Les ONG partenaires du Sud subissent diverses formes de répression, notamment des menaces, la criminalisation, des arrestations illégales, des attaques physiques et même des assassinats liés à leur travail en faveur des droits humains. Ces attaques ont rapidement augmenté ces dernières années, alors que les organisations de la société civile intensifient leur résistance aux activités des multinationales et des gouvernements qui menacent les droits des communautés dans le monde entier.
C’est pourquoi un groupe d’ONG luxembourgeoises s’est réuni pour partager des expériences, sensibiliser à la situation des défenseurs des droits humains (DDH) et chercher des moyens d’accroître le soutien qui leur est apporté.[1]
Afin d’en savoir plus sur le travail et les défis des défenseurs des droits humains, le groupe a organisé au début de cette année une série de quatre entretiens matinaux avec deux défenseurs des droits humains d’organisations partenaires d’ONG luxembourgeoises et avec deux organisations européennes qui se concentrent sur le soutien aux défenseurs.
La série de Breakfast Sessions a débuté par un entretien avec Moussa Tchangari, directeur d’Alternative Espaces Citoyens au Niger. Il avait été arrêté en 2018, accusé de participer à une manifestation pacifique à laquelle il n’avait en fait jamais participé, puis à nouveau en mars 2020. Il a été libéré en avril 2020 mais les organisations de défense des droits humains ont déploré qu’un homme innocent ait été arrêté de cette manière.
Ayant vécu en tant que jeune journaliste la répression du mouvement étudiant par les militaires dans les années 70 au Niger, il a créé une coopérative pour soutenir le travail médiatique et culturel. Un journal et une radio alternatifs, légèrement politiques, ont ainsi été lancés dans la langue locale et distribués par des centres d’alphabétisation gérés par un programme du gouvernement allemand. Les gens pouvaient se rencontrer dans ces centres et discuter de questions les concernant. En 2001, Moussa Tchangari a créé Alternative Espaces Citoyens afin de contribuer à la construction d’une société plus démocratique.
Dès le début, l’approche de Tchangari consistait à créer des opportunités pour s’exprimer plutôt que d’imposer des solutions toutes faites et à encourager les gens à prendre leur situation en main. Il était donc déconcertant pour lui que les gens le considèrent souvent, lui et d’autres activistes, comme les leaders de la société civile, alors que pour lui, tout le monde devrait se considérer comme un leader. Cela a donné lieu à une discussion sur la nécessité d’avoir certaines figures exceptionnelles qui incarnent la lutte et motivent les autres, comme Mandela en Afrique du Sud.
Il a expliqué que pour lui, la lutte est toujours politique, mais pas partisane ; si les partis politiques ont un rôle important à jouer, les mouvements sociaux sont plus importants. Il a d’ailleurs renoncé à son adhésion à un parti politique pour se consacrer aux activités de la société civile.
Il a également souligné la nécessité d’une solidarité internationale avec les DDH en difficulté. Comme ils sont conscients du fait que leur travail en faveur des droits humains peut mener à l’emprisonnement, il est important qu’ils aient des perspectives après leur libération, car beaucoup d’entre eux se retrouvent après dans la rue. Cela peut faire hésiter les gens à s’engager pour les droits humains, par souci de leurs responsabilités envers leurs familles.
Il existe aujourd’hui de nombreuses organisations de défense des droits humains au Niger, mais plusieurs ont été créées par le régime militaire pour faire contrepoids aux groupes critiques. L’organisation de Tchangari travaille avec les Nations unies, Amnesty International et d’autres organisations, qui lui apportent un grand soutien, tout comme ses organisations partenaires telles que SOS Faim. Ils ont un certain poids auprès du gouvernement car celui-ci réagit à la pression des organisations internationales. Ce soutien international a été d’une grande aide pour lui et ses collègues lorsqu’ils étaient incarcérés.
Lors de la deuxième Breakfast Sessions, la présidente de la National Alliance of Women Human Rights Defenders, Dr Renu Adhikari, partenaire d’AEIN, a présenté la situation des femmes défenseurs des droits humains (FDDH) au Népal. L’Alliance compte aujourd’hui quelque 21 mouvements de femmes et environ 6000 membres.
