Agenda 2030 et Accord de Paris : pour une mise en œuvre intégrée

Paris ou New York ? Climat ou développement ? Quelles synergies possibles au niveau de la mise en œuvre de l’Accord de Paris et des Objectifs du développement durable?

Imaginez un pâturage partagé entre 10 bergers. Si chacun est libre d’utiliser le pâturage comme il l’entend, tous essayeront de maximiser leur nombre de bétail. Si chacun essaye toutefois d’exploiter au maximum la terre, la durabilité de cette-dernière ne sera plus garantie. Quand l’intérêt individuel favorise l’exploitation des biens communs aux dépens de l’intérêt collectif, seule la confiance peut mener les parties individuelles à prendre des mesures de conservation. Pour installer la confiance, l’économiste et lauréate du prix Nobel, Elionor Ostrom1 mise sur des arrangements locaux – les 10 bergers pourraient par exemple se mettre d’accord sur un plafonnement du nombre de bétail que chacun peut mener sur le pâturage. Ostrom suggère ainsi une approche « bottom-up », approche initiée au niveau local, du bas vers le haut. A la fois l’Accord de Paris et les Objectifs du Développement Durable (ODD) semblent être fondés sur ce modèle.

D’abord, à l’inverse des précédents accords sur les changements climatiques, l’Accord de Paris se fonde sur des plans nationaux (ou régionaux) de mise en œuvre pour parvenir à sa cible générale, maintenir la hausse de température bien en-deçà de 2°C et même préférablement à moins de 1,5°C. Au lieu d’imposer des cibles contraignantes aux parties signataires, l’Accord de Paris renvoie lâchement à ces-dernières la responsabilité de déterminer leurs propres contributions («nationally determined contributions» – NDCs).
Quant aux 17 ODD et leurs 169 cibles, ils sont souvent considérés comme trop vagues. Toutefois, ces objectifs ne sont qu’une feuille de route globale que les pays membres de l’ONU sont encouragés à appliquer à leur contexte et à confronter à leurs priorités. De fait, tous les pays devraient transposer l’Agenda 2030 dans leur législation nationale, réviser les plans nationaux et en faire l’examen au niveau des Nations Unies.
Des textes interconnectés

Le préambule de l’Accord de Paris se place dans l’esprit du développement durable et se réfère à un bon nombre d’ODD. Par ailleurs, son engagement contraignant d’élaborer des contributions nationales, de les appliquer et de les réviser à la hausse tous les 5 ans rappelle les deux premières cibles de l’ODD 13 « Lutte contre les changements climatiques », qui réclament de tous les pays des actions pour l’adaptation et la mitigation aux changements climatiques.
Quant au financement climatique, l’ODD 13 reprend la cible établie par la COP 19 où les pays développés s’étaient engagés à rassembler 100 milliards de dollar par an pour des mesures d’atténuation dans les pays en voie de développement, un montant annuel qui doit être atteint en 2020. L’Accord de Paris maintient cette cible et garantit ce même niveau de financement jusqu’en 2025. A partir de cette date, les pays développés se sont engagés à allouer un nouveau montant annuel dépassant les 100 milliards de dollar.
La proximité entre ces deux engagements peut également être comprise à la lumière des nombreuses interconnections qui existent entre les changements climatiques et les Objectifs du développement durable. Les changements climatiques exacerbent notamment la pauvreté (ODD 1) car les personnes en situation de pauvreté sont souvent les plus exposées aux conditions météorologiques adverses ce qui peut également engendrer directement ou indirectement des flux migratoires. De plus, la production de biens alimentaires (ODD 2) de même que la qualité de l’air et les maladies y associées (ODD 3) sont aussi directement liées aux aléas climatiques. Ces derniers peuvent à leur tour être impactés par la manière dont on génère de l’énergie (ODD 7) ou dont on produit et consomme (ODD 12) par exemple. De plus, une analyse des mesures climatiques, proposées par 190 pays dans la perspective d’une adhésion officielle à l’Accord de Paris, a démontré que celles-ci couvraient 154 des 169 cibles des ODD2.

