Le concept de santé primaire intégrale est né, en partie, comme réponse au partage de plus en plus répandu du constat que les seules approches biomédicales et technologiques ne suffisent pas à améliorer l’état de santé de la population. 1 Selon les principes énoncés dans la Déclaration d’Alma-Ata, les soins de santé primaire intégrale sont centrés autour des besoins et des préférences des individus et de leurs communautés. Dès lors, ils combinent les soins médicaux de première ligne avec les soins préventifs et curatifs prestés par des professionnels. D’autres éléments sont inclus, comme l’équité de l’accès aux soins, la collaboration au-delà du secteur de santé, l’empowerment et la participation des communautés.
Les leçons de Guarjila 2
Les communautés de cette région de Chalatenango ont participé aux mouvements sociaux des années 70 et, dans les années 1980 à 1992, à la lutte contre la dictature militaire. Grâce à ces luttes, elles ont acquis une expérience d’auto-organisation. Quand l’État s’est retiré de ces communautés lors de la guerre civile, elles ont supplanté, voire remplacé les administrations de l’État et ont organisé des services sociaux d’éducation, des soins de santé communautaires et des réseaux d’approvisionnement de biens de première nécessité.
De 1981 à 1987, les résidents des communautés se sont réfugiés dans le camp de Mesa Grande au Honduras qui regroupait 11 000 personnes. En octobre 1987, les réfugiés sont revenus dans leurs localités d’origine, avec l’appui d’ONG, des églises, et d’organisations internationales comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. À Mesa Grande, l’ONG Médecins sans frontières avait formé des promoteurs de santé qui ont presté des services de santé primaires à des patients dans le camp et aux blessés de la guerre civile. De retour dans leurs localités d’origine, ces promoteurs de santé ont continué à assurer les soins dans leurs communautés. La communauté de Guarjila a réussi à construire une infrastructure de santé primaire plus ambitieuse et à constituer une équipe de santé plus compétente que les autres communautés de cette région de Chalatenango. Ainsi, Guarjila est devenue un centre de référence pour le réseau de soins de santé primaires du nord-est de cette région. En 1993, le ministère de la Santé voulait créer un poste de santé avec du personnel venant de l’extérieur et en privilégiant une approche curative. Le Ministère proposait d’intégrer le système de soins de santé communautaires de Guarjilla dans cette nouvelle structure. Mais la communauté de Guarjila refusait cette proposition qui revenait à marginaliser la participation sociale et à réduire le système communautaire à une approche purement curative.
L’expérience de Guarjila montre qu’il est possible de créer un système de santé primaire intégrale communautaire qui s’intègre au développement intégral dans la communauté, laquelle prend le leadership dans la définition, le développement et la gestion des actions nécessaires pour améliorer ses conditions de vie.
Soins dentaires communautaires 3
Après le tremblement de terre en octobre 1986 au Salvador et jusqu’à la fin de la guerre civile en 1992, l’association APDCA (Asociación promotora de desarrollo comunitario para Centroamérica) a formé des membres de communautés pauvres pour leur permettre de donner des soins dentaires préventifs et curatifs aux personnes qui en ont besoin pour garder leurs dents en bonne santé. Ces soins dentaires comprenaient toute une gamme de services, dont notamment des obturations dentaires et des prothèses dentaires. Les actions de soins préventifs étaient initiées par l’enseignement, aux membres des communautés pauvres, de la fabrication de brosses à dents et de la pâte à dentifrice. En effet, pour les personnes pauvres, l’achat d’une brosse à dents et d’un tube de pâte à dentifrice pouvait équivaloir à la rémunération d’une journée de travail. Par ailleurs, la majorité des personnes pauvres n’avait pas les moyens de payer les honoraires demandés par les dentistes privés. De plus, le gouvernement n’avait pas les ressources nécessaires en salaires et frais d’investissement pour installer dans les communautés pauvres des cabinets dentaires avec des dentistes formés dans des universités et équipés d’appareils
de dernière génération. Le résultat en était que les personnes qui n’avaient pas accès à des soins dentaires communautaires, comme ceux offerts par APDCA, ne consultaient un dentiste, ou un « dentiste amateur », que lorsqu’une infection imposait l’extraction d’une dent.
En 1991, APDCA gérait 13 cabinets de soins dentaires communautaires et prévoyait l’ouverture de 4 centres supplémentaires. Par ailleurs, elle disposait de trois laboratoires régionaux dédiés à la fabrication de prothèses. En dépit des difficultés d’exercice pendant la guerre civile, APDCA traitait environ 2000 patients par mois. Pendant les six premiers mois de 1991, les 200 promoteurs de santé dentaire au Salvador ont effectué environ 18 000 obturations, 3 000 détartrages dentaires complets et 6 000 extractions de dents. Ils ont également réalisé 500 prothèses et organisé des séances régulières d’éducation à la santé bucco-dentaire dans 90 communautés.
APDCA mettait l’accent sur la prévention et le traitement de deux affections médicales qui concernaient pratiquement tous les pauvres d’Amérique centrale et qui entraînaient des infections et des pertes de dents, à savoir la gingivite et la carie dentaire. Grâce à une formation de cinq mois, les promoteurs de santé dentaire pouvaient donner tous les soins dentaires dans les centres d’APDCA. Une formation supplémentaire de quatre
mois leur permettait de diriger un laboratoire régional. Grâce à une formation plus courte de seulement quelques semaines, des promoteurs de santé dentaire étaient formés à la réalisation de détartrages dentaires et d’extractions de dents, ainsi qu’à la prévention dans des villages isolés. En cas de besoin de soins plus avancés, ces promoteurs de première ligne référaient les patients au centre de santé dentaire le plus proche.
La prévention constituait une partie centrale des activités d’APDCA, permettant de montrer aux participants de ces programmes la possibilité de sauver leurs dents. APDCA organisait des campagnes lors de réunions communautaires, dans les écoles et les centres pour enfants. On enseignait notamment des recettes simples et abordables pour fabriquer de la pâte à dentifrice. D’autres initiatives consistaient à enseigner aux enfants à examiner mutuellement leurs bouches et à enregistrer les pathologies rencontrées. Ces enfants encourageaient en suite à leurs familles à demander des soins réguliers.
Dans les ateliers d’APDCA, les promoteurs de santé dentaire apprenaient à fabriquer leurs sièges dentaires simplifiés, l’éclairage, des appareils d’aspiration et les unités dentaires. Ces appareils, jusqu’à dix fois moins chers que les appareils commerciaux, utilisaient des composants comme des moteurs de réfrigérateurs, des freins d’automobiles ou des pistolets à peinture.
Les expériences menées dans de nombreux pays, comme au Mexique, à Cuba, au Venezuela, en Équateur ou en Chine, ont montré que les promoteurs de santé dentaire peuvent fonctionner de manière efficace.
Bibliographie
¹ Labonte, Ronald N., Sanders, David, Packer, Corinne et Schaay, Nichola. (2017). Revitaliser la santé pour tous : études de cas sur la lutte pour des soins de santé primaires complets. Presses de l’Université de Toronto ; Centre de recherches pour le développement international.
2 Dubón Abrego, MA, Menjívar López, D., Espinoza Fiallos, E., et Baatz, C. (2017). Construction d’un système complet de soins de santé primaires à Guarjila, au Salvador : 1987-2007. Dans Revitalizing Health for All, University of Toronto Press, p. 282.
3 Kamliot, N., Mejia, A. et Leiner, S. (1992). Santé dentaire communautaire en Amérique centrale : un modèle alternatif de prestation de soins dans le tiers monde. J Public Health Dent, 52 n° 5, p. 299-302

