Le Burkina se désintègre

Timbuktu, 50ºC, Burkina Faso solders in buletproof vest and helmet stand on guard for hours.

Depuis plus de quatre ans, le Burkina Faso est emporté dans une spirale de violences, dont l’intensité n’a fait que croître au cours des derniers mois. Attribuées – parfois, mais pas toujours – à des groupes armés djihadistes, dont l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara) et AQMI, ces violences touchent principalement les régions rurales du Nord et de l’Est du Burkina, soit des zones déjà extrêmement vulnérables, où les projets de coopération étaient nombreux par le passé.

Derrière l’insécurité et les attaques aveugles, des communautés villageoises terrorrisées, un million de personnes en besoin d’une assistance humanitaire, 270 000 autres qui ont fui leur foyer et leur terre, 2000 écoles fermées, et près de 500 000 encore qui n’ont plus, ou peu, accès aux soins de santé pour cause de dispensaires abandonnés.

Entamée en 2013, l’opération Serval déployée au Mali avait pour ambition, à l’origine, de contrer les groupes terroristes actifs au nord du Mali et d’empêcher leur progression vers Bamako. Elle a été remplacée dès 2014 par l’opération Barkhane et par le G5 Sahel en 2017, nouvelle et dernière force de « coopération militaire et de sécurité». Dotée de plusieurs milliers d’hommes issus d’armées nationales ou étrangères – et ceci sans compter la MINUSMA1, qui compte plus de 13 000 hommes au Mali- le tout couvre un seul but : lutter contre l’insécurité dans tous les pays de la zone, à savoir le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. En parallèle, la politique « main tendue » du G5 est née dans la foulée, soutenue financièrement par l’Union européenne, l’Union africaine et l’ONU, avec pour objectifs de mener des actions de développement dans les zones concernées et coordonner les aides internationales.

Dans les faits, la confusion militaire-humanitaire est ainsi à son comble : tant les organisations internationales que les agences de coopération bi-latérales (comme l’Agence Française de Développement – AFD), sont aujourd’hui conviées à travailler et à investir dans les régions concernées par les opérations militaires, gage et crédit d’acceptation de la présence des militaires par les populations. Sans garantie aucune – et les derniers événements et récentes attaques au Burkina tendraient plutôt à démontrer le contraire – que cela en vienne à apaiser les esprits. Les témoignages sont en effet nombreux quant aux exactions des forces armées envers des populations qu’elles sont supposées défendre2, comme il est probable également que, parmi les différentes garnisons, toutes ne sont ni efficaces ni remplies d’une grande motivation.3 De ce fait, le danger est grand pour les ONG, tant nationales qu’internationales, d’être considérées comme l’instrument, voire l’instrumentalisation, de la volonté des Etats d’instaurer une sécurité à tout prix, et d’être ainsi complices de cette situation délétère. En cela, l’AFD est l’exemple parfait d’une agence voulant, selon les dires de son directeur, vouloir « aller beaucoup plus loin sur le thème sécurité et développement avec l’état-major des armées »4.
Et ceci sans compter le risque évident de délégitimer plus encore des Etats souvent jugés défaillants ou absents en matière de développement, et d’exacerber les rancoeurs d’une population jeune, exposée à la fois à des hommes en armes et à des programmes de creusement de puits.

Une alliance maladroite

Pas sûr donc que cette alliance porte ses fruits : on est là face à deux logiques, celle du court terme voulue par le monde militaire – des résultats probants, tout de suite, à court terme -, et celle du développement – dialogue, mobilisation, long terme.

Selon une association burkinabé contactée, « cette volonté d’allier militaire et humanitaire était une bonne initiative au départ (seuls, on ne s’en sortira pas), mais cette alliance n’est pas performante. Au niveau militaire, les armées sont sous-équipées ou mal formées, les résultats se font attendre, et les financements promis n’arrivent pas. La situation est désastreuse dans les zones du Nord et de l’Est : il y a des efforts pour endiguer les attaques – terrorristes, ou de grand banditisme, personne ne sait-, mais les résultats sont très mitigés. Les opérations menées ont permis un moment de déserrer l’étreinte et de nettoyer des zones dans l’Est, mais cela n’a pas duré. Et au Centre nord, cela n’a pas réussi du tout, suite à des difficultés internes aux forces armées. Conséquence : les attaques terrorristes ont été démultipliées. Les chefs coutumiers, religieux, les autorités, ont été assassinés. Il y a un climat de psychose – du Soum aux confins de la Tapoa, c’est la débandade».

Même attitude et mêmes propos pour un autre responsable de projet dans la province de Gourma : « La politique a pensé que la solution n’était pas que militaire, en considérant que la pauvreté facilitait la pénétration des terroristes ou des bandits armés, et de facto l’implication des jeunes dans les mouvements armés. Ce n’est pas un mauvais raisonnement pour moi : les positions «militaires versus politique de développement » ne sont pas nécessairement contradictoires, mais cette volonté de développement n’est pas venue au moment opportun : les populations sont en train de fuir la région, et celles qui restent ne collaborent pas, car elles sont terrorrisées. Il n’y a donc pas de collaboration avec les militaires, car il y aurait suspicion de collaboration avec les autorités de la part des groupes terroristes. Plusieurs chefs de village ont été assassinés pour cette raison. Pour l’instant, il n’y a donc pas de réponse appropriée».

