EU Food and Farming Forum

Les 29 et 30 mai 2018 s’est tenu à Bruxelles un Forum européen sur l’alimentation et l’agriculture. Il a été organisé par l’IPES, – International Panel of Experts on Sustainable Food Systems. IPES a été créé sous l’impulsion d’Olivier de Schutter, ancien Rapporteur Spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il a été le principal organisateur et animateur de ce Forum, agissant en coopération avec un grand nombre d’assistants.

Ont participé quelque 250 personnes venant d’un grand nombre de pays notamment des pays de l’UE représentant des organisations liées aux questions de l’alimentation, de l’agriculture, de la santé, de l’environnement, du développement ou encore des universités et des institutions européennes etc. Y ont pris part également Mamadou Goita, malien, directeur du Centre d’études africain IRPAD, Marine Lefèbvre de SOS Faim et Rachel Reckinger de l’Université du Luxembourg.

Les organisateurs avaient fait parvenir aux participants un document de base intitulé « Vers une politique alimentaire commune de l’UE » dont la troisième partie comprenait 117 propositions regroupées autour de « 11 objectifs provisoires d’une politique alimentaire commune de l’UE », fruit d’un travail collaboratif entre plus de 30 organisations de la société civile et de centres de recherche.

Dans son introduction, Olivier de Schutter a attiré l’attention sur la fragmentation des différents domaines concernés par une politique alimentaire. Le plus souvent les décisions sont prises dans une optique à court terme en l’absence de toute vision à long terme. Heureusement un certain nombre de pratiques nouvelles se développent sur le terrain, comme les jardins communautaires, les AMAP, etc. mais celles-ci ne sont guère reconnues ni appuyées par les milieux politiques. Un des défis majeurs qui se pose est celui de la démocratie alimentaire.

La première matinée, des spécialistes du Canada, des Pays-Bas et du Royaume Uni ont illustré les efforts menés par leurs organisations pour intégrer les différentes politiques au niveau national et pour avancer vers la mise au point d’une politique alimentaire. Ils ont souligné qu’il convient de mobiliser à ces efforts à la fois les Ministères concernés, les partis politiques, les organisations paysannes et l’industrie agro-alimentaire.

L’après-midi, ce sont des représentants des villes de Bruxelles, de Montpellier, de Gand, de Turin et de Fribourg qui ont exposé les politiques menées au niveau de leurs villes pour élaborer et mettre en oeuvre des politiques alimentaires.

Durant la majeure partie de la Conférence, les participants se sont réunis en onze groupes de travail différents, chacun étant chargé d’examiner les propositions liées à un des onze objectifs du document de base. Celles-ci ont été écartées, modifiées ou complétées au cours des travaux menés. Durant la matinée du deuxième jour une sélection des propositions a été rediscutée au sein de groupes de travail entièrement recomposés. En fin de compte, 55 propositions ont été retenues qui feront encore l’objet d’un examen par des spécialistes et des juristes au cours des mois à venir. Un rapport final d’IPES-Food paraîtra plus tard cette année.

Quant à la méthode de travail choisie , j’ai été impressionné par le souci de l’approche participative suivie alors que les participants venaient souvent d’horizons très divers avec des expériences inégales.

Parmi les principaux thèmes examinés citons l’agroécologie, l’agriculture à faible usage d’intrants de synthèse, des prix équitables pour les producteurs, une protection sociale pour garantir l’accès à une alimentation saine, la protection de la biodiversité et de la santé des sols, l’éducation à l’alimentation, l’accès aux terres agricoles, l’impact de l’agriculture d’exportation sur les marchés locaux des pays du Sud et sur les agroécosystèmes européens.

Au cours de la séance de clôture, Peter Schmidt, Président de l’Observatoire de développement durable du Conseil Economique et Social a pris position contre le concept de « compétitivité » en proposant carrément de changer de langage. Il s’est opposé au néolibéralisme qui détruit le monde et a invité à s’engager en faveur d’une politique alimentaire européenne.

Bart Staes du Parlement européen (Les Verts) a (par vidéo) critiqué les propositions de réforme de la Politique Agricole Commune de la Commission qui sont un désastre. La réforme de la CAP ne peut être faite de manière isolée, il faut une approche holistique intégrant agriculture, sécurité alimentaire, commerce, santé et développement. Un revenu décent est à assurer à nos agriculteurs.

