Au Togo, comme dans nombre de pays où le politique tient tout le reste, l’espace civique pâtit des conjonctures politiques. Au gré des évolutions dans la gouvernance, les autres composantes de la vie de la cité, notamment l’espace civique, connaissent des fortunes diverses. La législation, qui devrait être impersonnelle et intemporelle, est devenue un outil d’accompagnement, entre les mains du gouvernant, pour tenir en laisse toutes les autres forces vives du pays.
Dans son rapport de 2023 sur le Togo, Amnesty International écrit : « Les autorités ont réprimé le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique. Sur fond de menaces contre la liberté de la presse, des journaux ont été suspendus et des journalistes ont été condamnés à des peines d’emprisonnement pour “diffamation” ou publication de “fausses informations” ». Ces atteintes à la liberté d’expression interviennent dans un contexte d’insécurité grandissante dans le nord du pays, où toute communication sur la gestion de la guerre anti-djihadiste est interdite ou tue. Même les citoyens de la zone sinistrée doivent leur accès à quelques bribes d’informations aux réseaux sociaux ou à des sources internationales.
La loi sur la liberté de manifester est utilisée pour bloquer toute velléité de contestation manifeste du nouvel ordre politique.
Il est légion au Togo que des réunions ou manifestions publiques soient interdites plutôt pour des raisons politiciennes que légales. Dans le rapport précité d’Amnesty International, on peut aussi lire : « Le 11 octobre, les autorités ont interdit une cérémonie organisée par des ONG pour lancer un projet destiné à consolider la société civile et à garantir la protection et la promotion du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Aucune mise en demeure n’avait précédé cette interdiction. »
De fait, le pouvoir judiciaire est mis à contribution pour habiller légalement les atteintes aux droits du fait des autorités publiques. En novembre 2023, la Cour de justice de la CEDEAO a prononcé une énième condamnation du Togo à des dommages et intérêts, assortie d’une ordonnance de remise en liberté immédiate de quinze personnes arrêtées dans le cadre des manifestations populaires d’août 2017. En substance, la Cour a conclu « à la violation de leurs droits de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements et de ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire ».
Sur le plan strictement politique, le Togo est entré subrepticement dans une nouvelle République, la 5e, la nuit du 29 avril 2024, par la volonté des députés en fin de mandat, et à dix jours des élections législatives. Jusqu’à son adoption, le texte de la nouvelle Constitution n’a été accessible à aucun citoyen ; seuls les dix-neuf députés, appartenant à la mouvance présidentielle, qui en sont les porteurs en connaissaient la teneur. Au sortir de son vote après première lecture le 25 mars 2024, et à l’instar d’autres responsables politiques et de la société civile, le propre Conseiller politique du Président de la République, M. Pascal Bodjona, admettait n’avoir connaissance de sa version finale. Même après le deuxième vote, requis par le chef de l’État, suite au tollé général suscité par la « manœuvre », les citoyens n’en étaient pas davantage édifiés. Le professeur Kako Nubukpo, économiste, ancien ministre et commissaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, avait déclaré sur lemonde.fr à ce sujet : « Il n’y a pas eu de vrais débats sur ce point, ni de débats tout court, parce que la nature du régime est juste un habillage juridique des rapports de force politiques. Il est très clair que le chef de l’ État veut se donner un nouveau bail ». Il fut plus péremptoire encore au micro de RFI : « Il est des moments dans la vie d’une nation où le contrat social, ferment du vivre ensemble, ne peut être déboulonné et réduit à la hussarde ». Dans la foulée, la loi portant révision de la Constitution fut promulguée le 6 mai 2024. Rappelons qu’au sortir des élections législatives du 29 avril dernier, le parti au pouvoir a obtenu 108 sièges sur les 113 que compte l’Assemblée nationale.
L’opposition togolaise, des organisations de la société civile et un nombre important de Togolais, y compris de la diaspora, continuent de dénoncer un « coup d’État constitutionnel ». La loi sur la liberté de manifester, récemment modifiée pour la rendre davantage contraignante, est utilisée pour bloquer toute velléité de contestation manifeste du nouvel ordre politique.
À titre d’illustration de la fermeture ou du rétrécissement de l’espace au Togo, le 29 septembre 2024, un député du parlement de la CEDEAO, de nationalité sénégalaise, M. Guy Marius Sagna, en séjour au Togo dans le cadre d’une session délocalisée de ladite institution, a été victime, au même titre que d’autres participants, d’une agression physique grave pour avoir participé à une réunion publique, sur invitation d’un parti d’opposition, au siège de ladite formation politique. Malgré les signalements des organisateurs et des autres participants à l’événement concernant les présumés auteurs des faits, aucune poursuite n’a été rendue publique à ce jour.
La colère de nombreux citoyens se manifeste à travers plusieurs initiatives pour dire non au changement constitutionnel, aux violations continues des droits et libertés fondamentales ainsi qu’aux arrestations arbitraires et contraintes à l’exil de toute voix discordante. Ils en appellent à la communauté internationale, et surtout aux sociétés civiles africaines et internationales, pour faire pression sur le régime en place.