Comment étiez-vous engagé au sein de l’ASTM dans le passé ?
En 1973, mon épouse Assunta et moi avions repéré dans le journal Wort l’annonce d’une conférence de l’association « AFC, action formation de cadres ». Arrivés au Grand-Duché depuis un an à peine, nous souhaitions nous intégrer dans une association locale. Le développement relevait pour nous de la justice et de la responsabilité de tous. A la fin de la conférence, on a fait appel à un volontaire pour écrire un article économique, je me suis proposé. Nous avons ainsi fait connaissance avec quelques autres membres de l’équipe d’AFC qui se réunissaient alors chez les Jésuites de la rue Gaston Diederich. Nous avons pris notre rôle au sérieux, Assunta s’est attachée à mettre de l’ordre dans les archives du secrétariat (deux classeurs à peine) et j’ai accepté d’être président «par intérim».
Dans les années suivantes, l’association s’est étoffée. Parmi les premiers objectifs figuraient notamment : l’édition régulière du journal Brennpunkt, le changement du nom de l’association, en « Action Solidarité Tiers Monde » et le financement d’un premier poste permanent pour lequel le candidat était Richard Graf. Le financement était solidaire, basé sur la cotisation des membres et donateurs, l’aide gouvernementale n’est intervenue qu’avec l’augmentation du nombre des permanents. J’étais devenu responsable bénévole des projets d’Amérique latine.
Comment avez-vous fait connaissance avec la communauté des Kollas ? Pourquoi avez-vous décidé de travailler avec eux ?
Lors de notre visite de septembre 1990 en Argentine, Antonio Reiser* nous a encouragés à parcourir les provinces de Salta et Jujuy où nous pouvions observer la situation des communautés indigènes andines. A l’approche du 12 octobre 1992 (500 ans après la découverte du continent Amérique) il nous communiquait quatre actions modestes qui pouvaient peut-être susciter un certain intérêt en Europe. L’une d’entre elles demandait un appui politique. C’est ce qui intéressa Raymond Becker, échevin de Roeser, lorsqu’il réunit quelques habitants de sa commune, membres de diverses ONG de développement, pour recueillir des suggestions d’actualité.
Comment luttent les Kollas sur place pour défendre leur terre ?
L’appui politique demandé concernait le soutien d’un projet de loi d’expropriation en faveur de trois villages, qui avaient été menacés d’expulsion. L’Argentine travaillait à préparer une nouvelle Constitution, son Parlement fédéral avait adopté une loi de base des peuples indigènes. Ce contexte volontariste, ainsi que la détermination des Kollas nous permettaient d’espérer que les législateurs argentins pourraient être attentifs à un soutien international. Roeser le matérialisa sous la forme d’un contrat de partenariat solidaire. ASTM compléta l’offre politique par la mise en œuvre d’un petit projet de soutien : « Por nuestros derechos », qui visait à couvrir des frais de communication et de défense juridique. Miser sur le droit, permit aux indigènes de voir leur loi adoptée et réalisée en moins de quatre ans.
Mais l’entreprise expropriée ne l’a pas accepté et elle a saisi la justice argentine. Entretemps, elle s’est faite racheter en bourse de Buenos Aires par une multinationale américaine, acheteur du bois extrait du territoire Kolla depuis plusieurs décennies. En 1997, elle obtint l’autorisation d’extraire encore 15.000 mètres cubes de bois. Greenpeace alerté, obtint l’arrêt de la déforestation. Les Kollas entre-temps avaient accepté une donation des terres de haute montagne initialement liée à l’expulsion des villages, désormais protégés par la loi d’expropriation. Un juge corrompu envoya la police briser un barrage routier à l’entrée de ce territoire, mais tous les parlementaires luxembourgeois s’adressèrent, avec Roeser, au Président d’Argentine.
