Un regard vers le passé
Il y a 25 ans, le Luxembourg renforçait son positionnement en tant que place financière au niveau international à travers les banques, les fonds d’investissement et d’autres acteurs spécialisés. Les dynamiques lancées par le secteur financier étaient cependant bien loin des thématiques des ONG de développement.
Il y a 25 ans également, le secteur des ONG luxembourgeoises prenait de l’ampleur avec la création de nouvelles structures initiées par la société civile dans le but de répondre aux besoins croissants des populations pauvres aux quatre coins de la planète. C’est également à cette période que le Luxembourg rejoint le petit cercle des pays qui consacrent 0,7% de leur PIB à l’aide publique au développement.
Et si, dans ce contexte, on parlait de finance pour les pauvres…? Utopique pour certains, l’idée était en fait visionnaire… !
Finance et développement, pourquoi pas… ?
A l’époque, parmi les actions traditionnelles d’aide au développement, les projets en matière de développement économique des populations vulnérables se multiplient. A côté des projets de développement macro-économique portant sur de grandes infrastructures, certaines initiatives micro-économiques lancées par la société civile montrent des résultats surprenants. Que ce soit en Asie avec le Professeur Yunus, en Afrique avec les coopératives d’épargne et de crédit, dont l’origine remonte aux tontines villageoises, ou encore en Amérique Latine avec les associations ou les coopératives de producteurs agricoles; de multiples exemples confirment qu’accorder un tout petit crédit à un individu pour développer sa propre activité peut lui permettre d’améliorer les conditions de vie de sa famille. C’est la microfinance qui émerge…
Ce concept innovant de développement et de lutte contre la pauvreté, vise à donner accès à des services financiers adaptés aux besoins des individus en situation de vulnérabilité. Mais cela leur donne surtout l’occasion de faire des projets pour leur avenir et de renforcer leur autonomie. Au Luxembourg, ce sont des ONG qui, les premières, vont intégrer ce concept dans leur approche d’appui au développement. Ces ONG seront soutenues par le Ministère de la Coopération luxembourgeoise qui verra dans la microfinance une façon de combiner les forces de la place financière avec l’engagement du pays en matière de coopération au développement.
Des solutions innovantes… pour quels résultats ?
Utiliser des concepts financiers pour atteindre un objectif social est un défi qui nécessite une dynamique d’innovation permanente. Comment accorder un crédit à un individu qui ne dispose d’aucune garantie? Quelles sont les conditions qui répondent le mieux à ses besoins? Comment sécuriser et assurer la disponibilité de l’épargne que ces populations sont capables de constituer? Comment rendre cette offre de services viable malgré les crises que certains pays et certaines institutions peuvent rencontrer? Comment renforcer la protection des clients qui accèdent aux services financiers inclusifs?, etc.
Les réponses à ces questions ont été proposées par des institutions de microfinance et d’autres acteurs locaux qui ont émergé dans de multiples pays en se spécialisant dans l’offre de services financiers inclusifs pour les populations vulnérables. Le chemin, parsemé d’obstacles, d’échecs et de remises en question, a montré à quel point des services bancaires classiques doivent être adaptés pour se transformer en offre de services financiers inclusifs et avoir un réel impact sur la pauvreté des populations ciblées.
Aujourd’hui, les résultats sont multiples. Plus de 1,2 milliard de personnes soit 69% des adultes1 ont accès à des services financiers inclusifs et ce chiffre ne cesse d’augmenter; de nouveaux services financiers inclusifs émergent constamment qu’il s’agisse d’épargne, de crédit, d’assurance, de transfert d’argent, de financement agricole, de leasing, de pension, etc. ; dans pratiquement tous les pays, des structures de microfinance souvent initiées sous forme associative sont désormais devenues des institutions viables et réglementées par les autorités financières ; plus de 80 milliards d’€ sont investis dans l’inclusion financière à travers différents canaux2; des standards internationaux ont été mis en place pour maximiser l’impact de la finance inclusive sur les populations ciblées, etc.
