Chaque année, les femmes et les enfants d’Afrique passent 4,5 millions d’années à chercher de l’eau : Une pénurie à l’échelle du continent a fait de la chasse à l’eau un exercice quotidien et a obligé les Africains à dépenser plus pour l’eau que pour la nourriture.
Tout le monde est à la recherche d’eau dans ce pays insulaire, situé à 400 kilomètres de la côte orientale de l’Afrique, dans l’océan Indien. De la capitale aux banlieues, des villes aux villages, les habitants de Madagascar sont à la recherche d’eau 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Des voitures et des charrettes, chargées de conteneurs vides, encombrent les routes étroites qui sillonnent la quatrième plus grande île du monde. Les organisations humanitaires rapportent que les gens errent parfois pendant des jours avant de trouver une flaque d’eau. Et lorsqu’ils y parviennent, c’est une nouvelle bataille pour recueillir quelques litres alors que des centaines de personnes se rassemblent autour.
Au cours de cinq des six dernières années, Madagascar a connu des saisons des pluies gravement déficitaires. Au cours des deux dernières années, les précipitations ont diminué de 40 %, soit le niveau le plus bas depuis trois décennies. Depuis novembre dernier, Jirama, la compagnie des eaux du secteur public malgache, a mené plus de 30 opérations d’ensemencement de nuages. Il a bien plu dans les localités des hauts plateaux malgaches du centre du pays, mais le temps sec a rapidement suivi.
Avec le quasi-effondrement de l’agriculture, qui emploie 80 % de la population du pays, et avec 1,3 million des 27,7 millions d’habitants survivant grâce à l’aide alimentaire, le Programme alimentaire mondial a qualifié cette situation de « première famine » causée par le réchauffement climatique.
Pourtant, la faim est une préoccupation secondaire pour les gens d’ici. « Nous devons d’abord avoir de l’eau », expliquent de nombreuses personnes à Down To Earth. « Je reste éveillé jusqu’à minuit pour aller chercher de l’eau à la fontaine près de chez moi », raconte Hervé Leziany, un photojournaliste qui vit à Ambohibao Antehiroka, dans la banlieue ouest de la capitale Antananarivo.
Après minuit, il passe des heures près de la fontaine dont l’eau s’écoule goutte à goutte de 23 heures à 2 heures du matin. A Ikianja de la localité d’Ambohimangakely, dans la banlieue est d’Antananarivo, certains se réveillent à 1 ou 2 heures du matin pour aller chercher de l’eau au seul puits géré par la communauté dans le marais en contrebas.
« Le stock (c’est la référence populaire au niveau de disponibilité de l’eau) n’est pas suffisant pour tous. Si vous êtes en retard, vous devez attendre que le niveau de l’eau remonte pour avoir la possibilité de remplir les bidons. Le puits s’assèche rapidement alors qu’il faut des heures pour se réapprovisionner », explique à DTE Fetra R, un habitant.
Ce jeune homme de 25 ans et sa femme fournissent de l’eau aux résidents locaux qui ne sont pas couverts par les services de Jirama. Il y a encore quelques mois, ils facturaient 300 ariary (5,60 roupies) pour la livraison de 20 litres d’eau. Récemment, ils ont augmenté le tarif de 66 %, à 500 ariary (9,50 roupies), et envisagent une autre augmentation brutale de 40 %.
« Nous devons maintenant investir plus de temps et d’efforts pour collecter l’eau. Je vais facturer 700 ariary (13,20 roupies) / 20 litres si le problème persiste », dit Fetra.
L’ « inflation de l’eau » est le nouveau terme économique qui gagne rapidement du terrain dans ce pays desséché. Les gens dépensent souvent plus pour l’eau que pour toute autre chose, même la nourriture. Dans la région du sud du pays, la plus touchée par la sécheresse actuelle, les agriculteurs consacrent la moitié de leurs revenus quotidiens à l’eau.