Pour une mise en œuvre intégrée

En ce qui concerne l’Accord de Paris, l’analyse des contributions nationales, déterminées initialement, s’est révélée plutôt décevante. Effectivement, le Climate Action Tracker a annoncé qu’avec les actions promises à l’heure actuelle, la hausse de température s’approcherait davantage de 3°C au lieu de 1,5°C.
Quant à l’Agenda 2030, les premiers examens nationaux volontaires à l’ONU ont également été accueillis de manière critique par la société civile. Sur base des 44 examens soumis pour le Forum politique de haut niveau pour le développent durable de 2017, Action For Sustainable Development, une plateforme de la société civile qui vise à unir et à encourager les efforts pour le développement durable, a regretté : une absence pour la plupart des pays de l’engagement « ne laisser personne de coté » ; des violations des libertés de la société civile ; et un manque de place pour l’implication de la société civile et ses mesures des progrès. De plus, la plateforme a montré du doigt le manque de synergies entre la mise en œuvre des ODD et la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

Effectivement, l’efficacité de l’Accord de Paris et des ODD ne dépend pas seulement de leur transposition en loi nationale. Une approche intégrée des deux engagements est également reconnue essentielle. En effet, le World Resources Institute (WRI)3 suggère l’importance d’une telle démarche, de sorte à promouvoir une « approche pangouvernementale » (« whole-of-government approach »). Au Luxembourg, l’Accord de Paris a été signé à travers l’UE et le MDDI figure comme principale responsable de sa mise en œuvre. La mise en œuvre des ODD, qui semble à ce stade être principalement orientée vers une action domestique, a aussi été coordonnée par le MDDI et 4 des 6 chantiers prioritaires reviennent à ce ministère. En opposition à une telle approche unilatérale, l’agence allemande de coopération internationale (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ)) et le WRI ont reconnu dans un rapport commun4, plusieurs avantages à considérer l’Accord de Paris et les ODD de manière intégrée.

Premièrement, une approche plus holistique mènerait en effet à une mise en œuvre plus cohérente, mettant en évidence les potentiels conflits et bénéfices mutuels entre les différentes mesures entreprises ainsi qu’entre les différents ministères impliqués. Par extension, plus de concertation mènerait également à une utilisation plus efficace du budget. Par exemple, le peu d’implication que semble avoir la Coopération luxembourgeoise au niveau de ces deux engagements pourrait laisser deviner un manque de concertation. D’un coté, les chantiers prioritaires du Luxembourg concernant la mise en œuvre des ODD ne semblent guère inclure la Coopération, ainsi que le volet international en général. D’un autre coté, la stratégie «Environnement et changement climatique» poursuivie par la Coopération5 a été fixée en 2014 sans mise à jour en rapport avec la réalisation de l’Accord de Paris ou de l’Agenda 2030.

Deuxièmement, malgré l’autonomie donnée aux gouvernements nationaux – aussi bien à travers les contributions nationales à l’Accord de Paris que les plans de mise en œuvre de l’Agenda 2030- un certain suivi et de la transparence sont nécessaires pour garantir l’efficacité des deux engagements. En ce qui concerne la mitigation, l’Accord de Paris stipule que les parties doivent publier leurs contributions nationales, les informations nécessaires à l’évaluation de ces dernières et leur inventaire de gaz à effet de serre ; quant au soutien, les pays développés doivent publier l’ensemble des aides données alors que les pays en voie de développement doivent fournir les informations relatives à leurs besoins et aux aides reçues. Ces informations sont ensuite analysées sur base de leur véracité et des progrès réalisés. En outre, un bilan mondial sera organisé tous les 5 ans dans le but d’évaluer le progrès en rapport avec les cibles générales, portant notamment sur la hausse de température, ainsi que d’échanger sur les bonnes pratiques en vue de nouvelles contributions nationales. Sur base d’indicateurs proposés par l’ONU ou à un niveau inférieur, l’évaluation des ODD, elle, est censée être effectuée régulièrement au niveau national et infranational ce qui peut ensuite mener à des examens volontaires réguliers auprès de l’ONU. Dans cette optique, une approche intégrée avec des indicateurs communs aux deux textes internationaux permettrait d’abord de rendre compte des interconnections ainsi que de collectionner plus efficacement les données qui y sont liées. Ensuite, une telle approche permettrait aussi que l’Agenda 2030 et l’Accord de Paris ne soient plus évalués de manière complètement indépendante. La proportion d’agriculture pluviale représente un exemple d’indicateur intégré, mettant en évidence le lien entre les changements climatiques et la sécurité alimentaire (ODD 2). Le développement d’énergies renouvelables (ODD 7) pourrait également être évalué en fonction de la réduction d’émissions de gaz à effet de serre qui serait ainsi réalisée.

