Burkina Faso : mon beau pays !

*En raison de la situation sécuritaire, l’auteur de l’article a choisi d’utiliser un pseudonyme.

Plus je réfléchis à la situation sécuritaire du Burkina Faso, moins je ne peux m’empêcher de poser la question : quand ce tombeau a-t-il été ouvert ?

Au commencement

C’est vrai, il n’y a jamais de situation conflictuelle sans début. Cependant, aujourd’hui, j’ai du mal à situer le début du délitement de la situation sécuritaire du Burkina, tant les clivages au sein de la société burkinabè étaient perceptibles de longue date.

Durant le long règne de Blaise COMPAORE[1], tombeur de la révolution de Sankara[2], la marmite a continué à bouillir : d’un côté, les nostalgiques et revanchards travaillaient à préparer une révolution violente ; de l’autre, les nouveaux dignitaires de par leurs pratiques de gouvernance, travaillaient à creuser le fossé entre riches et pauvres, paysans et citadins, agriculteurs et éleveurs, partisans et non partisans ; cela dans tous les segments, dans l’administration, l’armée, …

Sur le plan social, cette situation mettait à rude épreuve l’équilibre ethnique malgré l’existence de leviers socioculturels (alliances ethniques, …). Les conflits communautaires ont commencé à se multiplier.

Mauvais programmes et mauvaise gouvernance : un lit douillet pour la crise !

Sur la gestion des ressources :  les conflits fonciers ont augmenté et sont devenus sanglants car le cadre juridico-administratif était favorable à l’accaparement des terres par les élites (fonctionnaires, grands commerçants, promoteurs immobiliers, dignitaires politiques…) qui se sont érigés en promoteurs d’une nouvelle pratique agricole dite agro business, au détriment de la petite production agricole familiale ; l’élevage connaît le même sort ; les nouveaux riches se mettent à investir dans un type d’élevage très rentable qui consiste à acheter le bétail et à l’engraisser pour le revendre, ce qui concurrence fortement l’élevage traditionnel dit extensif et principalement pratiqué par une ethnie nomade, les Peulhs[3]. Cette situation a évolué jusqu’à ce que la majorité des éleveurs peuhls n’ait plus de grand cheptel et soient pour la plupart employés comme pasteurs par les propriétaires de bétail et des fermes. 

Fragilisation ethnique : l’accumulation de richesses par une minorité de personnes et la frustration de certaines catégories.

Les différents conflits communautaires (en particulier ceux entre agriculteurs et éleveurs, en majorité peuhls) ont constitué l’un des éléments importants des tensions ethniques. En effet, la communauté fullaphone (Peuhl et assimilés) était déjà frustrée car elle était marginalisée dans l’accès aux ressources. Ces derniers, vivant le plus souvent en bordure des villages des autres communautés d’agriculteurs (Mossi, Gourmantché, Bobo, Samo, Dogon, Kurumba, etc.), ont rarement accès à la terre. La pression foncière due à la démographie galopante n’a pas aidé. 

D’autre part, l’impunité dont a fait montre l’État a conduit les communautés à s’organiser pour se doter de groupes de sécurité privés qui se sont souvent révélés plus efficaces à retrouver les coupables que la justice moderne, trop corrompue. Cependant, cette forme de justice populaire, dont le principe s’est rapidement généralisé (KOGLWEOGO principalement, DOZO dans certains endroits…) se caractérisait aussi par des atteintes aux droits humains.

Le déclic 

Déjà en 2011, des manifestations de jeunes et des mutineries de jeunes soldats d’une violence extrême ont alerté sur la précarité de l’équilibre sociopolitique. Les velléités de modification de la constitution par Blaise COMPAORE ainsi que l’insurrection qui s’en est suivie en 2014 ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En effet, la chute du régime de COMPAORE a mis à nu toutes les failles qui existaient dans le système, tant au niveau administratif, économique, politique que militaire …

Impliqué dans l’encadrement de la jeunesse, c’est tout naturellement que j’ai été amené à jouer les premiers rôles dans l’animation de la vie de la collectivité dans ce Burkina post-insurrectionnel, où la jeunesse avait beaucoup d’attentes vis-à-vis des gouvernants : repenser l’appareil d’État, revoir la gouvernance, réfléchir aux mécanismes pour choisir « les hommes qu’il faut à la place qu’il faut ». C’est avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai vaillamment mené la résistance contre le coup d’État de 2015 au niveau local avec des camarades syndicalistes et des acteurs de la société civile. « PLUS RIEN NE SERA COMME AVANT. » On voulait tout remettre à plat, même l’armée qui était loin d’être une armée unifiée. S’en est suivie une consultation électorale pour nous sortir de la transition. C’est là que les premières attaques terroristes ont eu lieu, alors que l’armée, déjà divisée, mal équipée et mal formée, ne pouvait pas tenir. Sur le plan politique, les clivages sont tels que les tenants du pouvoir mettent les attaques terroristes sur le dos du clan COMPAORE, en exploitant les liens supposés entre son régime et certains dignitaires touarègues ou indépendantistes.