« Vingt litres d’eau coûtent 2 000 à 4 000 ariary (37,70 à 75,40 roupies) en dehors d’Ambovombe, la capitale régionale », explique Tsimanaoraty Paubert, un homme d’affaires. La plupart des gens préfèrent donc recueillir de l’eau dans les flaques d’eau en bordure de route, même si elle est très polluée et contaminée. Cela a également conduit à des épidémies de maladies d’origine hydrique.
La sécheresse prolongée et l’inflation de l’eau à Madagascar sont paradoxales. Selon un exercice de comptabilisation du capital naturel soutenu par la Banque mondiale, la disponibilité annuelle d’eau renouvelable par habitant du pays atteint 13 169 mètres cubes – l’un des plus élevés au monde, quel que soit le paramètre.
« La perturbation actuelle est due à un changement important dans le cycle de l’eau. Elle se fait davantage sentir sur les hauts plateaux », explique Herinjanahary Ralaiarinoro, responsable de l’unité d’hydrologie au sein du département de météorologie du pays. La saison des pluies est devenue plus courte et ne parvient pas à réapprovisionner les aquifères.
Mamiarisoa Anzèla Ramarosandratana, responsable de l’adaptation aux techniques de pointe au sein du département de météorologie, prévient que le pays se dirige vers une nouvelle saison des pluies ratée.
Dans le cadre des objectifs de développement durable fixés par l’ONU, le pays s’est fixé comme objectif national de fournir de l’eau potable à tous d’ici à 2030. 43 % seulement du pays y a actuellement accès, mais la plupart des robinets sont à sec.
Un problème panafricain
Madagascar reflète l’un des principaux défis du développement de l’Afrique : fournir de l’eau potable à tous. Selon l’outil de cartographie des risques liés à l’eau du World Resources Institute, un organisme à but non lucratif basé aux États-Unis, l’Afrique est l’un des continents les plus touchés par le stress hydrique.
Environ un tiers de la population vit dans des zones sujettes à la sécheresse. Selon l’édition 2021 du rapport sur la situation des services climatiques (State of Climate Services) de l’Organisation météorologique mondiale, l’Afrique a été frappée au cours des cinq dernières décennies par 1 695 catastrophes liées à la météo, à l’eau et au climat, qui ont causé 0,73 million de décès et des pertes économiques de 38,5 milliards de dollars.
Alors que les inondations ont représenté 60 % des catastrophes et 4 % des décès, les sécheresses ont été à l’origine de 16 % des catastrophes et de 95 % des décès – les pertes humaines les plus élevées dues à la sécheresse dans le monde. C’est une double peine pour l’Afrique subsaharienne, où 90 % de la population rurale dépend de l’agriculture pour ses revenus et où 95 % de l’agriculture dépend de la pluie.
L’eau potable est une denrée très prisée, en particulier en Afrique subsaharienne, où plus de 400 millions de personnes n’y ont pas accès. Au cours des dernières 25 années, la population de la région a doublé, mais l’accès à l’eau n’a progressé que de 20 %.
Une étude de l’UNICEF a montré que 66 % de la population d’Afrique subsaharienne devait parcourir de longues distances à pied pour aller chercher de l’eau. Selon une estimation de l’ONU Femmes, les femmes adultes et les enfants d’Afrique subsaharienne passent 40 milliards d’heures par an à aller chercher de l’eau.
Cela équivaut à une année de travail de l’ensemble de la population active française ou, pour simplifier, à plus de 4,5 millions d’années – une période que l’homme moderne n’a pas encore parcourue sur l’échelle de l’évolution.
La ligne de partage de l’eau
L’accès à l’eau potable est traditionnellement un défi rural, où les gens doivent parcourir de longues distances pour chercher de l’eau, que ce soit des rivières, des ruisseaux, des étangs, des puits ou des sources.
« Dans les zones rurales du Kenya, les coûts totaux moyens pour faire face à un approvisionnement en eau peu fiable ou éloigné sont d’environ 38 dollars par mois. En comparaison, la facture d’eau moyenne d’un ménage type de Nairobi relié à un système de canalisation n’est que de 4,46 dollars par mois », indique une estimation du lobby mondial de l’eau Water.org.