Troisièmement, un changement d’approche, initié par les gouvernements nationaux, pourrait représenter le point de départ d’un changement global. Serait-il inimaginable de concevoir que les gouvernements nationaux puissent montrer l’exemple d’une approche intégrée aux acteurs régionaux et internationaux ?

Première prise de conscience

Bien que la recherche de bonnes pratiques n’ait pas mené à un modèle type, les idées politiques semblent tout de même évoluer. D’un côté, de nombreuses interconnections entre les changements climatiques et les ODD sont mises en lumière, non seulement au niveau théorique mais également au niveau de l’action, comme le montre par exemple le plan kenyan d’adaptation aux changements climatiques. Grâce au développement d’une agriculture résiliente aux dérèglements climatiques, ce plan d’adaptation devient le point focal entre les actions climatiques nationales et les ODD6. D’un autre côté, un nombre croissant d’organismes internationaux promeuvent une mise en œuvre intégrée, comme par exemple le World Sustainable Development Forum (lancé en 2018 au Mexique) ou même un événement de haut-niveau des Nations Unies, intitulé «Changements Climatiques et l’Agenda de Développement Durable ». Ces deux tendances semblent pointer vers une première prise de conscience de l’importance d’une approche intégrée de l’Accord de Paris et des ODD.

En conclusion, les mécanismes de suivi et d’évaluation propres à ces deux engagements permettent de maintenir le dialogue ouvert et ils rendent des modifications en cours de route possibles. Malgré les voix critiques qui regrettent le manque de substance, le manque d’indications relatives à l’application et le caractère généralement volontaire, la nature «bottom-up» des deux engagements pourrait également constituer une opportunité. En effet, la société civile, les groupes de recherche ainsi que les autres parties non-gouvernementales pourraient s’approprier ce changement de perspective afin que l’Accord de Paris et les ODD ne soient pas encore entièrement condamnés. A nous de lutter pour une mise en œuvre qui est à la fois plus ambitieuse et qui permet une approche intégrée de l’Accord de Paris et de l’Agenda 2030 !

Sources:
1 OSTROM, Elinor, 2015. Governing the Commons. Cambridge University Press, pp. 19-21
2 NORTHROP, Eliza et al., 2016. Examining the Alignment between the Intended Nationally Determined Contributions and Sustainable Development Goals [en ligne]. Washington, DC : World Resources Institute, 56p. https://www.wri.org/sites/default/files/WRI_INDCs_v5.pdf
3 Idem
4 BOUYE, Mathilde, HARMELING, Sven et SCHULZ, Nils-Sjard, 2017. Joining-up implementation of the 2030 Agenda and the Paris Agreement [en ligne]. Bonn : Deutsche Gesellschaft für
Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, 4p., http://www.wri.org/sites/default/files/giz-agenda-2030-factsheet.pdf
5 DIRECTION DE LA COOPERATION AU DEVELOPPEMENT ET DE L’ACTION HUMANITAIRE, 2014. Environnement et changement climatique. Stratégies et orientations [en ligne]. Luxembourg : Direction de la Coopération au développement et de l’action humanitaire, 35 p.
6 FOOD AND AGRICULTURE ORGANIZATION OF THE UNITED STATES, 2017. Integrating Agriculture in National Adaptation Plans (NAP–Ag) Programme. Safeguarding livelihoods and promoting resilience through National Adaptation Plans. Case study Kenya [en ligne]. Rome : Food and Agriculture Organization of the United States, 14p. http://www.fao.org/3/a-i8257e.pdf

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