D’autres multinationales se joignirent à la première, pour museler les Kollas. Tractebel les fit condamner préventivement, ainsi que Greenpeace Argentine, leur interdisant toute action contre un gazoduc dont le tracé traversait leur territoire de part en part, jusqu’à 4300 mètres d’altitude, au détriment de forêts et de terres agricoles menacées d’érosion. En outre, les sociétés chargées de la construction et du transport du gaz incitèrent une partie des dirigeants à faire dissidence, pour obtenir seuls une rente régulière. Cette division a prolongé les délais des affaires en justice, paralysé les projets en cours et compromis l’avenir des revendications légitimes des Kollas.
En 2011, la persévérance des dirigeants les plus intègres et de leur avocat, conduisit à l’obtention des titres de propriété correspondant aux terres expropriées et données, soit les deux tiers de leur territoire ancestral.
Quelques représentants de la communauté Kolla sont venus* ici au Luxembourg. Quelle était leur motivation? Quel était leur message pour le public au Luxembourg ?
La délégation qui est venue au Grand-Duché est venue pour la première fois depuis l’attribution officielle des titres de propriété, à la fois pour fêter ce résultat et remercier la commune et les instituions luxembourgeoises et européennes qui leur ont prêté main forte. Le Grand-Duc Henri lui-même en fait partie, il a accepté de les recevoir en audience. L’autre raison était de venir rendre compte de l’avancement d’un projet en cours, qui devrait permettre l’accueil d’écotouristes, respectueux de l’environnement et de la culture des indigènes Kollas, lointains descendants des Incas. Sur ce point, c’est la Ministre de la Coopération qui a accepté une rencontre. Enfin, la délégation a demandé à Roeser de continuer à les appuyer pour faire face aux difficultés qui subsistent, en particulier le chômage des jeunes en quête d’emplois et le besoin de défendre l’identité et la culture des Kollas dans une Argentine en crise économique depuis plusieurs décennies. Elle les maintient dans une pauvreté qui continue d’alimenter la division interne. Cela se traduit par une compétition acerbe entre les villages dissidents et les autres. Roeser a accepté de jouer un rôle de médiateur et le conseil communal a pris une nouvelle résolution solidaire. Enfin, les Kollas ont démontré leur attachement à leurs forêts de Yunga riches en biodiversité. Ils sont donc des alliés fiables pour lutter ensemble pour défendre le Climat !
Présentation du livre «Tinkunaku»
Le livre relate les différentes étapes et péripéties de la relation entre la communauté Kolla, demandeur d’un appui politique international, et ses partenaires luxembourgeois, principalement la commune de Roeser et l’ASTM.
Le respect de la vérité historique implique de citer des documents d’époque et de compléter le récit par des analyses complémentaires trouvées sur Internet. L’intérêt est soutenu, lors des manifestations à Buenos Aires, des votes parlementaires tenus en suspens, des conflits dans la Finca, jusqu’à l’assaut de la police contre un barrage routier paralysant l’extraction de bois dans la forêt de Yunga.
Le livre souligne le caractère exceptionnel d’une relation solidaire durable, où l’appui accordé n’est pas seulement financier, mais surtout politique. La nature de l’enjeu est la revendication d’un droit, dans le contexte de l’Argentine et à la veille de l’anniversaire de la découverte de l’Amérique (500 ans le 12/10/1992). L’Argentine retourne à la démocratie avec une nouvelle Constitution et une loi inédite pour les peuples indigènes. Nos partenaires sont les premiers à en bénéficier, ce qui implique des difficultés imprévisibles. Evoquer le droit nous amène de nombreux alliés, jusqu’au moment où les multinationales obtiennent de certains juges, acquis aux pouvoirs économiques, une condamnation préventive des Kollas et Greenpeace, leur interdisant toute opposition au gazoduc Norandino.
Heureusement, la fidélité de Roeser et la ténacité de l’avocat de la communauté sont récompensés en 2011 (après 20 ans d’efforts). Cela permet la reprise d’une marche en avant dans un contexte nouveau : la protection des forêts et la lutte contre le changement climatique. La dévotion des indigènes à la Pachamama, en fait des alliés fiables, mais il convient de renforcer leur position, car pauvres, ils restent dans la mire des entreprises qui les ont agressés impunément.