Les travaux présentés par Jan Semenza, du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC)[13], montrent également une extension du territoire des tiques, responsables de certaines encéphalites virales et de la maladie de Lyme. “Nous observons une expansion des tiques causée par les températures plus élevées, elles se développent vers le Nord et à des altitudes plus élevées”, a-t-il déclaré. Un phénomène déjà clairement présent au Luxembourg où le nombre de cas de la maladie de Lyme augmente fortement d’année en année.
« Sous l’impulsion des changements climatiques, la dengue est la maladie virale transmise par les moustiques qui se propage le plus rapidement au monde« , prévient le rapport. « Neuf des dix années les plus propices en matière de transmission de la dengue ont eu lieu depuis l’an 2000, permettant aux moustiques d’envahir de nouveaux territoires en Europe« , selon les chercheurs[14].
Le climat exerce aussi une forte influence sur le paludisme. Transmis par des moustiques du genre Anophèles, il tue près de 400 000 personnes par an, pour la plupart des enfants africains de moins de 5 ans. Les moustiques du genre Aedes, vecteurs de la dengue, sont également très sensibles aux conditions météorologiques. Selon certaines études, 2 milliards de personnes de plus pourraient être exposées au risque de transmission de la dengue d’ici les années 2080.
De même, la mouche des sables ou phlébotome, principal vecteur de la maladie parasitaire leishmaniose, pourrait trouver des conditions climatiques favorables à son installation en France, en Allemagne, au Luxembourg et dans le sud du Royaume-Uni d’ici 2060.
Face à ce phénomène, “les agences de santé publique doivent améliorer la surveillance, par exemple à travers des systèmes d’alerte précoce, sensibiliser davantage les professionnels de santé et le grand public sur les risques, ainsi qu’adopter des stratégies de contrôle innovantes telles que les actions communautaires” contre la prolifération des moustiques, souligne le Pr Semenza.
La mesure des effets du changement climatique sur la santé ne peut être que très approximative. Néanmoins, l’OMS, dans une évaluation prenant en compte seulement un petit groupe d’effets possibles sur la santé, et prenant pour hypothèse la poursuite de la croissance économique et des progrès sanitaires, a conclu que le changement climatique pourrait entraîner environ 250 000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050: 38 000 dus à l’exposition à la chaleur des personnes âgées, 48 000 dus à la diarrhée, 60 000 dus au paludisme, et 95 000 dus à la sous-alimentation des enfants[15].
Les zones n’ayant pas de bonnes infrastructures de santé, pour la plupart dans les pays en développement, seront les moins en mesure de se préparer et de faire face à la situation sans assistance, mais ce que l’avenir climatique nous réserve au Luxembourg reste toujours difficile à prédire.
Antoni Montserrat Moliner
Active Senior on Public Health for the European Commission
Member of the Luxembourg National Committee for Rare Diseases
Member of the Board of ALAN-Maladies Rares Luxembourg
Member of the Scientific Committee of FEDER Spain
[1] IPCC. Summary for Policymakers. In: Edenhofer O, R. Pichs-Madruga, Y. Sokona, E. Farahani, S. Kadner, K. Seyboth, A. Adler, I. Baum, S. Brunner, P. Eickemeier, B., Kriemann JS, S. Schlömer, C. von Stechow, T. Zwickel and J.C. Minx editors. Climate Change 2014, Mitigation of Climate Change Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.: Cambridge University Press; 2014.
[2] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health
[3] https://www.who.int/health_financing/universal_coverage_definition/fr/
[5] http://alternatives-humanitaires.org/fr/2019/07/18/comment-soigner-une-humanite-a-2c%E2%80%89/
[6] https://www.thelancet.com/pb/assets/raw/Lancet/Hubs/climate-change/Lancet_Countdown_2017_Executive_Summary_French.pdf
[7] https://www.nature.com/articles/s41558-018-0315-6.epdf?referrer_access_token=l1r_PaQemnsQr-V9br06L9RgN0jAjWel9jnR3ZoTv0MpBFb5oK9YR4Jvx3dMn7ibhlhb-tMA1J8IL9U1zDk_99sHdvMlBmh2GEPkIaXXIZpUjqz7NIlGeBDai3ZdSIv_Swz11ybZ_l8Sg5NCQgxLRrErqBhBz8Fl20BI8XnA3EWPK2Oh5PKU5aaXG1fwscOfjMYirM3X4eoHfF5cfT6dfNQWkIaREE9P90gHHHfc3qOy1hzNCUDTApa86zFiCLUvDvYFpqhJCZ2QZRkVulRyM1h9cOWn4cZhIBje9ldw5i_JoT8GVeH6O349C-g2Ma-F&tracking_referrer=www.lemonde.fr
[8] https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2818%2932594-7
[9] https://www.francetvinfo.fr/sante/enfant-ado/changement-climatique-la-sante-des-enfants-menacee_3702897.html
[10] https://www.7sur7.be/sante-et-bien-etre/les-maladies-tropicales-s-installent-en-europe~a0e0510c8/?referrer=https://www.bing.com/
[11] https://www.wort.lu/fr/luxembourg/ces-insectes-dangereux-surveilles-de-tres-pres-5d80bacada2cc1784e34baa2
[12] https://guichet.public.lu/dam-assets/catalogue-pdf/sante/maladies-infectieuses-guide-declarant/maladies-infectieuses-guide-declarant.pdf
[13] https://www.lequotidien.lu/magazine/rechauffement-climatique-les-maladies-tropicales-debarquent-en-europe/
[14] https://www.lepoint.fr/environnement/l-impact-du-changement-climatique-sur-la-sante-de-ceux-qui-naissent-aujourd-hui-14-11-2019-2347337_1927.php
[15] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health