Le régime KABORE a donc vite fait de mettre tout sur le dos de son prédécesseur sans trop s’organiser pour faire face à l’hydre terroriste. Il s’est mis à chercher des boucs émissaires : quelques dirigeants de la transition sont voués aux gémonies : arrestations, exil, accusations, …

Les mauvais choix ayant laissé la gangrène se propager

De leur côté, les terroristes ont exploité les fragilités sociales en exacerbant les tensions religieuses : des chrétiens étaient froidement exécutés lors des cultes ; exigence était faite aux communautés musulmanes de se conformer aux pratiques des extrémistes ressemblant à celles du sous-groupe Wahabia (musulmans salafistes), très présents dans le pays, afin d’opposer les Wahabia (du mouvement sunnite) aux musulmans du mouvement Tidjania, très répandu.

Résultat, la poursuite des terroristes est orientée vers les habitats des Peuhl et des tueries sont commises contre cette communauté. En l’absence d’une réponse judiciaire adéquate, les frustrations de la communauté peuhle se sont accrues et les positions se sont radicalisées. En effet, il se dit que bon nombre de Peuhl, dans la région du Nord, ont vendu du bétail pour acquérir des armes de guerre.

Absence de réponse pragmatique de notre part face à la stratégie de recrutement des terroristes

Je me souviens toujours de l’appel lancé par le prédicateur peuhl malien Amadou Koufa DIALLO, membre très influent du GNIM (groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) en août 2019. Dans sa langue maternelle, le peuhle, il appelait les Peuhls à rejoindre ses troupes pour faire la guerre sainte libératrice qui devait laver les affronts subis.

De mon point de vue, les groupes terroristes ont utilisé cette brèche pour présenter la communauté peuhle comme un groupe marginal. Les groupes de cette communauté (deuxième communauté la plus importante après les Mossi majoritaires) sont très hybrides, avec une organisation sociopolitique qui diffère d’un sous-groupe à l’autre. Il me semble qu’il a été facile pour les terroristes de mobiliser une communauté frustrée qui n’avait pas été suffisamment investie ni par l’État, ni par l’élite peuhle elle-même. La complexité de la communauté peuhle n’a pas facilité un contre-discours fort et unique pour dissuader les enfants de la communauté de se faire enrôler par les groupes terroristes. Par ailleurs, les élites peuhles ne pouvaient pas non plus avoir un discours qui convienne à tous les Peuhl car chaque sous-groupe ne reconnaît que le leadership de ceux qui sont nobles en son sein.

Tués ou chassés, comme à Ouahigouya, les Peuhl ont fortement grossi les rangs des terroristes et les attaques ont changé de nature, visant systématiquement les civils, comme pour semer le chaos dans le pays.

C’est dans ce contexte qu’intervient le coup d’État de janvier 2022 et la prise de pouvoir par les militaires qui ne durera que neuf mois. L’approche adoptée par ces putschistes était de chercher à négocier avec les terroristes. Mais la jeunesse insurgée, qui a soif de changement, ne consent pas à revoir un ancien dignitaire de l’ère COMPAORE prendre les commandes de l’appareil d’État. Sur le plan diplomatique, ce premier régime de putschistes s’adosse à la communauté internationale occidentale en utilisant plus ou moins la carte de la France et des États-Unis qui semblent l’adouber.

De nouveau les militaires

Le 26 septembre 2022, un convoi de ravitaillement en provenance de la ville de Djibo, soumise à un blocus, tombe dans une embuscade tendue par des terroristes. Le bilan est très lourd. C’est dans cet émoi que de jeunes capitaines font leur coup de force. Ce deuxième coup de force militaire apparait presque salutaire, tant le pays semble à la dérive. L’ambition affichée des putschistes : reconquérir l’intégralité du territoire national en réorganisant l’armée. La stratégie est moins claire politiquement, même si l’on sait qu’il n’y aura point de négociations avec les terroristes. Très vite, les choix en matière de partenariats sont faits : s’ouvrir à de nombreux partenaires et non plus à la France qui, malgré sa présence, n’a rien pu faire pour aider à désamorcer la crise.

Concrètement, on assiste au renvoi de l’ambassadeur de France et au retrait de l’armée française stationnée à Ouagadougou, puis à la dénonciation des accords de coopération militaire. Dans le même temps, une diplomate des Nations unies est déclarée persona non grata. Tout cela s’affiche comme une affirmation de la souveraineté nationale. Les médias français (France 24 et RFI) sont interdits au motif qu’ils donnent la parole aux terroristes et font des commentaires qui ne sont pas du goût des gouvernants.

