Sozapato est une artiste aux multiples facettes : graphiste, licenciée en beaux-arts, maître du livre illustré pour enfants et actrice dans le collectif de théâtre Chalata Clown. Elle appelle à la recherche de l’harmonie avec soi-même, l’autre, et la nature. www.sozapato.blogspot.com |
Ce que j’aime le plus dans mon travail, c’est le défi créatif que représente le fait de donner forme et couleur à un sujet quotidien en adoptant un angle différent. Pour faire cela, je dois remettre en question ma propre position critique face au sujet et, à travers ce prétexte, ma propre humanité. Quelque chose m’amène inévitablement à faire face à qui je suis et à me demander : « Qui ai-je envie d’être ? »
La décolonisation est un sujet aux nombreuses complexités. J’aime y réfléchir au-delà des luttes autour de la figure de l’État-nation ou des références historiques et analyser les formes d’imposition dans la pensée actuelle, les rhétoriques sur le concept de liberté, de l’être humain intégral et la façon dont cela est entrelacé avec la nature, qui est maintenant le nouvel « autre », exploité et abusé. Je m’intéresse à la question suivante : quels sont nos niveaux de respect et de cohérence vis-à-vis de l’environnement ? Traduisons-nous réellement ces grandes déclarations théoriques en actions quotidiennes significatives ?
Décoloniser la pensée implique de reconnaître, en premier lieu, le paradigme qui nous colonise au quotidien et nous empêche d’ÊTRE en liberté. Ce qui me ramène à une question précédente : sommes-nous prêts à assumer la responsabilité de penser différemment, d’ouvrir un nouveau chemin au lieu de suivre la voie tracée ? Et qu’est-ce que « la voie tracée » ? Quel est le paradigme qui s’impose et quel est celui qui résiste ?
Je reconnais dans les sociétés occidentales consuméristes d’aujourd’hui la tendance à opter pour le plus facile : être réactif plutôt que réfléchi, privilégier le confort personnel au bien-être collectif, perpétuer le déséquilibre s’il nous favorise, croire que l’on détient la vérité absolue, dévaloriser les autres perspectives (justifiant la violence), user et abuser de ce qui ne peut être défendu… Pour moi, c’est le paradigme qui nous est imposé quotidiennement depuis divers lieux de pouvoir et de légitimation. L’extermination est déguisée en décisions politiques de « progrès », la surconsommation en « vie digne », et en ignorant les besoins des minorités, l’abus de pouvoir est établi comme une « forme valide de subsistance ».
D’autre part, pour faire de la résistance, il y a la « parole vivante », comme le soulignent les indigènes, en se référant à la mise en action de la parole aimable (être cohérent). Dans la cosmovision andine, qui me traverse heureusement aussi, il y a une grande conscience de l’existence, dans laquelle nous sommes tous liés. C’est pourquoi être gentil, respectueux de la nature, avoir une conscience sociale, éprouver de la gratitude envers les ancêtres et les éléments est le moins que nous puissions faire et être.
Ces réflexions, qui ne visent pas à idéaliser ou diaboliser l’une ou l’autre des parties, mais à définir une position critique, seront ma boussole pour développer les illustrations des articles de ce magazine. Heureusement, mes sentiments et les dissertations écrites s’accordent parfaitement. Avec une liberté créative et une résonance idéologique, je décide d’utiliser le masque blanc comme un symbole de la colonisation qui impose, fracture et emprisonne. Graphiquement, la décolonisation sera la représentation d’une plénitude « humaine » non symétrique (c’est-à-dire non stéréotypée) avec des traits libres, la nature, des couleurs dynamiques et des formes joyeuses qui s’étalent sur la toile, brouillant les frontières entre l’individu et l’espace. Les silhouettes qui font allusion au tribal – qui est essentiel -, évoquent également la festivité qui découle du fait de savoir vivre en équilibre.
Je cherche à représenter, sous différents angles (auxquels le texte me conduit), ce qui est le principal défi posé par la décolonisation de la pensée : écouter et intégrer la pluriculturalité du monde afin d’évoluer de manière harmonieuse et équitable. Je pense que tout se résume à construire, chaque jour, dans chaque décision quotidienne, un chemin où la juste mesure des choses génère de la joie pour nous tous (qui sommes tout).
- Point brûlant : l’appel à décoloniser Le masque imposé, qui représente la colonisation, s’éloigne, permettant aux couleurs et aux formes (uniques à chaque individu) de jaillir en toute liberté. L’intégralité de l’être humain se confond avec l’espace car c’est ainsi que l’être humain devient intégral, se reconnaissant comme faisant partie de tout.
- Horizon des possibles : buen vivir Représente SUMAK KAWSAY ou le « buen vivir » ; l’interrelation harmonieuse des humains, du cosmos, des ancêtres, de la nature, de la semence, de la création… et comment nous faisons tous partie de la même « fête » (des mêmes possibilités).
- Et au Luxembourg ? Les formes et les couleurs qui émergent du masque changent de geste neutre, montrant que la tolérance et le respect gagnent du terrain. Comme un clin d’œil à l’article, la silhouette du Luxembourg est superposée au visage et apparaît également comme l’ombre du masque.
- Nouvelles du monde Le masque-cage blanc représente la colonisation et la façon dont cette imposition emprisonne notre capacité à ÊTRE en liberté.
- Par où commencer ? Je traduis la question « par où commencer ? » par « comment faire germer les possibilités de notre être ? », c’est pourquoi je représente un « individu racine » qui verdit, sans se limiter à une seule forme établie.
Par Sozapato