Cette comparaison met en évidence une charge économique qui pèse plus lourdement sur les clients ruraux non raccordés que sur les ménages raccordés au réseau. Wangai Ndirangu, responsable du renforcement des capacités au sein du réseau de gestion durable de l’eau WaterCap Kenya, affirme, cependant, que la situation est pire pour les pauvres des villes.
La croissance démographique dans les villes due à l’exode rural, associée à une planification et une gestion médiocres, entrave l’accès à l’eau. « Avec près de 600 000 personnes au Kenya qui s’installent en ville chaque année, les infrastructures sont rapidement dépassées », explique M. Ndirangu :
Dans les zones urbaines du Kenya, l’eau est un facteur de pauvreté. Elle est moins accessible aux pauvres. Plus on est pauvre, moins on a de chances d’avoir accès à l’eau potable.
Le constat est partagé par le Bureau des droits de l’homme de l’ONU qui a entrepris en 2019 une étude pilote sur le droit à l’eau dans les quartiers informels du Kenya. Cette étude a constaté que si les zones urbaines bénéficient d’un meilleur accès que les zones rurales, les inégalités sont particulièrement criantes dans les quartiers urbains informels où les habitants dépendent de services d’eau peu fiables fournis par des prestataires formels et informels.
L’approvisionnement en eau a été privatisé par des « cartels » et la majorité des personnes interrogées consacrent plus de 3 % du revenu mensuel disponible au ménage à l’eau, ce qui est supérieur à la norme internationale en matière d’accessibilité financière, note l’étude.
La situation n’est pas plus rose en Afrique du Sud, où le tarif moyen de l’eau municipale était de 1 300 % plus élevé en 2020 qu’en 1996. Il devrait augmenter à un taux supérieur à celui de l’inflation, entre 6 et 10 %, indique Michelle Dickens, directrice générale de TPN Credit Bureau, dans un article de presse du 24 juin 2021.
En Somalie, où les conditions de sécheresse se sont aggravées après trois saisons des pluies consécutives inférieures à la moyenne, le prix de l’eau potable a augmenté de 170 % dans certaines régions. Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, au 17 décembre dernier, 3,2 millions de personnes dans 66 des 74 districts du pays étaient touchées par la sécheresse, dont 169 000 personnes déplacées à la recherche d’eau, de nourriture et de pâturages.
Au Nigeria, où 60 % de la population n’a pas accès à l’eau potable, le coût de l’eau a été multiplié par plus de trois en moins d’un an. Jusqu’en janvier 2021, un sac contenant 20 sachets d’eau ne coûtait que 80 naira (14,50 roupies). En octobre, il coûtait 250 naira (45 roupies).
Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), 5 % du PIB de l’Afrique est perdu chaque année en raison de la pénurie d’eau. « La région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord] est confrontée aux plus grandes pertes économiques attendues en raison de la pénurie d’eau liée au climat – estimées entre 6 % et 14 % d’ici 2050 », déclare Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord, dans un communiqué de presse du 23 août 2021.
Mais plus encore, elle a poussé l’Afrique dans un cercle vicieux de pauvreté, d’eau et de maladie. La « Vision africaine de l’eau pour 2025 » de la Banque africaine de développement, le document qui guide les pays du continent dans l’élaboration des politiques et des programmes relatifs à l’eau, indique qu’un accès insuffisant à l’eau et à l’assainissement provoque des maladies qui, à leur tour, entraînent des pertes économiques et une extrême pauvreté.
L’extrême pauvreté empêche également les gens de dépenser de l’argent pour avoir accès à l’eau et à l’assainissement. Comme le dit le document : « la moitié du travail d’une paysannerie malade sert à nourrir les vers qui la rendent malade ».
Première publication dans l’édition imprimée de Down To Earth (datée du 16-31 janvier 2022). Source: https://www.downtoearth.org.in/news/water/water-africa-s-gold-pan-continental-shortage-forces-africans-to-spend-more-on-water-than-food-81195