Au début de son travail avec les femmes dans le domaine du VIH et du trafic sexuel, Dr Renu s’est rendu compte que souvent les femmes travaillaient comme défenseurs des droits humains au niveau communautaire mais n’étaient pas reconnues comme telles. Elle a donc favorablement accueilli la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme de 1998, qui donne une définition très large de “qui est un défenseur des droits de l’homme”. Elle fait la distinction entre les défenseurs des droits humains et les salariés dans le domaine des droits humains. Les deux peuvent être des défenseurs, mais le fait d’être un salarié dans le domaine des droits humains ne fait pas de quelqu’un automatiquement un défenseur des droits humains. En effet, toute personne engagée dans la protection des droits humains est un défenseur des droits, quel que soit son lieu de travail.
En discutant des défis auxquels sont confrontées les FDDH, Dr Renu a souligné qu’en tant que femmes, elles sont confrontées à des relations de pouvoir inégales à tous les niveaux, de la famille au gouvernement. Elles sont souvent critiquées parce qu’elles ne restent pas à la maison avec leurs enfants, et font l’objet de diffamation en raison de leur défense des droits sexuels et reproductifs des femmes.
Le soutien que son réseau apporte aux FDDH prend de nombreuses formes, du soutien financier à la simple invitation à prendre une tasse de thé, à discuter et à pleurer ensemble. Le soutien au niveau personnel, le fait de faire partie d’un réseau d’entraide est tout aussi important que le financement.
Parce que leur travail diffère du travail de développement traditionnel, les défenseurs des droits humains éprouvent régulièrement des difficultés à demander des subventions aux donateurs. Son organisation, comme beaucoup d’autres, n’est pas enregistrée, car cela l’empêcherait de critiquer le gouvernement. Or, l’enregistrement officiel est normalement une exigence pour les demandes de financement. Il est également difficile d’inclure les aspects “soft” du travail sur les droits humains dans les cadres logiques ou de répondre aux exigences de durabilité.
Heureusement, il existe des organisations très utiles proposant des financements flexibles, certaines étant capables de fournir des fonds dans les 24 heures. Peut-être qu’un système similaire, basé sur la confiance mutuelle, pourrait être envisagé au Luxembourg.
Interrogée sur la manière d’équilibrer le besoin de visibilité et de sécurité, Mme Renu a reconnu qu’il était difficile de répondre à cette question, mais qu’en général, plus une organisation est forte et connue, plus elle et ses membres sont en sécurité. Son organisation est très forte aujourd’hui, mais ce n’était pas le cas il y a 15 ans. Elle entretient de bonnes relations avec les médias, ce qui est également utile car le gouvernement est conscient de son influence.
Suite à ces deux contributions de défenseurs des droits humains et d’organisations de soutien locale, la troisième et quatrième session se sont concentrées sur la manière dont les organisations internationales peuvent aider à soutenir les DDH.
Claire Ivers de Front Line Defenders (FLD) a parlé de leur travail et de leur dernier rapport “Global Analysis”. Front Line Defenders est basé à Dublin, avec un bureau européen à Bruxelles et du personnel régional dans le monde entier. Fondé en 2001 par Mary Lawlor, l’actuelle rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, FLD a développé un certain nombre de mesures pour soutenir les DDH en danger. L’organisation propose une ligne téléphonique ouverte 24 heures sur 24, grâce à laquelle les DDH en danger immédiat peuvent obtenir de l’aide, y compris une relocalisation temporaire si nécessaire, et des subventions pour couvrir les besoins pratiques en matière de sécurité. FLD propose également des formations sur les mesures de sécurité et de protection, avec un accent particulier sur la sécurité numérique, qui est devenue de plus en plus importante ces dernières années, ainsi que des opportunités pour les DDH de se mettre en réseau. Sur le plan du plaidoyer, FLD s’engage très activement auprès des organismes internationaux pour mettre en lumière les problèmes des DDH et est le partenaire principal de ProtectDefenders.eu, le mécanisme européen de défense des droits humains qui œuvre à la protection des défenseurs en danger dans le monde entier.
Le respect de la sensibilité et de la sécurité des DDH est toujours une considération primordiale et aucune mesure n’est prise sans leur consentement. La nécessité de réponses flexibles et adaptées aux situations spécifiques, soulignée par Dr Renu comme étant l’un des besoins les plus importants des DDH, est également une préoccupation majeure.
FLD a expliqué les défis que représente la pandémie de COVID19 pour les DDH. Beaucoup sont morts du virus, étant particulièrement exposés au virus dans leur travail de première ligne dans les communautés – notamment en fournissant des informations sur la pandémie et des soins là où les gouvernements n’ont pas su le faire. La pandémie a souvent été utilisée par les gouvernements pour cibler DDH : Les prisonniers ne recevaient pas de traitement médical lorsqu’ils tombaient malades et lorsque certains pays libéraient des prisonniers à cause du virus, les DDH n’étaient souvent pas inclus. En outre, de nombreux DDH qui ont dû passer au télétravail ont été exposés à des attaques numériques et à des menaces sur les réseaux sociaux, ce qui a entraîné un stress psychologique. Cela souligne l’importance des formations sur la sécurité numérique que FLD propose aux DDH.