Le rôle des ONG dans l’écosystème de l’inclusion financière
Pour atteindre ce résultat, la société civile, à travers les ONG et les associations locales, a joué un rôle majeur pour favoriser l’émergence d’un véritable écosystème. Ecosystème qui aujourd’hui rassemble tant les institutions de microfinance que des associations, des banques, des autorités de réglementation, des prestataires de services, des investisseurs, des centres de recherche, des acteurs académiques, etc.
Dans la création de cet écosystème, les acteurs du Luxembourg ont joué un rôle majeur au cours des 25 dernières années. Qu’il s’agisse de favoriser les collaborations internationales à travers le CGAP3, à travers la création de la Plateforme européenne de microfinance ou l’organisation de la Semaine Africaine de Microfinance ; qu’il s’agisse de soutenir, à travers les ONG telles que ADA ou SOS Faim, des institutions de microfinance pour développer des services financiers innovants en matière d’assurance inclusive, en matière de crédit aux jeunes entrepreneurs ou en matière d’agriculture; qu’il s’agisse de mobiliser les ressources financières nécessaires pour atteindre des millions de clients de par le monde et ce, grâce aux 32 fonds d’investissement de microfinance (représentant plus de 6 milliards d’euros) qui bénéficient du label Luxflag Microfinance4 dont le Luxembourg Microfinance and Development Fund; qu’il s’agisse de recherches ou de formations académiques à travers la Chaire de Microfinance auprès de UNI.lu. Sans être exhaustif, ces exemples montrent à quel point le Luxembourg a contribué de manière significative à l’émergence de la finance inclusive comme outil de développement et de lutte contre la pauvreté.
Garder le cap sur l’impact social
Tout au long de ce parcours qui a permis de combiner finance et développement, la société civile, à travers les ONG et le secteur associatif, a joué un rôle majeur. En termes d’innovation d’une part, les acteurs de la société civile cherchent systématiquement à sortir des sentiers battus pour tester des solutions novatrices afin de mieux répondre aux besoins des populations ciblées. En termes de mesure d’impact et de responsabilité éthique et sociétale, la société civile joue un rôle intrinsèque de garant de la finalité sociale des actions menées. A titre d’exemple, la définition d’indicateurs de performance sociale par des ONG de finance inclusive a fortement contribué à l’émergence plus large de la notion d’investissement d’impact.
Le chemin est encore long
Face aux 1,7 milliards d’individus5 qui n’ont accès à aucun service financier et surtout face aux multiples conflits régionaux, à l’écart croissant entre riches et pauvres et à l’impact des changements climatiques en particulier sur les populations vulnérables, le chemin à parcourir est encore long pour généraliser la finance inclusive et contribuer davantage à l’atteinte des Objectifs de Développement Durable. Mais les orientations pour la prochaine décennie sont claires : miser sur la jeune génération, intégrer la composante digitale et favoriser la finance verte pour répondre aux changements climatiques.
Là encore, la société civile, à travers les ONG, jouera un rôle crucial en utilisant sa flexibilité et sa détermination en matière d’impact social pour amorcer des dynamiques novatrices et donner l’impulsion nécessaire au changement.
Sources:
1 World Bank (Findex)
2 UNPRI – UN Principles for Responsible Investment – Impact Investing Market Map – Inclusive Finance
3 CGAP: The Consultative Group to Assist the Poor is an independent think tank dedicated to financial inclusion.
4 www.luxflag.lu
5 World Bank (Findex)
En 2019, ADA célèbre ses 25 années d’existence. La création de l’ONG en 1994 correspond au développement du microcrédit, devenu depuis la microfinance, puis la finance inclusive. ADA a donc suivi, quelque fois précédé, parfois provoqué les grandes évolutions du secteur. Aujourd’hui, l’ONG intervient dans une cinquantaine de pays pour proposer de l’assistance technique, de la formation et du financement. Le 20 novembre ADA célébrera son anniversaire en organisant une grande soirée, comparant son passé avec le présent, s’appuyant sur le présent pour son futur. Plus d’information sur www.ada-microfinance.lu