Initiative mésoaméricaine des défenseures des droits humains (IM-Defensoras ) – Les femmes défenseures des droits en Amérique centrale face au Covid 19.

Le 13 avril, Ana Cristina Barahona, membre du Réseau des femmes mésoaméricaines en résistance, a été arrêtée par la police civile nationale du Salvador alors qu’elle s’apprêtait à aller chercher des médicaments pour son fils de 3 ans hospitalisé. Bien que son déplacement ait été justifié, elle a été transférée dans un centre de détention où étaient retenues d’autres femmes. L’endroit était dans des conditions insalubres, elle n’a pas reçu de masque, de gel désinfectant ni d’accès aux médicaments pour son diabète. Elle a été libérée plus d’un mois plus tard, le 20 mai.

Au Salvador, au moins 2 424 personnes ont été arrêtées pour avoir violé l’«état de quarantaine» décrété par le gouvernement. La campagne médiatique du président, qui a apporté un soutien économique à la population, a suscité l’admiration internationale et fait oublier qu’il y a quelques mois seulement, le même président avait fait irruption au Congrès, bible à la main, entouré de militaires armés. Déjà en pleine pandémie, le gouvernement a confiné des milliers de personnes dans des lieux insalubres, où elles étaient entassées, séparées de leur famille et sans information sur leurs tests. Bon nombre d’entre elles sont des mères, qui sont à la tête d’un ménage et dont la famille a été laissée sans aucune protection.

Ce qui se passe au Salvador n’est pas une situation isolée. Dans la plupart des pays d’Amérique centrale, l’urgence sanitaire est devenue le prétexte parfait pour continuer à affaiblir la démocratie, accroître l’autoritarisme et renforcer la militarisation. Au Honduras, le gouvernement a décrété la suspension des droits et des garanties constitutionnels, notamment la liberté d’expression et le droit à I’inviolabilité du domicile. Au Guatemala, le gouvernement a décrété la «fermeture totale» du pays et imposé un état de siège aux communautés particulièrement actives dans la lutte contre les compagnies extractives. Au Mexique, bien que le gouvernement fédéral n’ait pas adopté une approche répressive, de nombreuses autorités locales appliquent des mesures répressives. Au Nicaragua, la persécution politique se poursuit sans relâche et le gouvernement réprime ceux qui contredisent la vision négationniste de la pandémie soutenue par l’Etat depuis le début.

Lorsque le Coronavirus est arrivé en Amérique centrale, les femmes défenseures des droits humains subissaient déjà les conséquences d’une crise structurelle causée par un modèle économique et politique issu de l’héritage colonial et qui maintient notre région plongée dans la violence, le pillage des ressources naturelles et les profondes inégalités qui se répercutent sur nos vies, nos corps et nos territoires.

L’urgence sanitaire a mis en évidence l’effondrement des services publics provoqué par les politiques néolibérales qui les pillent, les affaiblissent et les privatisent depuis des décennies : des hôpitaux débordés et insalubres, du personnel de santé – majoritairement féminin – sans droits fondamentaux et victime d’attaques, etc. Entre temps, les gouvernements accusés de trafic de drogue, comme celui du Honduras, profitent de l’augmentation des dépenses de santé pour perpétrer de nouveaux actes de corruption.

Pour les femmes et les populations vulnérables, l’enfermement a entraîné plus de violence, plus de pauvreté et plus d’exploitation. Pour des millions de femmes qui vivent du travail informel – y compris les vendeuses de rue, les travailleuses du sexe, les ouvrières agricoles, les employées de maison – il a été impossible de respecter cette mesure au risque de perdre leurs moyens de subsistance. Beaucoup d’autres ont persisté à migrer pour échapper à la pauvreté et à la violence, mais elles ont été délaissées et abandonnées en cours de route.

Le fait de rester à la maison a accentué davantage la vulnérabilité des familles vivant sans accès à l’eau et dans des conditions de surpopulation et a une fois de plus augmenté la charge des travaux domestiques et des soins pour les femmes. Le confinement exacerbe la violence domestique contre les femmes et les enfants, et cache le fait que plus de femmes sont victimes de féminicides que du covid-19.
Au Salvador, on a constaté une augmentation de 70 % des plaintes pour violence à l’égard des femmes. Au Honduras, pendant la pandémie, 83 féminicides et plus de 18 000 cas de violence domestique ont été recensés. Au Mexique, au 13 avril, 100 femmes étaient mortes du coronavirus, tandis que 367 ont été assassinées au cours de la même période.

En pleine urgence sanitaire, les gouvernements permettent aux entreprises privées de commettre de graves abus : des licenciements massifs, le refus d’arrêter leur activité (obligeant ainsi des milliers de personnes à travailler dans des conditions dangereuses – une réalité particulièrement terrible pour les femmes travaillant dans les maquiladoras), la diffusion de fausses informations sur le virus, entre autres. Ils continuent également à favoriser la poursuite et l’expansion de l’activité extractive, en faisant passer les intérêts économiques avant la santé de la population et en profitant du manque de moyens des communautés pour opposer une résistance. L’extractivisme n’a pas été mis en quarantaine et la défense des biens communs reste l’une des principales causes de risque et de violence à l’égard des femmes défenseures des droits humains.

Au Honduras, les communautés de Canaan, El Hatillo et Támara ont été réprimées par la police nationale avec des bombes lacrymogènes et des chars d’assaut pour avoir organisé une occupation pacifique afin de demander de la nourriture et de l’eau pour faire face à la quarantaine. De nombreuses manifestantes étaient des femmes. COPINH et OFRANEH ont dénoncé le fait que le gouvernement permet la violence de groupes criminels et fait obstruction aux mesures sanitaires que leurs communautés ont mises en place avec succès pour se protéger du covid-19.