Cependant, au plan national, les restrictions des libertés, notamment de la presse locale, sont invivables pour certains citoyens, en particulier les plus instruits, qui ont vécu l’accès à ces libertés arrachées de haute lutte sous l’ère COMPAORE après l’assassinat du journaliste Norbert ZONGO, et qui souffrent d’observer ce véritable retour en arrière.

Aujourd’hui, il est impossible de mener une activité politique, un rassemblement (meeting, marche, …) quel que soit le lieu, à moins de soutenir l’action des jeunes militaires sur le champ de bataille. Fini le temps de la cacophonie, où les partisans de chaque camp rivalisaient pour obtenir de grands regroupements dans des stades qu’ils remplissaient recto verso (pour dire salle comble ou « pleine à craquer »).

Sur le front, les militaires combattent davantage avec l’appui de supplétifs civils (volontaires pour la défense de la patrie –VDP mis en place par le pouvoir Rock KABORE) et remportent de plus en plus de victoires en anéantissant des bases terroristes. Cependant, les terroristes, eux, changent de tactiques, en se mêlant à la population, en étant plus mobiles et en continuant à faire déguerpir les villageois afin de créer le chaos. Les VDP, quant à eux, connaissent bien le terrain la plupart du temps et infligent d’énormes pertes aux terroristes. Seulement, ils sont accusés d’exactions : enlèvement et exécutions sommaires de civils, en majorité des Peuhl.  Le gouvernement a réagi et a déployé la prévôté sur le terrain pour s’assurer du respect des droits humains et  pour rendre la justice militaire opérationnelle.

Il faut reconnaître aux jeunes militaires cette formidable capacité de mobilisation populaire. Cependant, certains soutiens vont jusqu’à se faire des ennemis du fait de certaines critiques, même constructives. Cette situation freine l’élan de bon nombre de citoyens à s’engager dans des échanges et réflexions contradictoires et constructives en ces moments critiques de la vie de la nation. Ici, la peur pour beaucoup, c’est de se voir taxer d’antipatriote.

Nombreux sont ceux qui par leur intelligence ou expérience pourraient apporter une idée, mais qui hésitent à exposer leur vision. La contradiction n’étant pas acceptée par ceux qui scandent « Irissi ! Irissi » (entendons « Russie ! Russie ! ») et qui élèvent la voix.

Jusqu’où irons-nous ?

En attendant, au Yatenga, silence : l’étau se resserre autour de Ouahigouya. Tous les habitants des villages rentrent dans le centre et personne n’ose évaluer actuellement le nombre d’habitants.

Tout cela est entretenu par des groupes de civils organisés au sein des fameuses Organisations de la Société Civile (OSC) : des associations locales et /ou nationales reconnues par la loi régissant la liberté d’association. Sauf qu’à la différence des associations de développement classique, elles ont une orientation purement politique. Aussi ingénieuses que budgétivores, ces OSC ont longtemps soutenu, accompagné et/ ou conduit les politiciens dans les dérives. Le pouvoir en place commence à mettre un terme à certaines de ces dérives. Mais jusqu’où iront-t-ils quand viendra le moment de sévir contre ceux qui les soutiennent ?

La situation du Burkina de nos jours ne semble préoccuper que les Burkinabés.  A l’intérieur, nous nous sentons délaissés par la communauté internationale qui est prête à armer des civils en Ukraine mais pas à aider le Burkina. Cela semble être la conséquence du choix du Burkina de se libérer. En effet, les jeunes militaires avaient prévenu que l’indépendance totale n’avait pas de prix. Le gouvernement de transition en tire avantage pour mobiliser les citoyens autour du fait que nous sommes seuls dans notre lutte contre l’hydre terroriste. Malgré les difficultés observées sur le terrain, les restrictions des libertés et les difficultés de la presse, les Burkinabés ne peuvent qu’apporter leur soutien sans faille à leur gouvernement. C’est la seule option de sortie de crise à l’heure actuelle. Il faut absolument un sursaut national de la part de toutes les composantes de la nation et un élargissement des libertés publiques afin de pouvoir compter sur l’apport de tous.

 


Notes:

[1] Compaoré a gouverné le Burkina Faso pendant près de trois décennies, avant d’être renversé en 2014.

[2] La révolution Sankara au Burkina Faso désigne celle qui s’est déroulée de 1983 à 1987. Elle est appelée Sankara en référence à Thomas Sankara, un anticolonialiste charismatique qui a mené la révolution et a été brièvement président. Il a souvent été appelé le Che Guevara de l’Afrique. Sankara a été abattu par son ancien allié devenu ennemi, Blaise Compaoré, lors d’un violent coup d’État en 1987.

[3] Les Peulhs sont un peuple traditionnellement pasteur établi dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà de la bande sahélo-saharienne.

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