Cette idée du « tout sécuritaire », combinée plus ou moins adroitement avec des politiques de développement laisse un libre champ aux groupes extrémistes, trop heureux d’exploiter les rancoeurs et les désillusions. Au nord du Burkina, rares sont ceux qui décrivent encore les mouvements de rébellion comme issus du terrorisme islamique pur et dur. De plus en plus, on constate qu’il s’agit de mouvements de rébellion contre l’ordre établi, contre les privilèges abusifs de certains contre d’autres, d’un partage de richesses qui ne profite jamais qu’aux mêmes, et, surtout, que les mouvements ne sont plus exogènes mais reposent de plus en plus sur des citoyens burkinabè, dont beaucoup de jeunes, prompts à remettre en cause l’ordre établi, les rapports hiérarchiques ou le poids des traditions.

« Depuis les années 90, le Mali est fragilisé par l’installation de certains groupes qui vivent de trafics. Si le Burkina était déjà exposé à l’époque, il l’est d’autant plus aujourd’hui, avec la chute de Compaoré en 2015, qui jusque là parvenait à maîtriser la situation. Aujourd’hui, beaucoup de gens se laissent ainsi séduire par les discours, soit par fragilisation de leur situation, soit par opportunisme religieux, politique, social ou économique.
Les bandes armées sont actives dans des zones déjà extrêmement vulnérables, où les projets de coopération étaient nombreux par le passé. Il est difficile de les cerner, car elles ne se revendiquent pas. Comme il y a peu de présence de l’Etat, il n’y a pas moyen de tenir un autre discours que celui des groupes extrêmistes. Et tout ce qui symbolise l’Etat est attaqué : écoles, dispensaires de santé, commissariats, autorités coutumières, etc.
Cette nébuleuse de petits groupes armés profite de la désorganisation générale et de l’appui logistique des groupes islamistes: « Des bandits profitent de l’occasion et de la psychose pour procéder à des enlèvements contre rançon, ou piller. D’autres ciblent exclusivement des zones minières riches, notamment dans le Soum : ceux-là prélèvent des taxes auprès des orpailleurs, ou tentent d’acheminer vers les côtes du golfe de Guinée certaines des richesses pillées dans le Nord. Ce trafic se développe de plus en plus, et ajoute encore à l’insécurité et aux violences».

Le sentiment qui se dégage, selon un autre acteur de développement, est que « l’Etat n’arrive pas à contenir le terrorrisme et les extrêmismes. On a peur que les militaires ne se découragent et abandonnent la lutte. Il y a donc beaucoup de colère, en plus de la peur. Des groupes citoyens d’auto-défense se sont créés, avec pour objectif affirmé d’assurer la sécurité des populations. Mais il y a là un grand risque d’aggravation de conflits inter-communautaires. C’est ça qui est le plus à craindre : il ne faut pas que les extrêmismes arrivent à diviser les populations ».

La cohésion sociale est la seule solution

Appuyer tout ce qui contribue à renforcer la cohésion sociale est dès lors essentiel. « Notre plus gand défi aujourd’hui à nous les ONG, c’est que les populations s’entendent au sein d’une même communauté. On travaille beaucoup sur la cohésion sociale, qui est l’un des fondements de notre pays: nous avons du reste pu noter que dans les zones rurales les activités de sensibilisation par le théâtre participatif connaissent une résonance bien plus importante que d’habitude. Un peu comme si les populations voyaient dans le théâtre une opportunité d’exprimer leurs sentiments, leurs émotions et leurs pensées profondes face à des situations de délitement accéléré de la cohésion sociale, face à la montée des violences multiples, de l’intolérance, des intégrismes de toutes sortes et des manifestations multiformes de la désespérance sociale».
Avec une stratégie d’occupation du territoire de plus en plus marquée de la part des groupes extrêmistes, une déliquescence de l’Etat conjuguée à la faiblesse des forces armées et des actions de coopération qui ne rencontrent pas de mobilisation populaire, des divisions qui se creusent entre communautés et une absence de récoltes dès l’année prochaine, les mois qui suivent pour le Burkina risquent de s’avérer extrêmement difficiles. La solution ne peut venir que des communautés elles-mêmes avec le soutien de l’Etat, mais en mode très local et avec des personnes de confiance et respectées de tous, de façon à remettre en place des mécanismes endogènes de protection et de règlements des conflits. Mais cela prendra du temps, et, dans l’attente, c’est toute une future génération qui, en manque d’écoles, en manque de terres, en manque de soins, est aujourd’hui sacrifiée.

Source:
1 La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a été créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité du 25 avril 2013, pour appuyer le processus politique dans ce pays et effectuer un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaire.
2 https://lefaso.net/spip.php?article83557 et Human Rights Watch : https://www.hrw.org/fr/news/2019/06/12
3 http://www.rfi.fr/afrique/20190824-burkina-faso-colere-militaires-tirs-sporadiques-attaque-koutougou
4 Rémi Carayol, « Sahel, les militaires évincent le Quai d’Orsay », Le Monde diplomatique, juillet 2019.

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