En deux mois seulement, quatre femmes activistes ont été assassinées, la plupart au Mexique: Karla Camarena, une défenseure bien connue des droits des communautés LGBTI ; Paulina Gómez Palacios Escudero, une défenseure du territoire travaillant avec le Conseil régional de Wixárika ; et la journaliste María Elena Ferral, au Mexique ; et Iris Argentina Álvarez, de la coopérative paysanne Cerro Escondido au Honduras.

Dans tous les pays de la région, nous sommes confrontés à des abus de la part de la police, qui s’en prend aux femmes défenseures en raison de la présence publique que nous avons dans nos communautés, ce qui accroît notre vulnérabilité lorsque nous sommes emprisonnées.

Au Nicaragua, le 24 mars, Maria Esperanza Sanchez, emprisonnée dans la prison des femmes pour sa participation aux manifestations de 2018, a eu une bronchite, une crise d’asthme et une crise d’hypertension pendant sa détention. Elle a été privée de soins de santé, de médicaments et de protection contre le coronavirus. Quatre autres femmes sont en prison pour des raisons politiques, dont une transsexuelle. Elles ont toutes des maladies respiratoires associées au risque d’infection par covid-19.
Le 30 mai, des éléments de l’armée guatémaltèque et de la police civile nationale ont fait une descente au domicile de la défenseuse de K’iche, Manuela Alejandra Pop Tuy, membre de l’Association pour le développement des femmes Alanel, et l’ont arrêtée de manière arbitraire. La défenseure a une fille de 10 ans et un bébé allaité, qui ont été laissés sans protection. Sa communauté, Santa Catarina Ixtahuacan, vit dans un contexte de violence en raison de sa défense des terres communales, violence qui a été intensifiée par l’augmentation de la militarisation et l’état de siège décrété par le gouvernement dans le cadre du covid-19.

Pendant ce temps, les réseaux sociaux sont remplis de menaces et de campagnes de diffamation à notre égard, des campagnes orchestrées par les plus hauts niveaux de pouvoir. Les féministes et les journalistes sont continuellement harcelées et agressées pour avoir dénoncé les violations des droits commises par les gouvernements dans le contexte de la pandémie.

On nous tue, on nous arrête et on nous met en danger, on nous agresse pour défendre les biens communs, on nous diffame et on nous harcèle. A l’heure actuelle, alors qu’il est crucial pour la vie d’élever la voix contre les injustices, nous, les femmes Centroaméricaines défenseures des droits, sommes confrontées à de nouvelles agressions qui se produisent dans un climat de plus grande acceptation sociale des mesures répressives en raison de la peur de la population face au virus et des présidents qui s’érigent en «sauveurs du peuple». Du 8 mars à ce jour, nous avons, chez IM-Defensoras, émis 44 alertes, dont 25 sont directement liées à des agressions dans le cadre de la mise en œuvre des mesures par covid-19.

Outre les attaques directes dont nous sommes victimes, cette crise sanitaire restreint notre action politique et détériore nos conditions de vie. Les premiers résultats du diagnostic que IM-Defensoras est en train de réaliser nous confrontent à une réalité très inquiétante: de nombreuses femmes défenseures des droits manquent de nourriture et de produits de première nécessité et, comme tant d’autres, nous sommes confinées et assumons des charges supplémentaires de travail. Pire encore, pour certaines d’entre nous, nous sommes enfermées avec nos agresseurs.

La plupart de nos organisations ont dû limiter ou suspendre les activités prévues. Nous autres essayons de maintenir nos agendas de lutte tout en répondant aux besoins urgents de nos communautés. Souvent confinées dans de petits espaces, avec un faible accès à l’internet et un travail ménager supplémentaire, l’épuisement augmente. En outre, l’interdiction des manifestations laisse la voie libre aux auteurs de violations des droits humains.

Notre bien-être émotionnel, physique et spirituel se détériore face à un scénario incertain et à cause des deuils qui se multiplient suite à la perte de proches dues au covid. Le travail virtuel, s’il nous permet de poursuivre notre activité ne remplace guère le contact personnel essentiel avec nos camarades et nos communautés de lutte.
Cependant, contre ce système de mort qui nous veut cloîtrées et réduites au silence, nous, les femmes défenseures, avons continué à élever nos voix pour mettre le soin de la vie au centre. Grâce à la sagesse ancestrale de nos peuples, et toujours collectivement, nous avons activé la solidarité pour répondre aux besoins urgents de nos communautés, renforcé la souveraineté alimentaire de nos territoires, vaincu la distance et entretenu la bienveillance envers nous-mêmes grâce aux radios communautaires et aux réseaux sociaux, et entrepris des actions de santé communautaire dans le but de nous soigner. Parce que nous ne perdons pas l’espoir, aujourd’hui plus que jamais, il est urgent de reconnaître et de protéger les femmes défenseures des droits.

1 Synthèse du rapport « La crise était déjà là ». Version originale en espagnol sur: http://im-defensoras.org/wp-content/uploads/2020/05/La-crisis-ya-estaba-aqu%C3%AD-29052020.pdf
2 Compilé par Marusia López. Ont contribué à la préparation de cet article: Lydia Alpizar, Anamaria Hernandez, Teresa Boedo, Margarita Quintanilla, Cecilia Espinoza, Alejandra Burgos, María Martín, Pere Perelló, Juanita Jimenez, Consuelo Mora, Yesica Trinidad, Melissa Cardoza, Fanny Aracely Guerrero, Flor de Maria Melendez, Sandra Torres Pastrana, Enrieth Martínez y Marellyn Somarriba.