Stéphane Le Foll, ancien Ministre français de l’agriculture a (par vidéo) rappelé qu’il avait intégré l’agroécologie dans la loi française sur l’agriculture adoptée en 2014 tout comme la territorialisation de la production agricole. Le verdissement de la PAC serait à préserver dans la nouvelle PAC. Il a aussi soulevé la question des sols et le phénomène de l’enrichissement des sols en carbone qui contribue à préserver l’atmosphère.

Dans ses mots de conclusion, Olivier de Schutter a fait référence à l’appui du Conseil Economique et Social de l’UE. Celui-ci pourrait contribuer à la création d’un espace pour la mise en place d’un Conseil de politique alimentaire de l’UE. Cette approche d’IPES a été appuyée en particulier par les différents parlementaires européens qui sont intervenus.

Divers

Un représentant de La Via Campesina a attiré l’attention sur les travaux en cours à Genève au niveau du Conseil des droits de l’homme concernant la Déclaration sur les droits des paysans, invitant chacun à y sensibiliser son gouvernement en vue de son adoption en septembre prochain.

Des représentants de Slow Food ont informé qu’une coalition d’organisations prévoyait des journées d’action les 27/28 octobre prochain sur le thème Good food & good farming. Elles sont dirigées contre l’agriculture industrielle et en faveur d’une alimentation saine[1]. Chaque participant est libre de déterminer le type d’initiative à développer à cette occasion.

[1] Parmi les organisateurs : Meine Landwirtschaft, Friends of the Earth Europe, Slow Food, Heinrich Böll Foundation, La Via Campesina (Europe), ARC2020, Brot für die Welt, Pour une autre PAC (France)

 

Débat entre Olivier de Schutter, Marie-Monique Robin, Carlos Petrini et Rob Hopkins

Le soir du premier jour, Olivier de Schutter a animé un dialogue avec Marie-Monique Robin, cinéaste, Carlos Petrini, fondateur et directeur de Slow Food et de Rob Hopkins, fondateur du Transition mouvement.

Carlos Petrini a dénoncé les conditions de travail inhumaines dans lesquelles des Africains doivent travailler en Italie du Sud pour la cueillette des oranges. Leur salaire est de deux euro par heure. Il a aussi parlé des conditions de vie difficiles des agriculteurs en Italie qui ne gagnent que 30 cents pour un litre de lait. Les carottes sont payées 5 cents le kilo. La situation est du reste dramatique dans toute l’Europe. En Italie, seulement 3 % de la population vit de  l’agriculture, contre 50 % en 1945. Il est indispensable de changer de modèle agricole. Une éducation alimentaire est à développer. Il existe déjà 500 jardins alimentaires en Italie. Cette expérience conduit les enfants à rééduquer ensuite leurs parents. On ne devrait plus parler de consommateurs qui ne s’intéressent qu’aux prix, mais de co-producteurs intéressés par la qualité de vie et la traçabilité. S’agissant des conditions de travail dans les pays en développement, il signale que pour un café que nous payons un euro, le producteur reçoit 6 cents. Il a fait référence au pape François qui a reconnu que l’Eglise a participé au génocide culturel des indigènes et qui invite à se mettre à l’écoute des indigènes qui pratiquent une agriculture durable et la cosmogonie.

Marie-Monique Robin a plaidé pour une limitation de la consommation de viande. Elle a regretté que l’étiquetage des emballages de la viande n’informe pas si l’animal a été élevé avec une nourriture OGM. La projection d’un documentaire sur cette question suggérant de faire du lundi une journée sans viande a suscité certaines oppositions. MM Robin a dénoncé le rôle que jouent certaines organisations comme AGRA – Alliance pour une Révolution Verte en Afrique – qui est également soutenu par Bill Gates, par ailleurs actionnaire chez Monsanto. Bill Gates a fait placer à la tête d’AGRA un ancien de Monsanto. Il n’est pas un philanthrope. Il faut arrêter d’exporter nos surplus de blé au Sénégal pour que là-bas on mange des baguettes. Les normes alimentaires protègent les producteurs et non pas les consommateurs.

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