Les tendances ultra-conservatrices dans de nombreux pays ont également entraîné une augmentation des attaques verbales et physiques contre les défenseurs, tout comme l’adoption de lois restrictives ces dernières années entravant les activités de la société civile, par exemple au Guatemala, à Hong Kong, en Inde, au Nicaragua et aux Philippines.
Mme Ivers a également évoqué le rôle important que les missions diplomatiques peuvent jouer pour aider les DDH. FLD est en contact régulier avec les délégations de l’UE dans le monde entier et les contacte lorsqu’une intervention pourrait être utile, l’impact potentiel étant à chaque fois évalué pour voir si l’intervention pourrait s’avérer contre-productive.
Les manifestations symboliques de soutien de la part des ambassades ou des organisations internationales peuvent également être utiles, par exemple en assistant à des procès ou en rendant visite à des prisonniers politiques. Elle a cité un cas où le personnel de l’Egyptian Initiative for Personal Rights a été libéré en Égypte en décembre 2020 après un tollé international, notamment une résolution du Parlement européen.
Pour la dernière Breakfast Sessions, Defenders.lu a invité Suzan Goes, la coordinatrice du projet Shelter City, à parler du travail de son organisation. Cette intervention était d’autant plus intéressante que le Ministère des Affaires Étrangères et Européennes envisage de rejoindre le dispositif.
L’initiative a été lancée en 2012 par l’organisation néerlandaise de défense des droits humains Justice and Peace Nederland, à la demande d’un réseau de DDH internationaux. Il existe désormais 12 villes refuges aux Pays-Bas, ainsi que des centres internationaux en Géorgie, en Tanzanie, au Costa Rica et au Bénin. Le projet offre aux DDH en danger la possibilité d’un séjour temporaire aux Pays-Bas pour travailler en sécurité, se reposer et, s’ils le souhaitent, parler de la situation dans leur pays et établir de nouveaux contacts avec des OSC ou des décideurs. Shelter City propose également des formations sur la sécurité pour les DDH et propose un soutien psychologique.
Shelter City invite les DDH deux fois par an à postuler à des séjours temporaires et un comité de sélection, qui comprend des représentants du ministère des affaires étrangères, des OSC et d’autres personnes, évalue les candidatures. En cas d’urgence, les DDH peuvent demander une aide rapide et non bureaucratique.
Interrogée sur leur expérience de travail avec le gouvernement néerlandais, Suzan Goes a répondu qu’elle était très constructive, comme c’est le cas avec les différentes communes impliquées. Le gouvernement s’étant engagé à long terme dans ce qui est pour lui un projet phare, cette bonne collaboration ne devrait pas être remise en cause en cas de changement de gouvernement. On s’inquiète davantage des changements au niveau des autorités locales si les futurs partenaires de la coalition exigent des réductions budgétaires.
La voie à suivre
Ces Breakfast Sessions n’ont pas seulement donné un aperçu du travail et des défis des DDH qui ont participé et de ce que les organisations de la société civile font pour les soutenir, mais elles ont également initié une réflexion au sein du groupe sur ce qui pourrait être fait au Luxembourg pour soutenir davantage les DDH. Comprendre réellement les besoins des DDH est un premier pas important. Le message principal était l’importance de réponses flexibles et non bureaucratiques, tout en assurant la responsabilité de l’utilisation des fonds. En outre, la visibilité et la mise en réseau internationale peuvent sauver des vies, car elles servent de bouclier aux défenseurs des droits de l’homme.
Les conclusions des Breakfast Sessions seront utiles aux ONG luxembourgeoises qui cherchent à relever ce défi lors de futures discussions avec le MAEE.
Références :
Alternative Espaces Citoyens : https://www.sosfaim.lu/nos-actions/niger/alternative-espaces-citoyens/
FDDH : https://www.defendingwomen-defendingrights.org/about/the-whrd-movement/
Front Line Defenders: https://www.frontlinedefenders.org
Shelter City : https://sheltercity.nl
[1] Les membres de ce groupe informel DFENDERS sont AEIN – Amnesty International Luxembourg * ASTM * Cercle de Coopération * CPJPO * FDH * Les Amis du Tibet * OGBL * Partage * SOS Faim